En Chine, le marché parallèle de la revente (Daigou) impacte le luxe
«Daigou», le marché parallèle de revente en Chine d’articles achetés à l’étranger par des particuliers, est une pratique dont l’opacité des réseaux et des prix pratiqués impacte le luxe. Le manque de traçabilité entraîne des risques de contrefaçon et de forts dégâts d’image.
Le Daigou (en chinois 代购, Dai = remplacer, et Gou = acheter) est un marché informel transfrontalier, dans lequel des particuliers achètent des produits à l’étranger pour ensuite les revendre en Chine avec un bénéfice. Les produits peuvent être de toutes sortes, mais concernent particulièrement les produits de luxe, puisque la différence de prix les rend beaucoup plus intéressants.
Cette forme de commerce est née en 2008 en Chine, avec l’incident du lait en poudre Sanlu, un scandale sanitaire de santé publique chinoise, lors duquel des produits toxiques avaient été décelés dans du lait infantile. Cette catastrophe avait plongé le pays dans une crise de confiance envers le lait en poudre domestique. Dès lors, la population chinoise avait activement cherché divers canaux d’approvisionnement pour du lait en poudre de marques étrangères. Selon des chiffres du rapport «The Daigou index» publié en 2020 par la plateforme Re-Hub, le marché du Daigou est évalué annuellement à environ 400 milliards de yens RMB (57 milliards de dollars américains). En 2016, dans ce que l’on appelle également «L’ère du shopping par procuration universelle» (« 全民代购时代 » en chinois), le Daigou des produits de luxe est devenu extrêmement populaire en Chine. De nombreux consommateurs chinois ont cherché des moyens d’acheter des produits de luxe à l’étranger, qui n’étaient pas disponibles ou dont le prix était beaucoup plus élevé en Chine. Toute personne vivant à l’étranger ou ayant accès aux produits à l’étranger pouvait devenir des agents Daigou. Le canal le plus souvent utilisé est aujourd’hui encore l’application mobile Wechat – la plateforme de messagerie la plus populaire de Chine – sur laquelle les agents vont partager à leurs cercles d’amis les photos et présentations de produits.
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Les raisons qui ont permis au commerce du Daigou de prospérer
Grâce à la vente de produits de luxe en ligne à l’international, il n’est plus nécessaire de voyager pour obtenir un sac de luxe d’une marque française
Oscar Sand, directrice générale de L’Atelier Peony by OSCAR, experte en marketing du luxe et spécialiste du marché chinois
L’impact du commerce Daigou sur l’industrie du luxe est multiple. D’une part, il amène un élargissement du marché de manière informelle, puisqu’il permet aux marques de luxe d’avoir indirectement de nouveaux consommateurs. Il offre un élargissement de leur présence sur le territoire, notamment dans les zones moins accessibles ou moins développées comme les villes du troisième cercle. De plus, les agents de ce business parallèle se chargent naturellement de la promotion auprès de leur réseau, sur des marchés locaux souvent difficiles à appréhender. Grâce à leur meilleure compréhension des préférences de leurs clients et de la concurrence, ils sont souvent d’excellentes sources d’information utiles aux marques qui souhaitent gagner du terrain et mieux pénétrer le marché local. Les efforts déployés par les agents Daigou sur la promotion des produits sont, par ailleurs des coûts économisés en marketing et en promotion. En revanche, ce manque de contrôle de la part des marques de luxe sur leurs produits circulant sur ces réseaux privés présente un risque important au niveau de l’image de la marque et de la gestion des différentes règlementations. En effet, la vente de contrefaçon de produits de luxe achetés hors système de distribution officiel représente un risque élevé. De nombreux cas d’agents Daigou vendant des articles contrefaits ou des produits cosmétiques périmés potentiellement dangereux ont été enregistrés. Ce commerce peut ainsi nuire fortement à l’image de la marque et perturber la valeur perçue de l’entreprise.
