Stratégie

Puig Women’s America’s Cup: nouveau levier de soft power

Cristina D’Agostino

By Cristina D’Agostino17 octobre 2024

Sur le plan d’eau de Barcelone, les navigatrices ont su batailler pour conquérir la légendaire compétition vélique, remportée par les Italiennes de Luna Rossa Prada Pirelli. À terre, l’enjeu était double: démontrer que la voile féminine était capable d’attirer sponsor et public et pour Puig, entreprise globale de cosmétiques et de mode, de s’imposer sur la scène internationale.

L'équipe italienne de Luna Rossa Prada Pirelli victorieuse de la Puig Women's America's Cup 2024 (Ricard Pinto / America's Cup)

La Women’s America’s Cup représente une énorme avancée pour la voile féminine

Hannah Mills, navigatrice anglaise pour le team britannique Athena Pathway

Dès l’entrée sur scène des douze représentantes des équipes en lice, lors de la conférence de presse qui lançait la Puig Women’s America’s Cup, le 7 octobre dernier, il était clair qu’elles n’étaient pas venues faire de la figuration. Les 70 navigatrices sont parmi les plus titrées de l’histoire de la voile, comptant dans leur rang pas moins de sept médaillées d’or, dix d’argent et quatre de bronze. Pour certaines, comme Hannah Mills (UK team Athena Pathway) ou Giulia Conti (team italien Luna Rossa Prada Pirelli), la bataille allait se dessiner avec des contours encore un peu plus acérés, prêtes à mener, en parallèle, la bataille que les équipes masculines se livraient au même moment sur l’eau. Pour d’autres, comme Nathalie Brugger de l’équipe Alinghi Red Bull Racing, c’était une revanche qu’elles étaient venues chercher – les équipes masculines et Youth Alinghi Red Bull Racing ayant été éliminées.

Faire progresser la voile féminine

Hannah Mills, navigatrice anglaise pour le team britannique Athena Pathway (Ricardo Pinto/ America's Cup)

Au-delà de la stricte comparaison rendue impossible puisque les bateaux ne sont pas identiques, c’est un moment historique qu’elles ont eu conscience de vivre. Jamais en 173 ans, des navigatrices n’avaient pu espérer régater pour ce trophée, le graal absolu de tout marin, homme ou femme, qui aime le match racing. Hannah Mills, navigatrice britannique parmi les plus titrées de l’histoire de la voile olympique en classe 470 et très aguerrie également sur les catamarans F50 (elle fait partie de l’équipe britannique le Great Britain SailGP Team dirigée par Sir Ben Ainslie) explique: «La Women’s America’s Cup représente une énorme avancée pour la voile féminine. La génération avant nous s’est âprement battue pour cela. C’est elle qui a ouvert la voie. La nôtre fait tout ce qu’il faut pour consolider ces avancées et je suis sûre que la suivante aura la voie libre pour progresser aisément.»

Les monocoques sur foils AC40 des équipes féminines étaient tous identiques. La finale a opposé le team britannique de Athena Pathway contre le team italien Luna Rossa Prada Pirelli (Ricardo Pinto / America's Cup)

Nous gagnons en expérience. Bien sûr, rejoindre un AC75 c’est évidemment ce que nous désirons toutes. Mais bientôt nous serons suffisamment capables de naviguer avec les hommes

