De la chaussure confort à la chaussure de luxe, la stratégie derrière le parcours atypique de la maison Birkenstock. Cet article, rédigé par Abigail Grace Stover, est l'un des deux textes gagnants du concours d'écriture développé par Luxury Tribune et adressé aux étudiants en MBA de l'Université IESEG School of Management de Paris et Lille
Birkenstock peut se targuer d’avoir un fort héritage de marque. Née en 1774 lorsque Johann Adam Birkenstock fabriquait sa première paire de chaussures dans une petite ville allemande prénommée Langen-Bergheim/Hesse, la marque attendra 1896 pour que le maître de la chaussure, Konrad Birkenstock, ouvre deux boutiques à Francfort, puis invente et commercialise l’iconique semelle anatomique flexible. Depuis, la marque symbolise à elle seule la traditionnelle chaussure allemande. En ciblant des clients souffrant de maux de pieds ou de dos, Birkenstock s’est imposée comme une marque pionnière sur le marché de la chaussure confort.
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Au cours des dernières décennies, la sandale a adopté une place singulière dans le monde de la chaussure. Si la marque a connu ses moments de gloire, elle ne s’est pas toujours montrée pertinente. Dans les années 90, c’est au mannequin iconique Kate Moss que l’on doit le premier coup de projecteur sur la marque germanique en arborant ses sandales à la sortie des podiums. En 2013 le groupe Birkenstock voit le jour et fait les gros titres. En février 2020 la marque fait parler d’elle lorsque le collectif de Brooklyn MSCHF propose sa version des Birkenstock, une paire à 76 000 dollars fabriquée à base de peaux de crocodile précédemment utilisées pour des sacs Hermès Birkin. Même si la marque n’était pas l’initiatrice de ce coup d’éclat, cette médiatisation soudaine lui aura permis une montée en gamme certaine dans l’univers de la mode.
Une success story qui s’accélère depuis cinq ans
Toujours en 2020, Birkenstock était élue sandale de l’année par Vogue (UK), les recherches liées à la marque augmentant dans la foulée de 225% (d’après l’application mode Lyst). Si, à première vue, l’entreprise semble en décalage avec le monde du luxe, elle intéresse toujours plus les maisons haut de gamme, une tendance qui s’est encore accélérée avec la pandémie, favorisant les produits conforts.
La sandale Arizona et le sabot Boston, également réservés à leur début à des clients peu regardant en matière de style, font maintenant partie des accessoires de mode incontournables. Même ceux qui les regardaient avec mépris reconnaissent aujourd’hui leur succès. Birkenstock n’est plus le symbole d’une contreculture, mais est devenue une marque iconique grâce à de fructueuses collaborations. De Proenza Schouler à Rick Owens, en passant par Valentino, la marque a été impliquée dans six collaborations avec de grandes maisons de mode depuis 2020. Quatre de ces collaborations ont même eu lieu au cours de cette année seulement, depuis que Birkenstock Group a été acheté par le fonds franco-américain L. Catterton (cofondé par LVMH) et la holding familiale Financière Agache, société d’investissement privée de Bernard Arnault, en février 2021.
Chaque chaussure a été fabriquée dans les usines Birkenstock par leurs artisans
Manolo Blahnik pour Harper's Bazaar
Une de ses dernières collaborations a lié Manolo Blahnik à Birkenstock le 24 mars dernier. Elle est née d’une campagne de la marque allemande qui révélait des portraits de personnalités photographiés chez eux portant la marque. «Birkenstock a fait partie de ma garde-robe depuis le début. J’aime porter les miennes depuis des années» se souvient Manolo Blahnik sur son propre site internet au printemps 2020, avec une photographie de Jack Davison le montrant auprès de Kristina Blahnik (CEO et nièce de Manolo). Le lien entre les deux marques s’est transformé en une collaboration fructueuse.
Vendus directement sur le site de Birkenstock, les modèles de la collaboration comprennent cinq styles revisités, déclinés en trois couleurs. Les habituelles lanières en cuir des sandales ont été remplacées par du velours satiné ou du cuir de veau, tous deux arborés des iconiques boucles carrées de Manolo. Quatre nouveaux modèles vont être mis en vente en juin.
Le confort avant tout, symbole de l’ère Covid
Quand le Harper's Bazaar a interrogé Blahnik sur sa vision de la collaboration, le designer a expliqué: «Je voulais faire quelque chose qui pouvait être porté de façon décontractée, mais qui se marierait aussi bien avec une robe de bal. Une sorte de Birkenstock habillée. Les pièces sont magnifiques. Chaque chaussure a été fabriquée dans les usines Birkenstock par leurs artisans.» Cet alliage entre glamour et fonctionnalité a tout de même un prix, puisqu’elle s’achète 810 dollars la paire.
Les bonnes collaborations sont de l’art, les collaborations géniales sont kitch
Ana Andjelic, high snobriety blog
Quel changement s’est donc opéré pour que des fashionistas soient désormais prêtes à investir un mois de loyer pour une simple paire de sandales? La série de collaborations a sans nul doute permis de valoriser la marque Birkenstock, en l’associant petit à petit à une mode haut de gamme plus exclusive, voire luxueuse. Les jeunes de la génération Z raffolent tout particulièrement de ce type de collaborations. On pourrait même penser que ce sont les grands acteurs de la mode qui se servent de leur collaboration avec Birkenstock pour conquérir une audience plus jeune. Et au fond, qui sort gagnant de ces alliances? Birkenstock a bien sûr gagné en notoriété et s’est forgée une place plus prépondérante dans l’industrie de la chaussure. Les maisons de luxe, elles, attirent des consommateurs plus jeunes le temps de ces collaborations exclusives. Cette stratégie semble donc gagnant-gagnant.
Avec la fin de la pandémie, la menace qui pourrait peser sur Birkenstock serait un éventuel retour à une mode plus sophistiquée, moins tournée vers le confort. Les journalistes et analystes de mode prévoyaient déjà la résurgence d’un habillement plus travaillé et élégant. Mais cela ne semble pas avoir été le cas en 2022. Bien au contraire. La tendance de fond reste au confort et à un style sportif décontracté. Et l’enchaînement des collaborations ne semble pas encore fatiguer les consommateurs, l’engouement restant certain: la dernière en date étant celle de la maison Dior, le 16 juin dernier. En effet, la prestigieuse marque dévoile sa collection capsule CD1947, et propose deux modèles emblématiques réinventés – les mules Tokio et les sandales Milano. Subtil hommage à la passion du couturier-fondateur pour le jardinage.
Un atypique mélange qui les rend irrésistibles. Comme Ana Andjelic l’a écrit dans son blog (High Snobriety): «Les bonnes collaborations sont de l’art, les collaborations géniales sont kitch.» Les collaborations de Bikenstock sont certainement les plus géniales de toutes.
Cet article, rédigé par Abigail Grace Dover, est l'un des deux textes gagnants du concours d'écriture développé par Luxury Tribune et adressé aux étudiants en MBA de l'Université IESEG School of Management de Paris et Lille
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