Icônes horlogères, ces témoins d’un esprit libre
Chaque année, à la même période, les rendez-vous horlogers du printemps ont l’ambition de démontrer que le savoir-faire suisse est bien vivant. Et qu’en matière de design et d’innovation technique, le monde peut continuer à envier la richesse des patrimoines engagés. Si les icônes du passé en sont l’une des illustrations, l’horlogerie contemporaine trouve-elle encore les ressources pour en créer de nouvelles?
En 2021, les talents ne manquent pas. Les designers sont nombreux à proposer chaque année de nouvelles idées, formes, matières, couleurs. L’horlogerie reste prolixe. Mais combien de marques oseront faire la pas de l’exubérance, de l’inattendu, voire de la contradiction choc?
Une icône est directement reliée à une liberté de penser. Mais cette liberté a un prix, celle de la prise de risque
Eric Giroud, directeur artistique et product designer indépendant
Après une année 2020 à patienter que les nouvelles créations sortent enfin des laboratoires, les merveilles promises sont-elles au rendez-vous? C’est un fait, en 2021, les nouvelles collections proposées puisent encore largement dans les symboles iconiques. La raison? La valeur refuge que procure au client l’achat dit classique et intemporel, qui rassure et justifie la dépense. Beaucoup de marques ont puisé cette année encore dans les héritages du passé. La marque Breitling vient de relancer la collection «Premier», créée dans les années 1940 et qui rendait gloire à «l’élégance quotidienne» selon la communication de la marque. Cette année, elle habille ses nouveaux chronographes du style vintage caractéristique de l’époque.
Et les exemples de montres d’inspiration vintage parmi les nouveautés 2021 présentées au salon digital Watches & Wonders sont nombreux. Chez Cartier, l’héritage du passé dominent les nouveautés. La collection Cartier Privé remet à l’honneur la montre «Cloche» dessinée dans les années 1920. La Tank Must inspirée de la montre Tank Louis Cartier puise, elle, dans un double patrimoine: centenaire pour la Tank (1917) et d’un demi-siècle pour la collection Must (1977). Il est même triple si l’on considère la référence aux codes couleurs monochromes des années quatre-vingt. Chez Vacheron Constantin, la Maison célèbre les 100 ans de l’icône particulièrement appréciée des collectionneurs et connaisseurs de Haute Horlogerie, le modèle American 1921 avec trois nouvelles interprétations. Pour IWC, c’est la gamme de montres Aviateur, mythique instrument de lecture du temps conçu pour l’aviation dans les années 1930.
Une icône, une prise de risque
Mais peut-on créer une icone avec un style inspiré d’hier? Et à quoi doit faire référence un design pour devenir iconique? Eric Giroud, directeur artistique et product designer indépendant explique: «Une icône est directement reliée à une liberté de penser. Mais cette liberté a un prix, celle de la prise de risque. C’est une démarche qui bouscule, qui dégage un vrai parti pris et une très grande qualité. Quelque chose de l’ordre de l’indestructible… une Porsche, un jean 501… des objets qui ont une singularité dans leur qualité. L’icône, c’est une prise de risque par rapport à son époque. Je pense à la Royal Oak d’Audemars Piguet. Ou plus proche de nous, les montres de Richard Mille, toujours un vrai contre-pied aux tendances classiques. Les montres qui ont du caractère et de la personnalité, créées par des figures du milieu ont des chances de devenir iconiques. Je pense à la Legacy Machine de MB&F avec son boîtier rond et son balancier qui vole, comme un cœur qui bat à l’extérieur, c’est un contre-pied. Tout comme l’Elégante de François-Paul Journe, une montre avec un mouvement électromécanique de très haute qualité réalisée par l’un des plus grands horlogers, c’est aussi témoigner d’un esprit libre.»
Une icône n’est pas intemporelle
On ne crée pas une icône, on crée un design. La montre ou le bijou obtiendra ce statut au fil de son histoire. Mais il faut bien savoir qu’une icône n’est pas immuable
Emmanuel Gueit, designer indépendant en horlogerie et joaillerie
Mais l’icône est-elle si intemporelle qu’on le dit? La Nautilus de Patek Philippe, la Royal Oak d’Audemars Piguet, la Submariner de Rolex, la Portuguaise d’IWC, la Reverso de Jaeger-LeCoultre, la Speedmaster d’Omega et beaucoup d’autres ont-elles toujours été rangées du côté des montres iconiques? Emmanuel Gueit, designer indépendant en horlogerie et joaillerie explique: «On ne crée pas une icône, on crée un design. La montre ou le bijou obtiendra ce statut au fil de son histoire. Mais il faut bien savoir qu’une icône n’est pas immuable.
