Les jeunes ultrariches chinois ont désormais une perception très différente du luxe

Il n’est pas rare d’entendre parler de la richesse croissante en Chine. Le pays est souvent associé à une économie en essor, à une classe moyenne en expansion rapide et à un nombre croissant de milliardaires. Selon le dernier rapport du Global Wealth Report 2023, la Chine se classe deuxième en termes d’Ultra-high-net-worth Individuals (UHNWI), qui sont définis comme ayant un capital supérieur à 100 millions de dollars, comptant pour 10,5% des millionnaires mondiaux, soit un total de 32 910 ultrariches à la fin de l’année 2023.

Cependant, c’est l’ascension de la nouvelle génération d’ultrariches chinois, également appelée Fu er Dai (富二代 : 富Fu = riche ; 二代 er Dai = deuxième génération) ce qui signifie littéralement «riche de la deuxième génération». «Comparé aux consommateurs de luxe européens ou américains, les Chinois sont très jeunes. En effet, 80% de la clientèle chinoise du luxe a moins de 45 ans, alors qu’aux États-Unis, les consommateurs âgés de moins de 45 ans représentent environ 30% du total de la clientèle du luxe et cette proportion est encore plus faible en Europe», explique Oscar Sand, directrice générale de L’Atelier Peony by OSCAR, experte en marketing du luxe et spécialiste du marché chinois. Selon un rapport conjointement publié par China Merchants Bank et Bain&Company sur la richesse privée en Chine en 2021, 42% des HNWI (High-net worth Individual) possédant plus de 10 millions de RMB, ce qui correspond à environ 1,4 million de dollars, ont moins de 40 ans. La Chine abrite 5,2 millions de «familles aisées» avec un patrimoine de 6 millions de RMB, 2,11 millions ont un patrimoine de 10 millions de RMB, et 138 000 dépassent 100 millions de RMB de patrimoine. D’après le Hurun China Wealth Report 2022, ces familles transmettront 19 000 milliards de RMB (2640 milliards de dollars) à la prochaine génération dans les dix ans à venir. Actuellement, leur patrimoine total s’élève à 164 000 milliards de RMB, dont 40%, soit 67 000 milliards de RMB.

La génération précédente d’ultrariches chinois a souvent construit sa richesse à travers des entreprises traditionnelles et l’industrie manufacturière, mais la nouvelle génération est différente. Les Fu er Dai sont les produits d’un monde globalisé, influencé par la technologie, le digital, et ils ont grandi en voyant la Chine s’élever en tant que puissance économique mondiale. Beaucoup ont été éduqués à l’étranger, dans des universités prestigieuses, et sont souvent bilingues, voire trilingues, avec une perspective globale du monde des affaires et de la culture. Leur approche de la gestion de la richesse, de l’investissement et de la conservation du patrimoine est distincte de celle de leurs parents. Pour Oscar : «La génération des parents s’intéresse davantage à l’immobilier, aux actifs tangibles, mais les jeunes ne considèrent plus l’immobilier comme l’investissement le plus fiable pour générer de la richesse, ils se tournent vers de nouveaux moyens et de nouvelles technologies.» Jeunes, ambitieux et nés dans l’ère numérique, ces consommateurs représentent une nouvelle ère de richesse et de prospérité.

Face à cette abondance et à ces opportunités sans précédent, quelles sont les aspirations, les préférences et les stratégies d’investissement de cette nouvelle génération fortunée chinoise?

Ils abordent la notion de luxe d’une manière qui transcende la simple possession matérielle. Le luxe est une expérience multidimensionnelle au-delà des hôtels cinq étoiles et des marques de créateurs, il englobe une qualité de vie supérieure, un bien-être spirituel et un impact social et environnemental positif. «Pour moi, la richesse n’est pas seulement un plaisir matériel, mais aussi la reconnaissance de moi-même, la satisfaction de soi… et l’accomplissement de ma responsabilité sociale», partage Haonan, étudiant et investisseur dans son temps libre. La richesse est perçue non seulement en termes de capital financier, mais la notion de «capital expérientiel» est très présente dans sa définition. Ils associent souvent la richesse à la réalisation de soi et à l’équilibre entre la vie personnelle et professionnelle. Wilson Wong, CEO du groupe CBWells, explique: «La richesse correspond à toute la valeur du monde que je peux absorber au cours de ma vie. Bien sûr, j’accorde de l’importance aux biens matériels, mais je valorise surtout les expériences. Je me considère comme une personne riche en expériences.»

