Si la perception de la beauté est subjective, l’importance d’en comprendre les spécificités culturelles est stratégique pour éviter les faux pas. Les marques de luxe occidentales implantées sur le marché chinois sont confrontées à la nécessité d’adapter leur perception de la beauté aux normes culturelles locales. Décryptage.
Qu’est-ce qui est beau? Si la question reste sans réponse précise, la beauté est historiquement liée à la notion de prestige et de statut social. Pour l’industrie du luxe, la beauté est une composante essentielle, puisque les produits haut de gamme sont créés avec une attention aux détails, en lien avec la qualité du design et du processus de fabrication. L’un des objectifs est d’inspirer le désir et l’admiration, autrement dit, de vendre du rêve. Pourtant, la subjectivité de la beauté reste un défi pour les marques de luxe, lorsqu’il s’agit d’internationaliser leurs image et produits. L’esthétique choisie est-elle universelle? Avec la mondialisation, une large part des critères de beauté majoritairement influencés par l’industrie du cinéma hollywoodien se sont uniformisés. Qu’en est-il de la partie variable? Chaque culture a préservé des standards et des figures symbolisant la beauté, et ces histoires et inspirations prennent une autre couleur à l’autre bout du monde.
En Chine, la beauté est un concept important qui a beaucoup évolué au fil du temps. Ce qui est pris pour des critères de beauté chinoise, comme les yeux bridés et en amande ou les pommettes hautes et saillantes ne sont pas nécessairement perçus de la même manière par les locaux. Les marques de luxe occidentales ont souvent été confrontées à des critiques pour leur manque de compréhension de la culture et des normes esthétiques chinoises.
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En 2018, la marque de mode italienne Dolce & Gabbana a diffusé une vidéo publicitaire pour sa campagne #DGLovesChina montrant une femme chinoise qui essayait de manger maladroitement des plats italiens avec des baguettes. La vidéo a été fortement critiquée pour sa représentation stéréotypée des Chinois. Elle a été considérée comme raciste. Les conséquences de ce scandale ont abouti, sur les réseaux sociaux, à un appel au boycott de la marque dans le pays, provoquant une chute significative des ventes.
En 2021, c’est au tour de la maison Dior de surmonter un scandale autour d’un cliché pris par le photographe de mode Chen Man, présentant une femme chinoise aux yeux sombres, tenant un sac Dior lors d’une exposition à Shanghai. La photo, décrite comme effrayante et sinistre a été considérée comme un «cliché occidental sur la Chine», et a suscité une indignation dans le pays. Le photographe fut accusé de relayer une fausse perception de la beauté asiatique de la part des marques occidentales et de «défigurer les femmes asiatiques.» Dolce & Gabbana et Dior ont dû se résoudre à s’excuser pour leur «ignorance» et l’utilisation du cliché «yeux bridés».
La Chine est aujourd’hui l’un des marchés les plus importants du luxe, dont l’influence ne cesse de croître. Il est, dès lors, primordial pour les marques de réussir à s’y implanter et de capter la perception de la beauté locale. Comment? Le spectre des possibles est très large, puisque la culture chinoise est riche de 56 ethnies différentes. Pour une compréhension générale, l’ethnie Han, majoritaire à 92%, permet déjà une lecture historique de la beauté.
Les quatre beautés de la Chine antique
La Chine possède des figures emblématiques de la beauté féminine, et l’un des ensembles les plus connus se rapporte aux «Quatre beautés de la Chine antique» (Si Da Mei Nv en Chinois), composé de Xi Shi, Wang Zhaojun, Diaochan et Yang Yuhuan (plus connu sous le nom de Yang Guifei). Ces quatre beautés traditionnelles chinoises sont des femmes ayant vécu à différentes époques de l’histoire sous la dynastie des Han. Très présentes dans la littérature, elles sont souvent citées comme des sources d’inspiration pour l’art en Chine. Chacune d’elles est célèbre pour sa beauté physique, ayant inspiré de très nombreux poèmes et peintures. Pourtant, la raison de leur célébrité ne s’arrête pas uniquement à leur apparence. Symboles de féminité et de séduction, elles possédaient toutes une capacité à influencer les puissants de leur époque. Elles ont toutes été associées à des conflits politiques et au changement du cours de l’histoire. Leur beauté était vertueuse, elles incarnaient le patriotisme. Célébrées pour leur courage, leur sacrifice, aucune d’elles n’a abusé de son pouvoir, jamais agi sous l’emprise de la colère ou de la rancune. Elles étaient loyales, intelligentes et empreintes de force morale. L’aspect tragique de leur histoire est encore admiré et continue d’inspirer les jeunes Chinois. On parle alors de la beauté du drame.
La Chine possède une culture et des traditions riches et diverses, et les consommateurs chinois sont fiers de leur patrimoine culturel. La Gen Z chinoise a de plus en plus tendance à honorer les valeurs traditionnelles et à mettre en avant les différents groupes ethniques chinois. Si de nombreux jeunes ont adopté les idéaux de beauté et les tendances de la mode occidentale, on observe un mouvement croissant de récupération et de réinterprétation de l’esthétique traditionnelle. Le mouvement Hanfu, par exemple, où l’on voit de jeunes Chinois porter dans les rues ce vêtement traditionnel du même nom, et partager les photos et vidéos de ces parades sur les réseaux sociaux. Un autre exemple est la tendance Guochao, où la jeune génération intègre des éléments culturels traditionnels chinois dans la mode, et montre son désir de promouvoir cette culture dans le monde.
Cette tendance n’est pas nouvelle. La collection printemps-été 1993 de John Galliano s’était inspirée de l’actrice sino-américaine Anna May Wong, une des premières stars asiatiques à Hollywood, et avait créé plusieurs robes basées sur le qipao chinois. En 1998, c’est au tour de l’ethnie minoritaire du sud de la Chine, Miao (Miao Zu, le peuple Miao), de briller sur les podiums avec la collection haute couture automne-hiver pour Dior. John Galliano a révélé dans une interview avec Mark Guiducci, parue dans Vogue, avoir stylisé ses robes «avec des bijoux inspirés du peuple Miao de Chine.» Autre élément distinctif, coiffes et vêtements du peuple Miao ont été nourris par l’histoire de Chine, et ont su conserver les styles populaires des différentes dynasties. Ils sont aujourd’hui les projections modernes de l’histoire de la mode chinoise et continuent à être tendance, y compris dans leurs couleurs et formes particulièrement reconnaissables.
Dans le domaine de la beauté et des cosmétiques, on observe également une tendance à intégrer des ingrédients traditionnels chinois, comme l’utilisation du ginseng, ou de la baie de goji. Les pratiques de beauté traditionnelles comme le gua sha et les soins du visage par acupuncture gagnent en popularité, non seulement parmi les jeunes consommateurs chinois, mais aussi dans le monde entier.
Avec l’intérêt croissant de la Gen Z pour l’esthétique et les éléments traditionnels de la culture chinoise, il pourrait être intéressant pour les marques de luxe d’intégrer ces éléments, à l’image des Quatre beautés de la Chine antique, la signification culturelle et l’intemporalité de ces histoires plaidant en leur faveur.
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