Brutalisme: le luxe réhabilite son style architectural

Le brutalisme traîne avec lui un lourd héritage. Tenant son nom du béton brut apparent qui fait sa spécificité, ce style architectural axé sur le fonctionnalisme réduit à son noyau le plus cru, a été, des années 1950 à la fin des années 1970, la patte des sièges gouvernementaux et institutionnels du Bloc de l’Est, mais aussi la signature esthétique si austère des logements sociaux de banlieues. En France, sous la griffe d’architectes tels que Le Corbusier, ces barres d’immeubles n’ont pas mis longtemps avant d’être considérées comme de véritables erreurs architecturales, voire sociétales, au vu de l’ostracisation et de l’insalubrité dont elles sont devenues les fiefs, au point d’être dynamitées pour certaines à la fin des années 1990. Pourtant, depuis quelques années, ce courant architectural tant décrié, semble être l’objet d’un regain de fascination.

La sortie du film The Brutalist il y a quelques mois aura su raviver le débat autour de cette architecture clivante. Primé plus de 130 fois, entre autres du prestigieux Golden Globe du meilleur film, ou encore des Oscars du meilleur acteur pour Adrien Brody et de la meilleure cinématographie. Ce chef d’œuvre de Brady Corbet met le brutalisme en lumière à travers le parcours fictif d’un architecte hongrois forcé de fuir le nazisme sévissant en Europe, et affronter les pièges d’une intégration houleuse au sein d’une bourgeoisie américaine gangrénée par l’hypocrisie. Dans ce film, le brutalisme est plébiscité comme traduisant la pureté de la forme, mais aussi des intentions. Un style qui n’a rien à cacher, et dont l’interprétation est univoque.

Bien que fictionnel, le film reste largement inspiré des parcours des architectes hongrois de renom comme Ernö Goldfinger et Marcel Breuer, dont les vestiges connaissent aujourd’hui de nouvelles affectations surprenantes.

L’un des bâtiments de Marcel Breuer est aujourd’hui devenu l’écrin du prestigieux hôtel Marcel, ouvert à New Haven en 2022, après une rénovation de deux ans et chiffrée à 6,5 millions de dollars.

Après l’avoir sauvé de la destruction par son rachat en 2019 pour 1,2 million de dollars, Bruce Redman Becker, promoteur de l’hôtel Marcel et chef du cabinet d’architecture Becker + Becker, aura réussi la prouesse de rendre le bâtiment écologique sans en altérer son apparence. Il confiait alors: «Ici, la durabilité consiste à recycler ce bâtiment (…). Ce que je voulais prouver avec ce projet, c’est qu’il n’est pas nécessaire de sacrifier la beauté de l’architecture d’origine pour rendre un bâtiment durable.»
Tandis que certains bâtiments brutalistes d’origine trouvent ainsi un nouveau souffle, des architectes inspirés par ce courant jouent des codes du brutalisme dans des constructions toutes récentes. Au Mexique, l’hôtel Paradero Todos Santos, ouvert en 2021, offre un décor brutaliste de 12 000 mètres carrés à qui souhaite s’offrir une luxueuse retraite au creux du désert de basse Californie.

Les architectes, Yashar Yektajo et Rubén Valdez, largement inspirés du courant brutaliste, sont parvenus, malgré le caractère massif du béton, à traduire cette fois-ci l’idée d’éphémère à laquelle le désert renvoie, en évoquant l’ondulation des dunes dans la forme des façades, mettant en exergue l’idée du mirage et d’une frontière floue entre ce qui est perçu et ce qui existe de fait: «Dans ce projet, nous avons souhaité accentuer le dynamisme du mouvement naturel du désert en explorant et en soulignant la topographie créée par ses vents, et tous les éléments qui en font un cadeau pour les sens… Cette manière naturelle qu’a le désert de créer des chemins et espaces qui apparaissent et disparaissent dans ce paysage qui réserve tant de surprises.» Une prouesse qui leur aura valu le Prix Versailles d’architecture et de design.