La Reverso, c'est l'icône de la Maison, très identifiable. Elle a été pensée comme un défi.
Lionel Favre, directeur du design chez Jaeger-LeCoultre
Le modèle iconique Nautilus de Patek Philippe, créé en 1976, ne connaissait absolument pas le même succès dans les années 1990 qu’aujourd’hui. Ce n’était pas un modèle désirable, alors qu’aujourd’hui, les listes d’attente pour l’obtenir s’allongent toujours plus. Les années soixante-dix ont donné naissance à beaucoup de formes iconiques. Ce qui fait une icône, c’est sa différence. Et dans les années 1970, à la suite du choc pétrolier- la période la plus prolixe en icônes - tout était possible. L’extravagance était de mise. Les marques prenaient des risques et les calculaient différemment qu’aujourd’hui. La crise pétrolière a fait bouger les choses. La pandémie que nous vivons aujourd’hui peut aussi bousculer les idées.»
Une réponse écoresponsable
C’est certain, depuis plus d’un an, la crise sanitaire bouleverse les secteurs économiques. Avec un questionnement récurant: va-t-on basculer dans une nouvelle dynamique, un nouveau monde? A cette question, que répond l’horlogerie? Beaucoup de marques, à l’instar de Panerai et sa montre conçue avec des matériaux entièrement recyclés – c’est une première - ont répondu par des innovations écoresponsables, dans l’air du temps et attendues des jeunes générations. Mouvement rechargé à l’énergie solaire grâce des microcellules photovoltaïques dissimulées sous le cadran chez Cartier et son mouvement SolarBeat TM, des bracelets en cuir vegan chez IWC, ou encore de la bioceramic chez Swatch, qui mêle trois-quarts de poudre de céramique et un quart de bioplastique. «En ce moment, et depuis quelques années déjà, explique Eric Giroud, l’horlogerie est dans un remake permanent. Cette année encore, les marques préfèrent consolider les acquis. Mais je suis confiant. Les nouvelles générations oseront s’extraire du confort et avoir de la personnalité. Au sortir d’une crise, il y a toujours une envie de fraicheur.»
Mais pour Emmanuel Gueit, il faut cesser de vouloir reproduire les icônes: «Nous sommes rentrés dans une époque où le design doit devenir primordial. Si les marques veulent faire progresser leurs ventes, elles doivent créer, inventer de nouvelles formes et cesser de copier les autres.»
Ce qui fait une icône
Et à la question de savoir ce qui fait une icône, Emmanuel poursuit: « Le peu de détail fait l’icône. Epurer et revenir à l’essentiel. Tout le décorum, comme les protèges couronne, les cadrans avec des niveaux, les aiguilles trop facettées, par exemple, cela empêche de voir l’essentiel. L’explosion des détails est venue avec l’ultra technologie des dessins en 3D. Si vous regardez un modèle Oyster de Rolex, il y a très peu de détails. Tout a une fonction. Personnellement, je crée toujours au crayon d’abord. Et lorsque je dessine une forme qui a du potentiel, je le ressens, comme une sorte d’alignement avec ce qui m’entoure, avec l’époque, avec le temps.»
C’est aussi une recherche du beau, de l’esthétique pure pour Eric Giroud: « En Suisse et dans l’horlogerie, il n’y a pas toujours cette quête absolue du beau. De cette sensualité du beau. Des designers comme Charles de Vilemorin m’interrogent. Ou encore Phoebe Philo, Victoire de Castellane, ou plus éloigné de nous Jean Prouvé, Madeleine Vionnet, Suzanne Belperron, André Putmann, Cristobal Balenciaga. Si les horlogers créaient comme des couturiers, il y aurait plus d’icone…Mais ce n’est pas une affaire de prix, ni de valeur. C’est un objet qui fait l’unanimité, par le beau.»
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