Pour résister, la montagne vise les sommets de l’ultraluxe
En 2100, on ira toujours aux sports d’hiver, mais on ne les pratiquera plus comme aujourd’hui. La faute au réchauffement climatique? Pas seulement. Les stations en danger doivent à tout prix se diversifier et pour les autres, le salut passe par l’ultraluxe.
La fameuse devise des Jeux olympiques «Plus vite, plus haut, plus fort» inventée par Pierre de Coubertin peut désormais s’appliquer au plan marketing des stations de sports d’hiver. Malgré le réchauffement climatique, et les catastrophes annoncées, jamais les stations de ski n’ont attiré autant de monde. Le taux de remplissage cet hiver en France progresse de 7% par rapport à 2022, soit davantage que l’inflation. Le prix du mètre carré d’un appartement à la montagne a pris 30% depuis le Covid dans certaines stations huppées de l’Hexagone (+13,8% en moyenne en Suisse), les hôtels sont de plus en plus luxueux et les investisseurs affluent. En Suisse aussi l’engouement est tangible: à Crans-Montana, un Resort Six Senses imaginé par le studio AW2 doit ouvrir prochainement et le rachat de l’hôtel 5 étoiles Le Crans par des Saoudiens a fait grand bruit. En France, c’est l’ouverture du nouveau Club Med de Tignes, dessiné par l’architecte Jean-Philippe Nuel en décembre dernier qui a dynamisé la station. «C’est une nouvelle destination qui allie parfaitement nos deux objectifs, luxe et écoresponsabilité», a lancé Henri Giscard d’Estaing, président du pionnier des vacances all inclusive.
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Partout à la montagne, l’ultraluxe gagne du terrain.
Le designer d’intérieur très exclusif Christophe Tollemer est débordé de projets, notamment à Courchevel pour de riches clients français ou étrangers. La décoratrice Solène Eloy, avec son agence L’Atelier du mur, est en plein chantier dans un grand chalet de Savoie pour un particulier à Méribel. Quant aux stations, elles rivalisent de tables 2 ou 3 étoiles Michelin et de grands chefs. Et il faut réserver au moins une semaine à l’avance, comme dans les grandes capitales. Malgré les alertes météo et l’enneigement historiquement bas, l’engouement ne se dément pas. Plusieurs facteurs expliquent la demande en hausse pour des achats d’appartements ou de chalets en station. La pandémie d’abord a renforcé l’envie d’une résidence secondaire, de grand air et de randonnées. Le contexte a permis à de nombreux acheteurs de se renforcer dans des projets d’investissements, dans un contexte de taux d’intérêt bas qui ont incité à l’investissement dans l’immobilier de loisir ou de rente. La limitation des constructions et une forte demande ont eu un impact important sur les prix qui ont connu une très forte augmentation. «Les initiatives pour la préservation de la nature, ainsi que celles visant à limiter les résidences secondaires, réduisent le développement de l’offre», analysent Jonas Wiesel et Joan Rodriguez, cofondateurs de Realadvisor.
Les stations ont le choix entre se diversifier ou monter en gamme
Timothée Gaget le CEO de l’agence Artcher
L’immobilier de montagne est également une vraie valeur refuge dans un contexte mondial complexe, et les Alpes suisses, françaises et italiennes restent un havre de paix facilement accessible de toute l’Europe. Malgré cela, 100 ans après l’invention du ski et des sports d’hiver, le modèle que nous avons connu jusqu’à maintenant est en train de changer considérablement. Le ski alpin est né dans les années 30 comme activité touristique. Mais c’est après la guerre que le tourisme de masse explose. Jean-Claude Killy dans les années 60 impose le ski comme sport no 1, devant le football. Ce qui conduit la discipline à se démocratiser, y compris dans les classes moyennes.
Aujourd’hui, le prix des forfaits explose à près de 1500 euros par semaine pour une famille, et le pass VIP Faste Lane a fait son apparition dans certaines stations comme Les Arcs ou Crans-Montana. «En 2100, explique Christophe Lavaut, directeur général de Val-d’Isère tourisme, on pourra encore skier sur Val-d’Isère, mais pas dans les mêmes conditions.» Désormais, on ne s’adresse plus aux classes moyennes, étant donné la très forte augmentation des investissements technologiques, bassins de retenue d’eau, canons à neige. Compenser la faiblesse historique de l’enneigement contraint les stations à faire payer plus cher. «Les stations ont le choix entre se diversifier ou monter en gamme», analyse Timothée Gaget de l’agence Artcher. Dans les stations de village ou celles du sud des Alpes, il y a déjà vingt ans que l’on a commencé à adopter une stratégie de plus grande variabilité des activités: désaisonnalisation avec le VTT ou les ultratrails l’été, comme Champéry, Chamonix ou Les Arcs, promotion du ski de fond, des raquettes, festival de cinéma à Chamrousse, ou de sculpture sur glace à Valloire.
