Le comité Colbert descend dans l’arène pour défendre le luxe français
By Béatrice Peyrani01 juillet 2020
Le 26 mars dernier, en pleine crise Covid, Bénédicte Epinay a été nommée directrice déléguée du comité Colbert , qui regroupe désormais 83 entreprises fleurons du luxe français. Pas de quoi refroidir l’enthousiasme de cette ancienne directrice déléguée des rédactions des Échos, qui était depuis quatre ans, aux commandes du pôle luxe de l’agence Pelham Média. Elle dévoile les nouvelles ambitions du comité Colbert. Entretien exclusif.
Quel a été le degré de résistance des différentes maisons du Comité Colbert?
Il est trop tôt pour tirer un vrai bilan. Le Comité Colbert rassemble quatorze métiers depuis la haute couture et la mode à l’automobile en passant par l’hôtellerie, la gastronomie, le cuir et la vigne…Tous ne sont pas touchés de la même façon par les conséquences de la crise sanitaire. Par exemple, les palaces parisiens ne rouvriront pas avant septembre, faute de touristes extra-européens qui constituent l’essentiel de leurs clients. D’autres maisons, à l’instar des traiteurs n’ont pas d’autre choix que de patienter, compte tenu des exigences sanitaires et de l’interdiction des grands rassemblements en France. Pour Potel et Chabot, le tournoi de tennis de Roland Garros signera peut-être le premier véritable grand événement de la rentrée. Nous venons de vivre un premier semestre totalement inédit pour tous les acteurs du luxe. Mais il a apporté aussi quelques bonnes surprises, révélateurs de changements à long terme. Ainsi, l’une de nos maisons dans le secteur du parfum a réussi malgré la fermeture de tous ses points de vente pendant le confinement, à transférer la presque totalité de son chiffre d’affaires online.
Cela signifie qu’il y aura bien un luxe différent avant et après la covid comme le pense Giorgio Armani qui disait « devoir réfléchir à quelque chose d’émotionnel et d’intemporel qui puisse toucher la corde sensible». Après la Covid 19, le luxe risque- t-il de ne plus être à la mode?
Giorgio Armani s’interroge sur un nouveau sens de la mode. Mais les maisons du Comité Colbert représentent bien davantage que la mode: le luxe au sens large. Et le luxe a toujours été du côté du temps long. Il dit quelque chose de profond de nos sociétés. Il en est le marqueur. Jamais, il n’a été démodé, et souvent il est sorti renforcé des guerres ou des crises. Songez que les années folles et leur créativité débridée ont succédé à deux épisodes particulièrement traumatisants: la première guerre mondiale et la grippe espagnole. Je suis sûre qu’après cette période de confinement, les créateurs - qui ont vécu aussi cette période d’introspection, vont être particulièrement imaginatifs. Voyez comment dans la couture, l’absence de défilés défie l’imagination de nos grandes maisons. Plus que jamais le luxe français va étonner le monde, en étant capable de se réinventer tout en restant fidèle à lui-même: à la fois capable de calmer nos angoisses et de combler aussi nos envies de statut. Deux objectifs immanents, permanents et intangibles, au-delà de toute conjoncture! Je me souviens de l’indice rouge à lèvres, concept inventé par Léonard Lauder, le président de la firme américaine Estée Lauder qui avait remarqué que les ventes de rouge à lèvres augmentaient en période de récession, les femmes remplaçant leurs achats les plus coûteux de robes ou de sacs, par un tube de rouge à lèvres. Notre envie de luxe même en période de confinement n’a pas été stoppée, elle a été simplement reléguée au second plan derrière des besoins vitaux. Relégation d’ailleurs très courte en Chine, où les ventes de produits de luxe sont reparties très vite, sans doute parce qu’il s’agit d’abord d’un marché de première acquisition.
Quel rôle le Comité Colbert va-t-il jouer ces prochains mois pour permettre à Paris de rester la capitale du luxe?
Depuis 1954, le Comité Colbert agit dans l’ombre de ses Maisons membres, en s’engageant sur le terrain, pour ouvrir de nouveaux marchés ou batailler contre la contrefaçon, entre autres. Mais le temps est venu de passer de l’ombre à la lumière. Une volonté qui s’exprime à travers une nouvelle raison d’être: «promouvoir passionnément, développer durablement, transmettre patiemment les savoir-faire et la création française pour insuffler du rêve». Celle-ci traduit l’ambition du Comité Colbert de devenir la voix du luxe français au-delà du cercle de nos membres. Celle que l’on écoute quand elle s’exprime car le Comité Colbert rassemble les plus belles maisons et les meilleurs experts de l’industrie du luxe. Il nous faut donner de la voix car le luxe français est un poids lourd de notre économie y compris dans cette période instable, comptant pour plus de 30% du CAC 40 et employant plus d’un million de salariés dans l’hexagone.
