Pourquoi le style féroce des années 90 fascine toujours
La fascination pour les années 80-90, cet intense besoin de provoquer, de voir grand, d’aller vite et fort, fait aujourd’hui écho à l’urgence de notre décennie. Partout, les codes du XXIe siècle s’inspirent de cette liberté-là, dans l’art, la mode et l’horlogerie. Icône de ces années-là, la Royal Oak Offshore célèbre justement 30 ans d’anticonformisme.
Il n’y a qu’à voir les rétrospectives artistiques, les inspirations graphiques et vestimentaires qui fleurissent dans les musées et vitrines du monde entier, depuis quelques mois. «Basquiat x Warhol, à quatre mains» à la Fondation Louis Vuitton, permet de questionner notre rapport aux violences, au racisme, comme à la folie consumériste. Ou encore «1997 Fashion Big Bang» au Palais Galliera, qui analyse la mode des années 90, époque charnière vers le nouveau millénaire. Aujourd’hui, partout se manifeste un nouvel élan vers l’anticonformisme et les slogans forts. Un besoin de rupture, pour faire face à l’urgence, qu’elle soit climatique, sociale ou géopolitique.
La jeune génération post-Covid s’inspire de ce mouvement street art et streetwear, né dans les rues de Los Angeles ou de New York, à la fin des années 80, qui cohabitait avec les golden boys chics et puissants du bouillonnant Wall Street. Jean-Michel Basquiat, ce «Radiant Child», artiste militant surdoué à l’œuvre foisonnante est un vibrant symbole de cette époque. Il incarne un engagement, ce nécessaire anticonformisme né des années 70 et 80 qui dénonçait les ségrégations et les interdits. Aujourd’hui, ce même besoin se lit sur les murs et se manifeste dans les rues. Avec le même espoir que soudain, tout soit possible.
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Les années 80, terreau de design forts et colorés
Ce terreau a été propice aux inventions de design forts au début des années 90. Toutes les industries s’en inspirent. Le premier iMAC aux couleurs flashy, fluo, pop faisait son apparition, alors qu’en mode, le streetwear extralarge s’imposait. C’est dans ce contexte que naît, début 90 en horlogerie, la Royal Oak Offshore, prémisse d’un style où tout est plus grand, puissant, brillant.
François-Henry Bennahmias, CEO d’Audemars Piguet confie: «La Royal Oak Offshore se caractérise par son esthétique à la fois raffinée et industrielle: en quelques mots, on ne peut pas l’enfermer dans une boîte. C’est l’essence même de la collection Offshore: perturber ce qui est figé et old school, être à la fois la Belle et la Bête.»
À l’époque, en 1989, Steve Urquhart codirige la marque Audemars Piguet avec Georges-Henri Meylan. Alors, la famille Royal Oak compte déjà 129 modèles différents, dont 86 dotés de calibres à quartz. La montre «sport-chic» était née avec la Royal Oak, la montre des superlatifs va naître avec la Royal Oak Offshore. Peu de marques horlogères pressentaient alors que le besoin d’un nouveau style de montres allait se faire sentir. Steve Urquhart écoute pourtant un important distributeur de montres allemand, Dierk Wettengel, qui lui souffle cette tendance.