Manon Audinet, skipper du bateau français Orient Express Racing Team

Pendant les dix jours de compétitions, les conditions en mer ont été fidèles à celles que l’organisation de la 37e America’s Cup connaissait déjà depuis le lancement des préséries qualificatives en août dernier: une météo instable, avec peu de vent, puis des rafales suivies de calme plat, un ensemble qui a mis les nerfs des 70 navigatrices à rude épreuve. Alors que les équipes masculines en lice pour la coupe étaient au nombre de six, dont le Defender néozélandais Emirates Team New Zealand, les équipages féminins étaient douze à se disputer le titre de la Puig Women’s America’s Cup (6 attitrés et 6 invités). Un nombre restreint d’athlètes à bord (4 navigatrices sur les AC 40 au lieu de 8 navigateurs sur les AC 75), des batteries déjà chargées (alors que les hommes doivent produire leur propre énergie à coup de pédalage) – des monocoques strictement identiques et 4 legs au lieu de 8 ont défini les règles de navigations des femmes. Mais ces différences n’ont en rien entamé la complexité de naviguer sur les engins volants. Est-ce que l’intensité était semblable à ce qu’une athlète peut ressentir aux Jeux olympiques? Hannah Mills double médaille d’or (JO de Tokyo 2020 et Rio 2016) et médaillée d’argent à Londres en 2012, poursuit: «Oui, c’est assez similaire. Tout est très intense, l’adrénaline est au maximum en navigation. Il faut aller chercher le meilleur en tout. La seule différence, c’est que sur les AC 40 ça va beaucoup plus vite!»

Des équipages mixtes en vue

Giulia Conti, barreuse du bateau italien Luna Rossa Prada Pirelli grand vainqueur de la PUIG Women’s America’s Cup (Ricardo Pinto / America's Cup)

Nous sommes une grande équipe, nous travaillons ensemble. Naviguer sur ces bateaux est fantastique, c’est la meilleure expérience de toute ma vie

Giulia Conti, barreuse du bateau italien Luna Rossa Prada Pirelli grand vainqueur de la PUIG Women’s America’s Cup

À la question de savoir si elles se verraient naviguer dans un équipage mixte sur un AC75 ? Toutes répondent par l’affirmative, même si elles n’ont, pour l’heure, pas eu l’occasion de monter à bord de l’un d’entre eux. Manon Audinet, skipper du bateau français Orient Express Racing Team, qui navigue également sur SailGP racontait: «Je suis heureuse de faire partie de cette PUIG Women’s America’s Cup. De pouvoir naviguer sur le plan d’eau de Barcelone, en tant que femme, c’est tout simplement exceptionnel. Nous gagnons en expérience. Bien sûr, rejoindre un AC75 c’est évidemment ce que nous désirons toutes. Mais bientôt nous serons suffisamment capables de naviguer avec les hommes. » À terre, les équipages féminins étaient totalement intégrés à l’équipe globale, partageant les analyses de datas, les styles d’entraînement. Giulia Conti, barreuse du bateau italien Luna Rossa Prada Pirelli grand vainqueur de la PUIG Women’s America’s Cup, samedi 12 octobre, commentait: «Nous avons reçu un énorme support de toute l’équipe. Voir la Youth America’s Cup être remportée par l’Italie nous a donné confiance. Nous sommes une grande équipe, nous travaillons ensemble. Naviguer sur ces bateaux est fantastique, c’est la meilleure expérience de toute ma vie.»

Plus que de force physique, il était question d’exercer «la rapidité de décision, d’avoir les bons réflexes au bon moment, de communiquer avec précision, expliquait Nathalie Brugger de l’équipage Alinghi Red Bull Racing. Nous vivons un Momentum en voile féminine. Il faut continuer à y croire, naviguer avec plaisir, et ce sera la meilleure manière d’atteindre le but.»

Les Italiennes de Luna Rossa Prada Pirelli ont su mieux planer au-dessus de l'eau et remporter la victoire. L'équipe Luna Rossa Prada Pirelli avait également remporté la Youth America's Cup. L'équipe des hommes, sur AC75 n'ont, eux, pas réussi à se hisser en finale de l'America's Cup (Ricardo Pinto / Amercia's Cup)

Soutenir l’empowerment féminin et le faire savoir

Communiquer, c’était aussi l’affaire de Puig (prononcer «poutch»), qui décidait, pour la première fois de son histoire, de positionner le groupe sur la scène internationale. Maison catalane de marques de mode, de cosmétiques et de fragrances haut de gamme, créée en 1914 par Antonio Puig, cette entreprise familiale se considère aujourd’hui comme le challenger de l’industrie de la beauté et de la mode mondiale.

