Le film Priscilla, une leçon de libération par le vêtement
By Isabelle Campone03 janvier 2024
Le récit de la vie de Priscilla Beaulieu devenue Presley montre la transformation d’une jeune fille timorée en une femme qui parviendra enfin à s’affirmer. Son histoire est aussi celle de beaucoup, dont le choix délicat du mouvement de libération s’est aussi construit par le vêtement.
L’histoire de Priscilla Presley ne pouvait être mieux racontée que par Sofia Coppola. Qui d’autre que la réalisatrice pour rendre compte de ces moments délicats où une jeune fille éthérée, peu préparée à la vie essaie de devenir femme. Sofia Coppola aime à transcender l’histoire par le costume. Raconter la vie de cette écolière sur laquelle Elvis Presley jeta son dévolu, c’est aussi porter à l’écran un couple à l’image très travaillée, dont les looks grandiloquents étaient au centre de l’attention du monde entier.
Le raffinement des détails est au cœur du style Coppola. Ses décors impeccables (l’inoubliable boudoir aux couleurs Ladurée de Marie-Antoinette), ses bandes sonores envoûtantes (la musique de The Virgin Suicides) et ses castings inspirés (Bill Murray en voleur de cœur). Et puis, il y a la mode. Les costumes soutiennent le monde visuel de Sofia Coppola, dans Priscilla plus que jamais. Le film promet déjà des nominations aux Oscars dans diverses catégories – notamment pour le scénario et, forcément, les costumes.
La libération par le vêtement
Priscilla est une adaptation des mémoires de Priscilla Presley parues en 1985. Pour la première fois, c’est elle qui est au centre de l’histoire. Celle d’une relation spéciale, qui débute à la fin des années 50 lorsque la rockstar de 25 ans, stationnée en Allemagne rencontre cette gamine de 14 ans, et qui se terminera au début des années 70, lorsqu’elle le quitte. Dans son film, Sofia Coppola veut davantage montrer la manipulation que l’histoire d’amour entre les deux. Le contrôle écrasant et abusif qu’Elvis (joué par Jacob Elordi) exerce sur Priscilla Beaulieu (Cailee Spaeny), cette écolière choisie comme confidente, réconfortante, puis petite amie docile, et enfin épouse qu’il garde soumise. En miroir, Sofia montre le peu de contrôle que la jeune Priscilla a sur sa propre vie. Dès son plus jeune âge, elle est façonnée par l’homme à la voix de velours, à la beauté rare et au sex appeal inédit pour l’époque. Elle mettra treize ans à gagner son autonomie. Des années pendant lesquelles il lui imposera tout, y compris son apparence, fondée sur ce qu’il imagine être la compagne du King.
Un rôle capital pour le vêtement donc, au cœur de la vision de Sofia Coppola. Une façon d’affirmer le message des protagonistes, comme les tenues de soirée fleuries assorties des sœurs dans The Virgin Suicides, la robe de bal en satin d’Elle Fanning alors qu’elle tente de séduire Colin Farrell dans The Beguiled, et les Chuck Taylors roses de Marie Antoinette. Dans Priscilla, le costume est encore plus central: «Sofia nous a dit qu’elle voulait que la coiffure, le maquillage et les costumes aident à montrer le passage du temps», explique Cliona Furey, responsable du département coiffure du film. Pour leur sixième collaboration, la costumière Stacy Battat s’est plongée dans les photos d’époque d’Elvis et Priscilla, dans les archives de Vogue et Harper’s Bazaar à la bibliothèque du Metropolitan Museum of Art et a fait réaliser sur mesure plus de 120 looks, dont des pièces personnalisées demandées à Anna Sui et Chanel, maison chère à Sofia Coppola où elle a effectué un stage jeune fille et dont elle est restée l’une des plus proches ambassadrices.