Quant au luxe, il a évolué pour devenir une notion bien plus inclusive et personnelle. Le luxe peut signifier l’acquisition de biens de marque, et aussi l’accès à des expériences uniques, comme des voyages haut de gamme ou des dîners privés avec des chefs étoilés Michelin. Il peut également s’agir d’investissements dans l’art contemporain, dans des expériences de vie enrichissantes, que ce soit des séjours dans des destinations exotiques, l’appréciation de l’art contemporain ou la recherche d’investissements durables. Haonan investi beaucoup dans l’art contemporain et accorde beaucoup d’importance au voyage et à l’expérience: «Je prends des années sabbatiques pour expérimenter la vie et l’enrichir de possibilités illimitées. Par exemple, je planifie des voyages dans le monde entier pour découvrir des vies différentes, me connecter à moi-même. Mes passions sont les voyages et les séjours dans des hôtels différents. Lorsque j’en fais, je reste généralement dans une ville pendant environ deux semaines pour m’imprégner de la culture, de l’art, de la gastronomie. Une approche positive de la vie fait mon bonheur.»

Alors que certains basculent vers un luxe qui se vit, d’autres préservent l’aspect collectionneur et matériel, tout en intégrant l’expérience. «Je suis un grand collectionneur de vins et de cigares, raconte Wilson. Je possède actuellement plus de 50 000 bouteilles de vin dans ma collection personnelle, dont certaines remontent à 1727!»

Finalement, pour certains, le luxe est étroitement lié à la durabilité et à l’éthique, reflétant ainsi leurs valeurs personnelles. Dans une interview, Li (prénom modifié pour préserver l'anonymat), confie l’importance de la durabilité et de la transmission dans le luxe pour la nouvelle génération: «En Chine, nous sommes très attachés à notre descendance, les gens veulent transmettre quelque chose à leurs enfants. Pour la génération de mes parents, il s’agit de biens immobiliers, d’argent, ou d’actifs tangibles. En ce qui me concerne, je ne pense pas que ce soient les choses les plus importantes pour ma génération. Parfois, je me consacre à quelque chose et j’aime penser que cela laissera un héritage ou aura une valeur durable pour notre société.» Le luxe est ainsi redéfini comme un ensemble complexe de choix personnels, d’expériences culturelles et de responsabilités globales.

La culture et les traditions familiales chinoises jouent un rôle indéniable dans la manière dont la nouvelle génération d’ultrariches chinois perçoit et interagit avec le luxe. Historiquement, la culture chinoise a valorisé la frugalité, la famille et l’éducation comme des aspects centraux de la vie. Cependant, avec la montée économique rapide de la Chine et l’exposition accrue à des influences mondiales, ces jeunes individus fortunés développent une perspective hybride du luxe qui intègre à la fois les valeurs traditionnelles et les aspirations modernes. «En raison de notre culture, parce que nous sommes une société de culture collective, nos normes sociales ont une très grande importance et influencent notre comportement de consommateur, ajoute Oscar, c’est pourquoi nous accordions beaucoup plus d’attention à la valeur des choses qu’à l’expression de soi ou aux préférences personnelles, par le passé. Mais tout évolue et change. La jeune génération compte davantage de consommateurs qui aspirent à une certaine forme de bien-être, et elle accorde de plus en plus d’importance à des expériences qui répondent à leurs aspirations.»

La nouvelle génération influencée par une éducation globale a redéfini le luxe, en le considérant comme une quête d’épanouissement et de responsabilité sociale plutôt que de simple ostentation. Tout en restant profondément ancrés dans les traditions et les valeurs culturelles chinoises, ces Fu er Dai sont des produits d’une mondialisation rapide, d’une éducation internationale et d’une exposition constante à diverses influences culturelles. Cette redéfinition du luxe est une tendance qui offre des opportunités pour les marques et les entreprises qui sont prêtes à comprendre et à répondre à ces évolutions. L’impact de l’éducation internationale sur cette jeunesse dorée promet de dévoiler davantage encore des facettes insoupçonnées des changements profonds qui opèrent aujourd’hui parmi les ultrariches.