La pensée néolibérale domine
Le contexte de l’époque est dominé par un mouvement de libéralisation, de dérèglementation et de globalisation de l’économie et de la finance. La pensée néolibérale est partout. Et cela se voit, des yachts surpuissants, aux bolides rutilants. Steve Urquhart explique, dans un communiqué: «Lors de mes discussions avec M. Wettengel, il m’a parlé d’une pièce maîtresse pour les années 90, qui, selon lui, devrait s’inspirer de l’idée des bateaux-cigarette et de l’offshore, qui prend de plus en plus d’importance.» C’est alors que le jeune designer de 22 ans, Emmanuel Gueit, qui avait rejoint la marque en 1987 aux côtés de Jacqueline Dimier, entreprend les premières esquisses. Sa culture du design horloger est façonnée par les grandes réalisations de son père, créateur de nombreux succès horlogers, mais également par Gérald Genta et Jacqueline Dimier. Il raconte: «J’étais un jeune designer, très insouciant, persuadé que tout ce que je faisais était juste, comme on peut le croire à cet âge. C’était une époque formidable, où tout était permis. Chez Audemars Piguet, l’énergie que Steve Urquhart a mise sur le projet a été déterminante. Pour lui, l’essentiel était d’essayer, de voir si le succès allait être au rendez-vous. Et si ce n’était pas le cas, alors on passait à autre chose. L’époque était très créative. Le marketing n’existait pas et on ne passait pas son temps à regarder les autres. L’idée était de créer une montre pour les jeunes, et d’aller chercher une nouvelle clientèle.»
«The Beast» provoque une onde de choc
Ses gouaches présentent déjà les principaux attributs de la future collection Royal Oak Offshore en 1989: boîtes surdimensionnées (42 mm de diamètre, 16 mm de hauteur), joints d’une épaisseur importante, couronnes recouvertes de caoutchouc coloré bleu, vert, jaune ou rose, maillons arrondis.
La taille de la Royal Oak Offshore de 42 mm de diamètre paraît gigantesque pour l’époque. À côté, la plus grande des Royal Oak ne mesure que 36 mm. C’est pourtant ce qui sera décidé. Puissante et virile, elle est créée pour imposer un nouveau style, plus osé. Elle sera présentée à la Foire de Bâle de l’époque, en avril 1993. Immédiatement, la montre crée une onde de choc. Le scandale de ce modèle outrancier dans ses dimensions comme dans son allure se propage en quelques secondes chez tous les distributeurs qui comptent. Son surnom «The beast» naît dès les premiers instants. La réaction de Gérald Genta est tout aussi crue; il dira dans un entretien en 2011: «Quand j’ai vu la première Offshore, j’ai hurlé au fou!»
À ce propos, Raphaël Balestra, Manager Patrimoine et Archives chez Audemars Piguet, explique dans un communiqué : «Le scandale qu’elle provoque à sa sortie est proportionnel à sa démesure. Mais si le monde horloger s’indigne, les jeunes l’adoptent. Malgré des débuts difficiles, la Offshore finira par atteindre la notoriété et à s’imposer durant les années 2000.»
Emmanuel Gueit, aujourd’hui designer indépendant en horlogerie et en joaillerie, auteur de nombreux succès horlogers à l’instar de son père revient sur le scandale provoqué: «Je n’en avais rien à faire. Je me suis dit que c’était de bon augure, car cela avait été également le cas lorsque la Royal Oak était sortie en 1972. J’ai toujours cru en cette montre, depuis ma première esquisse. Je me suis battu pendant quatre ans contre les réfractaires, qui n’y croyaient pas. Mais moi je le sentais, j’avais une vibration dans le ventre qui ne s’explique pas. Heureusement, Steve Urquhart y a cru. L’avenir nous a donné raison.»
Trente ans d’anticonformisme
Depuis lors, la Royal Oak Offshore a été adoubée par toute l’horlogerie et de grandes personnalités du milieu sportif et artistique, à l’image de Jay-Z, LeBron James, Serena Williams ou Arnold Schwarzenegger grand fan déjà en 1997. Sur ce point, François-Henry Bennahmias explique: «Le concept hors norme et démesuré de la Royal Oak Offshore a ouvert les portes de la street culture à Audemars Piguet et par la suite à toute l’industrie horlogère. La collection fête cette année ses 30 ans et n’a pas fini de nous surprendre.»
Trente ans plus tard, en 2023, la Royal Oak Offshore trouve toujours le chemin de l’avant-garde. Elle accueille ses premiers modèles entièrement en céramique, dont la nouvelle Royal Oak Offshore Tourbillon Volant Chronographe Automatique en céramique noire et un cadran architecturé associant des tons noir et vert.
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