Tribune libre

Le Made in Italy peut-il surmonter la crise?

Eva Morletto

By Eva Morletto18 février 2025

Que le secteur du luxe traverse une période compliquée depuis plusieurs mois, ce n’est plus un secret pour personne. De nombreuses maisons ont vu leurs résultats financiers chuter, la faute à une conjoncture marquée par des conflits géopolitiques et une instabilité économique persistante.

En Italie, l’artisanat d’excellence a toujours été l’un des fleurons du «made in Italy», cette appellation qui est devenue, avec le temps, synonyme de qualité et de savoir-faire d’exception. Dans le secteur de la mode, on recense environ 60 000 entreprises, générant un chiffre d’affaires avoisinant les 96 milliards d’euros et représentant près de 5% du PIB national.

Ces dernières années, plusieurs grands groupes internationaux, à l’instar de Kering, ont implanté des hubs manufacturiers en Italie. Le pays, dirigé par Giorgia Meloni, abrite en effet de nombreux sous-traitants spécialisés dans la production d’articles de luxe.

Pour comprendre les origines de la crise actuelle, il faut analyser les dynamiques post-pandémie. Après la fin de la crise sanitaire, tous les marchés ont connu un rebond euphorique. L’effet «Covid revenge» s’est alors fait ressentir dans à peu près tous les secteurs du lifestyle (voyages, bien-être) et du luxe. Cette frénésie d’achats de la part de consommateurs a entraîné une hausse des prix de la part de nombreuses marques.

Si cette politique s’est révélée gagnante au début, sur le long terme, elle a présenté des impacts négatifs. L’effet boomerang s’est enclenché, combiné aux tensions géopolitiques et à une situation économique mondiale incertaine. Les consommateurs sont devenus beaucoup plus prudents, les produits de luxe, jugés trop onéreux, ont perdu en attractivité et les achats compulsifs ont cédé la place à des investissements plus réfléchis.

Cette situation a plongé de nombreux sous-traitants de luxe dans une crise sévère. En 2024, les heures payées grâce aux fonds de licenciement dans ce secteur ont augmenté de 200%. Dans des régions historiquement spécialisées dans la production de matériaux de luxe (cuir, laine, tissus et accessoires) – comme les Marches ou la Toscane – les fermetures se multiplient: environ 700 entreprises ont cessé leur activité dans les Marches et plus de 300 en Toscane.

La politique de hausse des prix n’est pas la seule responsable de la crise. Dans un article sur la situation des sous-traitants en Italie, le journal italien «Il Fatto Quotidiano» a mené une enquête, révélant que les petites entreprises qui produisent pour les géants du luxe, comme Kering, Prada ou encore LVMH, sont prises en étau. Dans certains cas, jusqu’à 90 % de leur production est destinée à ces grandes maisons, leur conférant un pouvoir considérable pour imposer des coûts toujours plus bas, tout en exigeant une qualité irréprochable, («l’objectif est de séduire les «very important clients» prêts à dépenser plus de 50 000 pour un objet en cuir de très haute qualité», a commenté l’un des artisans interviewés).

Les avantages dont les grands groupes bénéficient, avec ce système de sous-traitance, sont nombreux. Par exemple, la possibilité d’augmenter ou de réduire les commandes selon les fluctuations du marché sans avoir à gérer directement leur propre production.

Les grands groupes ont instauré de facto une forme de monopole dans l’univers du luxe. La comparaison peut paraître surprenante, mais cette situation n’est pas sans rappeler les risques liés à la monoculture en agriculture: si la demande pour un produit s’effondre, c’est toute l’économie d’un pays qui vacille. De même, si l’artisanat textile italien ne dépend que des deux ou trois grands groupes internationaux, les changements de stratégie financière et les politiques internes de ces derniers peuvent menacer fortement l’existence de ces entreprises.

Face à cette crise, l’État italien est contraint d’intervenir. Le ministère des Entreprises et du Made in Italy, a annoncé un plan de soutien de 250 millions d’euros destiné à venir en aide aux artisans en difficulté.

Reste à savoir si cette mesure suffira à sauver un modèle économique en péril, ou si des réformes structurelles plus profondes seront nécessaires pour garantir la pérennité de l’excellence italienne.

Partager l'article

Continuez votre lecture

Brunello Cucinelli affiche de nouveaux records de performance
Chiffres du Luxe

Brunello Cucinelli affiche de nouveaux records de performance

Malgré une conjoncture économique difficile qui déstabilise l’univers du luxe, Brunello Cucinelli affiche des performances impressionnantes. Avec une hausse de 12 % de son chiffre d’affaires en 2024 et des perspectives de croissance solides, le roi italien du cachemire confirme son statut de référence dans le secteur.

By Eva Morletto

Portofino: En tête du tourisme de luxe italien pour 2025
Voyage & Bien-être

Portofino: En tête du tourisme de luxe italien pour 2025

Le tourisme de luxe en Italie a connu une croissance significative en 2024. Des destinations comme Portofino et la région du Tigullio ont particulièrement bénéficié de cet essor. Des investissements majeurs par des géants du luxe témoignent de l’attractivité des lieux.

By Bettina Bush Mignanego

S'inscrire

Newsletter

Soyez prévenu·e des dernières publications et analyses.

    Conçu par Antistatique