Diversification des activités et expériences luxe hors des pistes
Il n’est qu’à constater le succès du concept de la Folie Douce, un repaire de fêtards au pied des pistes, connu pour ses après-midis endiablées. Du simple restaurant d’altitude à Val-d’Isère, le concept est devenu un groupe de loisirs de 700 salariés avec huit adresses dans les Alpes et même un hôtel à Chamonix. «Nous avons pressenti que les vacances à la montagne n’allaient plus seulement être des vacances de ski, explique Artur Reversade, fils du fondateur, désormais aux manettes de La Folie Douce. Les clients recherchaient et recherchent encore une expérience riche qui ne se vit pas uniquement sur les pistes.» L’offre et l’attrait pour la montagne se développent ainsi hors du ski et de la saison hivernale. Résultat, toutes sont contraintes d’innover, d’inventer. Avoriaz qui a connu presque deux années blanches, pour cause de Covid et de manque de neige, mise sur l’art et le recyclage du matériel de ski usagé qu’elle confie notamment au street artiste Nasty pour un projet d’upcycling assez ambitieux à base de panneaux de signalisation et de skis abîmés. D’autres diversifient les publics: dans les stations les plus recherchées comme Courchevel, Méribel ou Val-d’Isère, il y a désormais plus d’étrangers que de locaux. «Le marché s’est fait naturellement, nous n’avons pas cherché à cibler ces publics», répond l’Office du Tourisme de Val-d’Isère, où les Français ne représentent plus que 38%, soit la deuxième population après les Britanniques. Les stations dont les domaines skiables sont situés à des altitudes plus élevées continuent de s’apprécier à l’international (+25% de demande dans le top 5 des stations suisses en 2021).
Les clients recherchaient et recherchent encore une expérience riche qui ne se vit pas uniquement sur les pistes
Artur Reversade, fils du fondateur et Directeur actuel de La Folie Douce
Cependant, en France, en Suisse et en Italie, de nombreuses stations de petite ou de moyenne montagne, développées autour de villages montagnards, sont en danger en raison de l’absence de neige, d’investissements dans des canons à neige ou du non-renouvellement des remontées mécaniques. La limite pluie-neige est passée de 1200 à 1500 mètres d’altitude ces dernières années, ce qui met en péril les domaines dont les pistes sont situées trop bas. En France, 35% des domaines skiables dépendent de la neige artificielle, mais 66% en Autriche et 90% en Italie. Les stations doivent-elles tout faire pour investir dans le renouvellement des infrastructures et remontées mécaniques? Pour être viable, l’exploitation d’un domaine skiable doit être de cent jours minimum en moyenne. Une chose est sûre, les prévisions des scientifiques démontrent que l’enneigement sera toujours plus tardif et toujours à plus haute altitude. Les stations de montagne de basse altitude sont donc en danger de mort, si elles ne changent pas radicalement leur approche. Certaines jettent l’éponge, d’autres cherchent des modèles de développement plus écologiques ou moins dépendants du ski alpin. La région Rhône-Alpes a investi il y a six ans plus de 30 millions d’euros pour l’enneigement artificiel des stations et la création de bassins de rétention d’eau. Mais les écologistes veillent et ces projets ne convainquent pas toujours les populations locales, même avec les meilleures raisons économiques.
Alors certaines ont opté pour une montée en gamme, ces dernières années. Le Club Med a rénové son village de Tignes Val Claret, «nouvelle pépite des alpes françaises», selon Le Figaro offrant tous les derniers services mis en place par l’inventeur du village de vacances, comme un spa d’exception ou une restauration haut de gamme, à partir de 3000 euros la semaine pour deux. Val-d’Isère, qui a vu son premier 5-étoiles ouvrir en 2010, a depuis lors doublé son offre de chambres de luxe. Et multiplie festivals et conférences comme les Napoléons, pour attirer les hauts revenus en dehors des vacances scolaires. Le fruit d’un rattrapage de l’offre sur le segment le plus rentable du marché qui correspond aussi à la valorisation de nombreuses variables non associées au domaine skiable: restauration, bars, clubs, boutiques, offre bien être… Il n’est qu’à voir le retour en vogue de Megève, où la pratique du ski alpin n’est qu’un prétexte, mais dont les luxueux établissements affichent toujours complet! Ceux qui fréquentent ce type de station sont davantage à la recherche d’une résidence secondaire, d’une activité sociale, d’un lieu pour se retrouver en famille ou pratiquer le ski de fond ou la randonnée.
D’ailleurs, en France, le chiffre d’affaires associé au ski de fond a doublé entre 2020 et 2021, passant de 10 à près de 20 millions d’euros. Si la diversification, modèle souvent érigé par ceux-là mêmes qui ignorent tout de l’économie de la montagne, est souvent mise en avant, c’est surtout la montée en gamme qui permet aux stations de sport d’hiver de s’en sortir. En effet, 95% du chiffre d’affaires est réalisé pendant la période de ski et les investissements sont donc plus facilement amortis par les forfaits et les activités para-alpines que les autres. Mais toutes les stations, notamment en France (le plus grand domaine skiable d’Europe avec 120 000 emplois et 10 millions de touristes), ne parviendront pas à résister à la fin d’un modèle imaginé il y a des décennies. Une autre époque. Un autre monde.
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