La ruée sur les vignobles de prestige engagée par les maisons de luxe en quête de rentabilité et de diversification ne faiblit pas. Le changement climatique influe sur la capacité de production et la qualité des terroirs. Un phénomène qui pousse les groupes à diversifier leur approvisionnement.
34,3 Md €
La valeur des exportations mondiales de vin en 2021
+19%
Croissance du CA de la division Vins et Spiritueux de LVMH en 2022
18 Mio
Litres de vin vendus chaque année en Inde
Depuis la fin de la pandémie et en raison d’une demande croissante de vins premium, les grands groupes de luxe se disputent les vignobles les plus prestigieux du globe. Cet engouement s’explique par la reprise de la consommation mondiale de vin, en légère augmentation en 2021 (+0,7%), atteignant 236 millions d’hectolitres grâce à la réouverture des bars et des cafés et à la reprise du tourisme et des événements. Le rapport annuel de l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), rédigé en avril 2022 pour l’année précédente, est éloquent: «Contrebalançant la chute observée dans la valeur des exportations mondiales de vin en 2020, en raison du Covid-19, la valeur des exportations mondiales en 2021 a atteint le niveau record de 34,3 milliards d’euros.»
S'inscrire
Newsletter
Soyez prévenu·e des dernières publications et analyses.
De nouveaux segments, comme celui des vins bios, dynamisent également le marché: au sein du Symposium Act for Change organisé en juin dernier à Bordeaux, Cyril Grira, directeur Retail & Omnichannel chez Google France, a évoqué l’accélération des recherches de vins et spiritueux sur le moteur de recherche Google à l’instar des termes «vins bios» qui ont été multipliés par trois. Le manque de connaissances du consommateur en la matière (80% des recherches sont génériques) et l’absence de visibilité des petits producteurs constituent un frein à la performance de ce secteur.
Dans ce contexte, la garantie de qualité assurée par de grands groupes comme Kering ou LVMH peut être un levier de croissance pour la renommée de petits producteurs, hautement recherchés par les groupes de luxe. Aujourd’hui, face aux aléas du changement climatique qui modifient les qualités organoleptiques des cépages, il faut pouvoir renouveler la palette des terroirs.
Parallèlement, il est indispensable de renouveler les débouchés du marché vinicole. Si les conditions climatiques influent sur la production, les aléas géopolitiques influencent les ventes: on a pu le constater en 2022 avec les crises majeures qui ont touché d’importants pays importateurs comme la Chine ou la Russie. Selon la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France, en 2021, la Russie a importé pour presque 198 millions d’euros de vins français, un chiffre qui représentait 15% du chiffre d’affaires des exportateurs de vins de l’Hexagone, aujourd’hui pénalisés par les sanctions contre Poutine. Quant à la Chine, l’association chinoise pour les importations a communiqué des importations de vins et spiritueux sur les cinq premiers mois de 2022 en chute de 14% pour cause de confinement.
L’un des nouveaux marchés prometteurs est sans nul doute le marché africain. La Côte d’Ivoire, avec 4 millions de bouteilles de bordeaux vendues en 2021, pour 9 millions d’euros, est le premier pays du continent à se placer dans le top 10 du classement des principales destinations d’export des vins bordeaux. Le Cameroun suit de près et occupe la douzième position.
KERING et LVMH: les empires du luxe à la conquête des vignobles
La famille Pinault est bien décidée à investir plus dans le secteur des grands vins: les fondateurs milliardaires du groupe Kering ont finalisé, en décembre 2022, l’acquisition du champagne Jacquesson, en main de la famille Chiquet depuis 1974, qui exploite plus de 40 hectares de vignes. La production de ce champagne – considéré comme de niche–, délivre annuellement 250 000 à 300 000 bouteilles ; son image de marque reste très exclusive. Fondée en 1798, la maison vinicole aurait été la préférée de Napoléon 1er qui lui aurait accordé une médaille d’or en 1810 pour la richesse de ses caves dans la Marne. Une bouteille de champagne Jacquesson coûte de 60 à 400 euros, pour les cuvées plus prestigieuses. Le dernier chiffre d’affaires connu de la maison, datant de 2019, était de 6,4 millions d’euros.
L’opération financière s’est déroulée à peine deux mois après l’annonce de la fusion du groupe d’investissement Artémis – fondé par François Pinault en 1992 et dont les fonds actifs atteignent 43 milliards d’euros – avec la prestigieuse maison vinicole historique Henriot. Cette dernière est devenue ainsi actionnaire minoritaire du groupe. François Pinault a obtenu les 3/4 du capital global et la famille Henriot 25%. Cette fusion a permis une valorisation du capital total des deux sociétés à 800 millions d’euros. L’objectif des Pinault serait aujourd’hui de donner vie à un groupe de référence dans le monde très compétitif des spiritueux. Artémis Domaines, sous-groupe du fonds d’investissement Artémis, possède à l’heure actuelle de nombreuses marques emblématiques de vin, telles le Chateau-Grillet (vallée du Rhône) ou le Château Latour (Bourgogne), ainsi que plusieurs domaines aux États-Unis (l’Eisele Vineyard en Californie ou encore Beaux Frères dans l’état de l’Oregon).
