Luxe et musique: la grande promesse de l’inclusion

Au cours des dernières décennies, les courants musicaux ont confirmé leur rôle d’observatoire des communautés et des disparités sociales. Dans les années 1980 et 1990 on célébrait l’avènement du hip-hop et du RnB, alors que les États-Unis vivaient une augmentation de la pauvreté. Mais depuis Eminem, premier rappeur blanc à être considéré au même niveau que ses pairs, tels 50cent et Snoop Dogg, ce style musical a évolué. Il raconte comment la représentation des minorités défavorisées est passée aujourd’hui à la «drip magnet», cette élégance naturellement décontractée et branchée.

Ces influences musicales, mêlées aux codes de la mode ont donné vie au «power couples», ces symboles absolus de la culture de masse tels que les «Jenner/Kardashian» associés à des rappeurs iconiques comme Travis Scott ou Kanye West. Les artistes ne sont plus en marge de la société. Ils sont à présent instruits, informés et sont invités au premier rang des défilés. Ils font partie d’une «élite inclusive», ouverte à de nouvelles perspectives qui visent à comprendre et à respecter la culture de la rue, les différences de milieux socio-économiques et les problèmes liés à la pauvreté. Être «woke» (conscient des injustices et du système d'oppression) est à présent un prérequis fondamental.

Dès lors, les marques de luxe ont réalisé qu’être inclusif et soutenir la pop-culture était essentiel pour atteindre une cible plus large. Le luxe a vu nombre de ses maisons vivre un boom auprès de micro-communautés de jeunes, qui n’avaient jusqu’alors jamais été considérées comme de potentiels clients.

Audemars Piguet en est un des exemples, démontrant que la culture hip-hop peut certainement apprécier la précision suisse et la haute qualité horlogère. Jay-Z avait ouvert la voie en 2010, contribuant au succès de la marque suisse en portant un des modèles emblématiques, la Royal Oak Offshore Chronographe et en rappant dans Off That: «I’m so tomorrow the Audemars says yesterday». Ou encore Lil Wayne dans son freestyle de Marvin’s Room en 2011 qui scandait: «I value her time like an Audemars Piguet» et de nombreux autres tels que Wiz Khalifa, Rick Ross et Meek Mill. Selon la plateforme AZ Lyrics, Audemars Piguet aurait été citée dans plus de 200 chansons.

D’A$AP Rocky qui défile pour Dior, à Kanye West qui lance sa marque de luxe Yeezy ou encore Virgil Abloh, directeur créatif de Louis Vuitton mixant à Tomorrowland (un festival de musique électronique), la musique est un catalyseur important des tendances de la mode. C’est une des raisons qui a poussé les marques de luxe à s’associer aux artistes les plus tendances, mais aussi les plus enclins à adhérer aux symboles des maisons, entre logos et monogrammes fièrement affichés, car les rappeurs sont aujourd’hui devenus des icônes de la mode.

L’esthétique bad-boy façonne les tendances de la mode depuis des années. Les bouches pulpeuses, les tops raccourcis, les petits sacs à main Fendi et les pantalons cargo sont aujourd’hui un must.

Cette musique façonne un nouveau style de vie destiné aux jeunes générations. La tendance du «get rich or die tryin’» (ndlr : devient riche ou meurs en essayant) est maintenant plus présente que jamais. Gagner de l’argent, profiter de la vie, vivre à fond et sans lendemain a convaincu les consommateurs de dépenser leur argent comme preuve de leur statut social. Pour preuve, la chanson devenue virale sur TikTok «Fendi on my body, but my feet is in Bottega, I'm getting money» (ndlr : Fendi sur mon corps, mais mes pieds sont en Bottega, je gagne de l’argent”). Et les réseaux sociaux influencent fortement cette nouvelle perspective.

A ce propos, Anna Zo’, cheffe de projet chez Music Innovation Hub, une société qui promeut la musique comme un outil pour l’émancipation, l’inclusion et l’intégration affirme: «Cette tendance du Get rich or die trying c’est aussi ce que la musique symbolise aujourd’hui. Lorsque l’on nait dans la pauvreté et dans de mauvaises conditions sociales, la musique devient un outil d’affirmation personnelle, de progrès et de notoriété. Elle est même incontournable pour beaucoup, car vécue comme une rédemption sociale. Elle offre une réelle égalité des chances, une promesse d’ascension, quelle qu’elle soit.»

L’argent, l’insouciance, la musique, la jetset, et l’attitude rebelle génèrent de l’engagement et donc du revenu, dans un monde où l’expérience est devenue plus fascinante que la possession. Les artistes niches doivent donc trouver de nouvelles manières d’émerger. C’est le cas de Giulia Vazzoler, la pianiste italienne aux plus de 100'000 followers sur Instagram. Elle explique que la clé pour émerger dans le monde digital est un contenu qualitatif, cohérent et authentique. Il n’y a rien de plus engageant que de partager ses difficultés, ses combats et ses moments de joie pour interagir avec l’utilisateur. Être une artiste de musique classique, rester en contact avec une audience importante est bien plus dur qu’autrefois. Raison pour laquelle Giulia Vazzoler se rapproche du monde digital en échangeant avec son public via des chansons pop, revisitées selon les codes classiques. Elle raconte: «Capturer l’intérêt et approcher les gens de manière authentique est essentiel lorsqu’il s’agit d’apprendre à connaître vos fans et attirer une audience plus large. En jouant des chansons pop sur mon compte Instagram, j’offre aux utilisateurs l’opportunité de mieux me connaître et ainsi commencer à apprécier mes multiples styles. Cela me permet de revisiter ces chansons de manière classique, cela crée un échange dans lequel les followers se rapprochent de mon monde, et en contrepartie, je montre mon talent et mon dynamisme à travers mon appréciation de tous les genres.» La promesse de l’inclusion est en marche…