Bernard Arnault, président et CEO de LVMH s’est dit opposé à cette forme de commerce informel et même frauduleux, soulignant ses effets néfastes pour l’image des marques, à l’occasion d’une conférence en ligne, lors de la publication des résultats annuels 2022. Il est difficile d’avoir une estimation du chiffre précis des pertes de profits potentiels pour les marques de luxe causées par le commerce Daigou, mais les dégâts directs, comme la diminution de demande en magasin en Chine, ou indirects, comme les effets indésirables sur la réputation de la marque liés aux produits contrefaits, sont certains.
Pourtant, l’élément moteur qui continue d’alimenter l’intérêt pour ce commerce reste la différence de prix importante entre les produits de luxe sur le marché chinois et en Europe. Par exemple, le prix d’un cabas Celine en toile Triomphe est vendu à un prix nettement plus cher en Chine (3'675 dollars) comparé à l’Europe (2'616), soit 40% supérieur au prix français. L’un des sacs les plus populaires de Louis Vuitton, le Neverfull est vendu 30% plus cher en Chine (2'280 dollars) contre 1'690 dollars en Europe, selon le rapport «Retviews data baromemeter» de la plateforme Lectra. Les agents Daigou vont donc prioritairement acheter des biens de luxe dans les zones de détaxe, les revendre sur territoire chinois avec une confortable marge, tout en restant compétitifs.
La lutte contre le commerce du «Daigou» s’intensifie
Une des solutions serait de réduire les écarts de prix entre le marché chinois et les marchés étrangers et adopter une stratégie d’unification des prix dans le monde et pour l’ensemble des marques. Mais cette solution demanderait aux entreprises du secteur du luxe de chercher un terrain d’entente et des accords communs, peu probable.
Pour Oscar Sand, directrice générale de L’Atelier Peony by OSCAR, experte en marketing du luxe et spécialiste du marché chinois : «Le commerce du Daigou a fortement régressé lors de la pandémie de Covid-19 et des limitations de voyage. Aujourd’hui, il est à nouveau actif, mais dans une moindre mesure.»
Les marques de luxe ne sont pas seules face à leur lutte contre ce business. Depuis 2019, le gouvernement chinois a mis en place des régulations et systèmes pour lutter contre ce business, notamment la vérification de l’identité des acheteurs en ligne, le renforcement des règles douanières et la surveillance des achats à l’étranger, et a même établi des listes noires de personnes et d’entreprises impliquées dans les fraudes douanières.
Parallèlement à une amélioration des règlementations et de stratégies de tarification unifiée, les marques prennent des mesures pour améliorer la distribution en Chine. Le pays est très en avance sur le commerce digital et compte de grands acteurs de la vente en ligne comme Alibaba, Tmall ou JD.com accessibles à l’international. Ces plateformes, comparables à Amazon ou eBay sont bien implantées en Chine. «Les consommateurs chinois se sentent de plus en plus à l’aise pour effectuer des achats en ligne, en particulier les bijoux et les produits de luxe accessibles, et cela affecte le Daigou. Grâce à la vente de produits de luxe en ligne à l’international, il n’est plus nécessaire de voyager pour obtenir un sac de luxe d’une marque française», ajoute Oscar Sand. Les marques de luxe ont d’ailleurs accéléré leur présence digitale depuis la pandémie, à travers ces plateformes d’e-commerce. À l’image de Cartier, Prada, Louis Vuitton, Estée Lauder, la plupart des segments du luxe sont aujourd’hui présents en ligne. La plateforme JD Luxury compte plus de 300 grandes marques et quelque 50'000 produits.
Autre effet intéressant depuis la fin des restrictions en Chine liées à la pandémie, on assiste au phénomène du «Reverse Daigou». Les agents chinois achètent des produits fabriqués à Shenzhen réputés introuvables ailleurs, traversent la frontière avec Hong Kong et les livrent aux consommateurs. Pour l’instant cantonné aux produits bon marché et alimentaires, ce business pourrait également croître pour d’autres secteurs.
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