Privée de touristes internationaux, la riposte de Paris, capitale du luxe sera- t-elle digitale et d’envergure?
Nous n’avons pas vocation à nous substituer à nos membres qui ont leur propre stratégie digitale. Je remarque simplement avec quelle agilité nos grandes maisons du luxe et de la mode ont converti leurs défilés en manifestations digitales. Nous allons en revanche, être particulièrement vigilants dans la lutte contre la contrefaçon sur le web. La montée en puissance du digital est un formidable atout pour le luxe, en décuplant la visibilité des marques et de leurs créations, mais elle est également porteuse de risques si l’on n’y met pas les bons garde-fous.
Sur ce sujet central, la présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen a ouvert le 2 juin dernier une consultation pour mettre en place une législation sur les services numériques, le Digital services Act. Il s’agit de responsabiliser les plateformes en affirmant notamment que les règles de concurrence s’appliquant hors ligne, s’appliquent également en ligne. C’est un virage important. Et la contrefaçon y est citée expressément en tant que contenu illicite. Nous avons constitué une task force et avons jusqu’au mois de septembre pour faire des propositions et notamment réclamer que les grandes plateformes qui «hébergent» ces contrefaçons, n’éludent plus leurs responsabilités. Cette nouvelle règlementation viendra compléter la directive e-commerce de 2000, rédigée à une époque où ni les réseaux sociaux ni le smart phone n’existaient et où Amazon n’était encore qu’une librairie en ligne.
Mais le Comité Colbert n’est pas l’ennemi du web. Et le virtuel n’est pas davantage l’ennemi du luxe ou de la culture! Le Louvre, qui est membre associé du Comité Colbert, a vu le nombre de visites sur son site internet s’envoler pendant le confinement avec 10 millions de connexions en deux mois, contre 14 millions pour la totalité de l’année 2019.
Depuis mars, malgré le confinement, avez-vous pu entamer certains nouveaux chantiers? Quel est votre plan de route pour 2020-2021?
Nous sommes d’abord heureux d’avoir pu accueillir hier notre 83ème membre, avec l’arrivée des Champagnes Charles Heidsick, propriété du groupe EPI (Bonpoint, J.M Weston), preuve que le Comité Colbert, association unique dans le paysage industriel français (plus habitué à s’organiser en fédérations) garde plus jamais toute son attractivité et son importance pour les marques françaises de luxe. D’autre part, le Comité Colbert a créé en début d’année une commission chargée du développement durable présidée par Cédric Charbit, le président de Balenciaga. Ce sujet nous tient particulièrement à cœur. Le comité Colbert s’en est saisi dès le début des années 2000 quand il ne faisait pas encore la Une des journaux en créant un système de référentiels pour le luxe. Nous avons enclenché la mise à jour de ces référentiels car les stratégies RSE des entreprises ont beaucoup évolué ces dernières années. Nous sommes également en train de cartographier les savoir-faire de nos maisons en régions. La relocalisation n’est pas un vain mot dans le luxe, nos maisons s’inscrivant dans la préservation et la transmission des gestes ancestraux qui continuent de faire la renommée de l’artisanat et des produits de luxe français dans le monde.
Références
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Le Comité Colbert, comité de réflexion prospectif créé en 1954 par le parfumeur Jean-Paul Guerlain compte: 83 maisons du luxe français de taille diverse, de création ancienne ou récente, représentatives de quatorze métiers de l’art de vivre français (de A. Ducasse, en passant par Balenciaga, Christian Dior Couture et Parfums, Hermès, mais aussi Cartier et Breguet, respectivement contrôlées par les groupes suisses Richemont et Swatch) et 16 institutions culturelles (comme l’Opéra de Paris, le Louvre, le Château de Versailles…). Les membres se cooptent annuellement sur la base de cinq critères : ambition internationale, qualité, création, poésie de l’objet, éthique. Ensemble les marques du Comité Colbert pèsent un chiffre d’affaires de 59 milliards d’euros et réalisent 86% de leurs ventes à l’exportation. Comité Colbert
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