Son IPO réussie en mai dernier l’a soudainement propulsée d’acteur important à puissante entreprise à scruter de très près. Peu savent que les marques de mode Carolina Herrera, Paco Rabanne, Jean Paul Gaultier, Dries Van Noten et Nina Ricci, entre autres, appartiennent au groupe basé à Barcelone. Mais ce sont aussi les fragrances, soins et cosmétiques Byredo, Penhaligon’s, L’Artisan Parfumeur, Charlotte Tilbury, Uriage et Apivita, parmi d’autres qui sont tombées dans l’escarcelle de Puig. L’appétit du groupe n’a pas l’intention de s’arrêter là. Après le palier conséquent franchi le 3 mai dernier lorsque les actions de catégorie B de Puig Brands, SA ont été admises à la négociation sur les quatre bourses espagnoles, l’entrée de Puig, le 23 septembre dernier dans les indices STOXX Europe 600, EURO STOXX, STOXX Global Total Market, STOXX Spain Total Market, et autres indices dérivés permettent au groupe de voir plus grand.

Marc Puig, PDG du groupe Puig était sur scène pour remettre le trophée de la Puig Women's America's Cup, aux côtés de Karlie Kloss, mannequin américain et ambassadrice du parfum Good Girl de Caroline Herrera, marque appartenant au groupe Puig (Puig)

En 2023, son chiffre d’affaires atteignait 4,3 milliards d’euros (3,62 milliards en 2022) et enregistrait au premier semestre 2024 un chiffre d’affaires de 2,17 milliards d’euros. L’entrée sur les marchés boursiers devrait permettre à l’entreprise de nouveaux positionnements. Car si l’histoire de Puig a débuté par le rouge à lèvres (Milady, 1922) et le parfum (Agua Lavanda, 1939) grâce au fondateur, la deuxième génération a très vite développé les secteurs d’activité à l’international, alors que la troisième génération, emmenée par Marc Puig, président-directeur général a notablement élargi le portefeuille de marques, ces quinze dernières années.

Le soutien de Puig contribuera à inspirer les générations féminines futures afin qu’elles participent activement à la voile de compétition et fassent ainsi tomber les barrières dans ce sport

Marc Puig, PDG du groupe Puig

Jamais en 110 ans, l’entreprise qui porte le nom de la famille fondatrice n’avait communiqué en tant que groupe depuis sa fondation. Jusqu’à aujourd’hui, l’empire familial souhaitait exclusivement se concentrer sur les marques et leurs résultats. Mais l’entrée en bourse a rebattu les cartes et redessiné les priorités. Désormais, il s’agit de montrer à ses actionnaires sa légitimité sur un marché mondial de la mode et de la cosmétique très concurrentiel. La première Women’s America’s Cup était, à n’en pas douter, le parfait instrument pour véhiculer la nouvelle image de marque du groupe à peine redessinée.

Cependant, la parole reste rare chez les Puig. C’est d’ailleurs une des spécificités de l’entreprise, puisque dès la deuxième génération, une séparation nette a été instituée entre l’entreprise et la famille. Le point crucial était d'imposer une limite au pouvoir familial. Il a été établi que les conseils d'administration des sociétés d'exploitation devaient toujours être composés d'une majorité de membres extérieurs à la famille.

Actuellement, seuls deux membres de la famille sont en poste, dont son PDG Marc Puig. Il s’était d’ailleurs exprimé lors de l’annonce du partenariat global de l’entreprise avec l’America’s Cup et la Women’s America’s Cup: « Le soutien de Puig contribuera à inspirer les générations féminines futures afin qu’elles participent activement à la voile de compétition et fassent ainsi tomber les barrières dans ce sport.»  

Si la voile a longtemps été une passion familiale que Puig avait limitée aux championnats espagnols Copa del Reiy (1984 à 2006), puis Vela Clàssica, cette première incursion dans la cour des grands était une manière d’activer un levier de soft power à l’attention des acteurs phares de l’industrie et des consommatrices dans le monde. La Women’s America’s Cup sera désormais un nouveau porte-voix pour se positionner au cœur de l’empowerment féminin.

Le géant du luxe français LVMH avait, cet été, très bien compris cette importance du positionnement sport pour soigner son image, en déclinant ses quatre lettres en grand sur tous les visuels des Jeux olympiques.

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