Du côté de LVMH, la situation n’est pas moins pétillante. En juillet 2022, Moët Hennessy, division des vins et spiritueux de luxe du groupe, a annoncé l’acquisition du vignoble Joseph Phelps, propriété californienne de référence pour les œnologues américains, grâce à sa riche collection de vins de Napa Valley. Dans leur catalogue, le «Insignia», un des vins californiens les plus appréciés par les consommateurs, affiche un prix pour une bouteille à 300 euros. Récompensé à de nombreuses reprises par la presse internationale, ce vin a atteint la note maximale de 100 points, décernée par l’influente Robert Parker Wine Advocate, la célèbre publication américaine sur les vins conçue par l’œnologue Robert Parker, dont la réputation n’est plus à faire.
Comme pour Kering, cette acquisition s’inscrit dans la stratégie de développement de Moët Hennessy, qui poursuit l’objectif d’enrichir son portefeuille de vins et spiritueux de prestige en y annexant des maisons aux fortes valeurs d’excellence.
Aujourd’hui, la division Vins et Spiritueux de LVMH se porte bien, malgré la légère inflexion des ventes enregistrée en 2020 pour cause de pandémie. Elle a atteint 5,9 milliards d’euros en 2021 et a poursuivi sa lancée en 2022, avec 7,099 milliards et une croissance de 19% par rapport à l’année précédente.
Événement symptomatique de la concentration du groupe sur la section premium du secteur, LVMH annonçait en 2019 la création de «LVMH Vins d’Exception», une entité qui regroupe les plus prestigieuses propriétés viticoles du groupe de luxe: Château d’Yquem, Colgin Cellars, Château Cheval Blanc, le Clos des Lambrays ou encore Château Cheval Blanc.
D’après le rapport annuel de Brand Finance, la maison de champagne Moët & Chandon, appartenant au groupe, a été la marque de vin et de champagne la plus valorisée en 2022, augmentant sa valeur de 15% par rapport à l’année précédente. Dans la foulée, et toujours selon Brand Finance, la division Vins et Spiritueux LVMH voyait trois de ses maisons se classer au sommet des marques en 2022. Si Moët & Chandon occupe la première position, Veuve Clicquot monte sur la deuxième marche du podium. La célèbre maison de champagne, forte de ses 250 ans d’existence, enregistre une valeur de 962 millions de dollars. Chandon se retrouve troisième avec une valorisation à 939 millions de dollars, et Dom Perignon, énième fleuron de la galaxie LVMH, occupe la 5e position du classement.
Le marché du champagne en quête de nouveaux territoires d’exportation
L’année 2022 aura été une excellente année pour chaque région viticole en France. Mais pour le champagne, c’est un nouvel âge d’or qui semble avoir commencé. Si le millésime 2021 avait été catastrophique, à cause d’un gel tardif survenu au printemps, et qualifié de «plus grande catastrophe agronomique de ce début de siècle», par le ministre français de l’Agriculture, la récolte 2022 a été excellente dans la quasi-totalité des régions françaises, dépassant de 4% la moyenne des cinq dernières années. La filière viticole française a terminé donc l’année 2022 en affichant un chiffre d’affaires approximatif de 6 milliards d’euros, en augmentation de 0,3 milliard par rapport à l’année précédente, selon les données du Comité interprofessionnel du vin de Champagne.
L’export du champagne représente aujourd’hui environ 60% de l’ensemble des ventes et la demande est croissante.
Si les importations russes sont en berne, de nouveaux marchés internationaux s’ouvrent progressivement. Si l’intérêt de l’Afrique est croissant, celui des pays asiatiques hors Chine l’est également. Avec une augmentation moyenne de 10% par an depuis 2010, le marché des boissons alcoolisées au Vietnam est actuellement l’un des plus dynamiques d’Asie.
En 2018, Times of India estimait que le marché autochtone du vin allait doubler tous les cinq ans. Aujourd’hui estimé à 150 millions de dollars, le vin importé représente 30% du total de la consommation, le reste étant approvisionné sur le plan national. La population indienne adulte semble connaître un changement profond qui normalise la consommation d’alcool, en particulier dans les métropoles. Le tabou social et culturel autour des boissons alcoolisées se dissipe lentement.
Chandon – marque de Moët Hennessy-LVMH qui produit du vin mousseux en Argentine, au Brésil, en Chine, en Inde, en Australie et aux États-Unis – s’est allié à des viticulteurs de la région de Nashik, le cœur viticole de l’Inde situé à environ 200 km au nord-est de Bombay dans l’État du Maharashtra, pour développer sa production locale de vin mousseux.
Quelque 18 millions de litres de vin sont vendus chaque année en Inde et le marché du vin pétillant, produit localement ou importé, représente environ 10% du volume, un chiffre destiné à grimper de 20% à 25% par an selon les statistiques locales sur le marché vinicole.
Partager l'article
Continuez votre lecture
Les vins argentins, un marché mondial en pleine ascension
Alors que l’Argentine fait face à une crise économique qui s’enlise, le marché du vin argentin connaît sa meilleure année et poursuit une solide ascension à l’international.
By Samia Tawil
Nominations stratégiques majeures chez LVMH
Dès le 1er février 2023, des changements stratégiques de présidence vont intervenir au sein des marques phare du groupe LVMH. Pietro Beccari est nommé Président-directeur général de Louis Vuitton, Delphine Arnault lui succède à la tête de Christian Dior Couture, Charles Delapalme accède à la direction générale déléguée de Christian Dior Couture. Quant à Michael Burke, il travaillera désormais étroitement aux côtés de Bernard Arnault.
S'inscrire
Newsletter
Soyez prévenu·e des dernières publications et analyses.