Dans les années 1950, les esprits libres gagnaient l’horlogerie
Au sortir de la guerre, l’humanité s’autorise à nouveau à rêver. Les découvertes technologiques accompagnent les grandes expéditions. L’horlogerie invente alors les montres-instruments, capables de résister aux conditions extrêmes. Notre série estivale «Une époque, une montre» se poursuit et explore les fifties.
Les années 1950 et la fin des privations marquent un tournant majeur: la pensée humaine change d’échelle, le monde devient accessible, les moyens de transport se démocratisent et le confort devient un rêve à la portée de tous. L’urbanisation suit la tendance et le «man made environment» structure le paysage. Aux Etats-Unis, les réseaux d’autoroutes ceinturent désormais les villes. La cadence de construction de logis, tous identiques, s’accélère. On bâtit à la chaîne. Le programme de reconstruction est en marche, partout dans le monde. Les grands bureaux d’architecture développent une manière de penser industrielle. Les ossatures métalliques sont mises en valeur et s’inspirent de blocs d’habitation que Ludwig Mies van der Rohe avait créés à Stuttgart. A New York, en 1954 le Seagram Building conçu par Mies van de Rohe avec Philip Johnson, sort de terre. Mais ce sont aussi les toits en coque en forme d’ailes, ces grandes courbes qui s’élancent vers le ciel, qui deviennent la signature de l’optimisme des années 1950. Le Dulles International Airport de Washington et ses structures fuselées pensées par Eero Saarinen en 1958 marque le dynamisme des styles. Le Boeing 707 à réaction est un symbole de modernité.
L’esprit d’aventure se démocratise
En horlogerie aussi, l’esprit de conquête, la possibilité de rêver à nouveau, après les années sombres de la guerre, amène à repenser l’utilité de la montre. «La longue reconstruction qui marque les années d’après-guerre va s’appuyer, dans les domaines techniques, sur le progrès né des recherches militaires antérieures. Les formes rondes à cadrans noirs très lisibles issus des montres d’aviation d’imposantes dimensions cohabitent avec les plus petits.» détaille Dominique Fléchon dans son ouvrage La conquête du temps. La vague des montres professionnelles connaît ses débuts, portée par l’esprit de conquête qui domine les années 1950.
L’ascension de l’Everest par Sir Edmund Hillary en 1953, l’épopée des expéditions sous-marines avec Jacques-Yves Cousteau, la conquête de l’espace et de la lune par Buzz Aldrin et Neil Armstrong en 1969 ouvrent la voie à de nouvelles envies, auxquels désormais tout un chacun veut accéder. L’horlogerie invente les montres adaptées à ces nouvelles activités, ces nouvelles professions. Pilotes, plongeurs, conducteurs de train, ingénieurs ont des impératifs dictés par une mesure extrêmement précise du temps. «Les innovations technologiques découvertes pendant la deuxième guerre mondiale ont majoritairement été récupérées à des fins militaires, explique Petros Protopapas, Head of Brand Heritage chez Omega. Mais il y en a une qui a été suffisamment discrète pour connaître une autre utilité, celle de la plongée en scaphandre avec système de valve autonome appelée Aqua Lung, en 1943. C’est à Jacques-Yves Cousteau et Emile Gagnan que l’on doit cette avancée. Pour la première fois, il était possible de respirer librement sous l’eau, de manière aisée, grâce à des bouteilles. Mais c’est avec le tournage de ses longs métrages que Cousteau fait découvrir la plongée sous-marine au plus grand nombre, ses reportages étant diffusés à la télévision aux heures de grande écoute. Le film documentaire Le Monde du Silence réalisé par Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle en 1954 ancre définitivement ce nouveau type d’aventure dans la culture commune. L’horlogerie aussi veut participer à l’esprit d’aventure. C’est alors que la première montre de plongée étanche Seamaster d’Omega naît en 1948.»
Dans les années 1950, tous relisent les écrits d’Hemingway et rêvent de voyages lointains désormais accessibles. Ils prennent l’avion ou le bateau pour explorer le monde. Le besoin de montres robustes, étanches, précises se fait sentir. Les montres instruments se multiplient et bien des marques se distinguent par la maîtrise des divers aspects techniques, de la Navitimer de Breitling pensée pour l’aviation en 1952, à la Submariner de Rolex étanche à 100 mètres en 1953.
Faire avancer les consciences
Petros Protopapas poursuit: «En 1957 Omega introduit la Trilogie constituée de la Speedmaster, la Railmaster et la Seamaster 300. La Speedmaster est un chronographe professionnel adapté à l’automobile, la Railmaster une montre amagnétique résistant à 1000 gauss pensée pour les ingénieurs et la Seamaster 300 offre une étanchéité à 300 mètres, conçue pour les plongeurs professionnels. Mais à la grande différence de beaucoup de marques, Omega décide de rendre la montre-instrument universelle, portable par tous et en toutes circonstances, même avec un smoking. Cela a marqué les esprits et construit son succès.»
Si les années 1950 sont caractérisées par les montres-instruments, elles sont aussi caractérisées par un monde qui reste pensé par et pour la gent masculine.
«Si l’on parle de tool watches, on parle surtout de montres pour homme, explique Petros Protopapas, car à cette époque il n’y a pratiquement pas de femme plongeur, pilote, capitaine de paquebot ou conductrice de train. Mais Omega pense différemment et à l’inverse de la tendance la marque introduit en 1955 la Ladymatic, une montre automatique et certifiée chronomètre dédiée à la femme. C’est une symbolique forte qui, à mes yeux, est tout aussi importante que la Trilogie. Imaginer la Ladymatic relevait tout autant de la science-fiction, à une époque où la montre femme se résumait à une montre bijou. Une montre-instrument a aussi cette utilité, celle de faire avancer les consciences.»
Références
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