Dès le début, Sofia souligne les dix ans d’écart entre Elvis et Priscilla Presley. Lors de leur première rencontre, elle est une lycéenne un peu empruntée, mal fagotée, alors que lui est une star imposante. À mesure que la relation progresse, qu’elle emménage à Graceland à l’âge de 17 ans, son look commence à correspondre à la vision d’Elvis. La domination est mise en scène lorsque le chanteur, un jour de bonne humeur, décide d’offrir à la petite Priscilla une journée shopping. Entouré de ses amis, il montre dédain ou approbation pour chaque robe que Priscilla essaie. Il décrète que le bleu est sa couleur, qu’il déteste les imprimés et exige des robes pastel à nœuds. Jouant de l’humiliation et de la flatterie, il lui ôte tout goût personnel, toute affirmation de soi.
Des images inscrites dans la pop culture
L’équipe costumes s’est attachée à recréer les vraies tenues, comme celle de leur mariage, immortalisée dans l’une des photographies les plus emblématiques du couple, avec robe en dentelle blanche, choucroute impressionnante et gâteau de mariage à six étages. Des images inscrites dans l’histoire de la pop culture, un défi relevé haut la main par Chanel et Valentino. «C’était notre rêve que Chanel confectionne la robe de mariée, explique Stacy Battat. L’original n’était pas Chanel, précise-t-elle (la vraie Priscilla a acheté sa robe dans le commerce), mais on a l’impression que cela aurait pu l’être.» Quant au smoking d’Elvis, c’est Valentino qui a relevé le défi.
Dès lors qu’elle devient l’épouse du King, Priscilla fait face à une star qui abuse de drogues, qui laisse exploser ses humeurs et la délaisse pour ses liaisons passagères. Elle porte docilement ses robes tout en pastel, montre des silhouettes délicates pour rassurer un mari au besoin maladif de féminité docile. Elle prendra pourtant peu à peu l’ascendant. Ses actes de rébellion seront ses tenues, rejetant les règles vestimentaires. Elle ose se fâcher, alors qu’il critique une robe plus audacieuse ou enfile un imprimé qu’il déteste pour le surprendre en pleine liaison avec une autre. Son apparence est une défiance qu’elle lance à son mari. Elle vit avec son temps et le montre, par un style plus bohème. Elvis, en revanche, incarne une théâtralité exagérée, avec ses favoris, ses lunettes épaisses et une canne délirante.
La déconnexion visuelle signale la ruine de leur mariage. Lorsqu’elle quitte définitivement Graceland, Priscilla porte une chemise et un pantalon ajusté, un ensemble intentionnellement très masculin. «Je voulais qu’elle se sente autoritaire, comme si elle était devenue une femme qui savait ce qu’elle faisait, a déclaré Battat. Que c’est elle qui maintenant prenait les décisions!» Priscilla Presley peut enfin explorer qui elle est.
Si le vêtement peut contrôler, il peut aussi libérer. Et Sofia Coppola, à qui l’on a tant reproché son esthétique trop léchée et son goût considéré superficiel pour la mode et le luxe, l’a bien compris et le démontre brillamment.
Partager l'article
Continuez votre lecture
En produisant des films, le luxe investit le patrimoine culturel de tous
La production de film par des marques de luxe se multiplie. À l’image de Saint Laurent, la première à avoir créé une entité à part entière consacrée au 7e art, les géants du luxe investissent la Toile et l’industrie du cinéma. Une façon de pénétrer un peu plus le patrimoine culturel de tous.
Le monde du luxe poursuit ses ambitions dans le cinéma
Le binôme luxe et cinéma continue de multiplier partenariats et investissements à long terme. De la prestigieuse agence de talents hollywoodienne CAA bientôt majoritairement en main de François-Henri Pinault, au film Barbie et à la plateforme Miu Miu Women’s Tales, les empires du luxe affichent leurs ambitions dans le 7ème art.
By Eva Morletto
S'inscrire
Newsletter
Soyez prévenu·e des dernières publications et analyses.