Tribune libre

Le luxe et la culpabilité

Cyrille Vigneron

By Cyrille Vigneron05 novembre 2020

On m’a récemment demandé si le mouvement de «déconsommation» me semblait être une menace pour le secteur du luxe en général, et pour notre Maison en particulier.

 Au premier abord, la menace semble bien réelle. Mais elle résulte en fait d’une confusion entre «réduction de la surconsommation» et «utilitarisme». La déconsommation résulte de la volonté d’économiser les ressources épuisables, de réduire la production de déchets, et de minimiser les impacts environnementaux négatifs. Cette volonté positive ne doit pas être confondue avec «l’utilitarisme» qui ne tolère que l’usage de ce qui est utile et fonctionnel, et fustige tout ce qui est inutile. Mais où s’arrête la nécessité et où commence le confort et le plaisir? On s’habitue à ce que l’on possède et ce confort devient partie intégrante de nos nécessités. Un bien de luxe d’antan peut se transformer en bien de nécessité aujourd’hui.

Quant aux aspirations humaines, elles ne sont bien souvent pas ancrées dans la nécessité. Le luxe fait partie de ce que j’appelle «le nécessaire superflu», ce dont on n’a pas besoin mais que l’on désire et qui nous rend heureux.

Aujourd’hui, les problèmes environnementaux remettent en cause nos habitudes quotidiennes, plus que notre besoin de confort et de luxe. Ce qui est important est de brûler moins de carbone et d’éviter de gaspiller. Cette remise en question touche tous les secteurs, y compris de luxe, sous ses formes opulentes. Mais le luxe ne se limite pas à cela. Il peut être durable et frugal. Les biens de luxe tels que les montres et les bijoux consomment peu de ressources, sont durables, réutilisables et recyclables.

Depuis longtemps, la frugalité était la norme dans les sociétés et dépenser était mal vu. Le luxe n’a pu se développer qu’en créant à la fois le désir, mais aussi les justifications de l’acquisition d’un objet ou d’un plaisir, présumé «coupable» par défaut. Celles-ci perdurent encore aujourd’hui. Liée au luxe, on peut mentionner la justification ou l’argument d’investissement ou de patrimoine, d’un savoir-faire, la notion de récompense, de preuve d’amour, de signe d’appartenance communautaire, de célébration, d’expression de sa personnalité et enfin de transmission.

Mais aujourd’hui, liée à la tendance de la déconsommation, le luxe doit renforcer son devoir de réserve, de non provocation et s’orienter vers davantage de frugalité et de durabilité, et se détourner du gaspillage, de l’opulence, de la pollution.

Sur ce point, je donnerais quelques exemples directement liés à Cartier : la consommation totale d’or de Cartier est d’environ 10 tonnes par an, dont plus de 90% est recyclé. La consommation totale de diamants de Cartier n’excède pas 0,4% de la production mondiale. Les marques de luxe doivent, dans un engagement citoyen, prouver leur engagement envers la protection de l’environnement. Car cela concerne tous les citoyens et les entreprises.

En conclusion, le mouvement de «déconsommation» est un allié positif d’une Maison de luxe responsable, non une menace.

Cyrille Vigneron est Président et CEO de Cartier International

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