«Nous avons évolué vers une nouvelle justesse»
Pierre Rainero, directeur de l’image chez Cartier révèle pourquoi la nouvelle collection de haute joaillerie est une nouvelle voie tracée dans le riche patrimoine créatif de la maison.
Une nature libérée du réel. Ces quelques mots notés en préambule de la présentation presse officielle proposée par voie digitale cette année résument l’approche de la nouvelle collection de haute joaillerie Cartier baptisée [Sur]naturel. Mais ils résonnent bien au-delà, en ces temps troublés. Passer de la figuration à l’abstraction, c’est un élan qui anime le monde entier aujourd’hui. Et c’est ce que révèle les 150 pièces de haute joaillerie qui composent la collection 2020. Pour la première fois, des pierres de dimension spectaculaire sont choisies pour composer colliers et bagues. Et interpréter des formes organiques, ou purement graphiques d’où s’échappe une liberté nouvelle.
Le point de départ d’une collection réside-t-il toujours dans les pierres?
C’est une itération. Il y a d’abord l’envie d’explorer certains territoires. On achète les pierres au fil du temps, mais on se donne six mois à un an pour rassembler les pierres qui iraient dans la direction souhaitée. Et compléter ce que l’on a déjà. Mais nous nous laissons la liberté de revoir le thème, si les pierres ne correspondent pas. Les pierres sont clés.
Cette collection s’appelle [Sur]naturel, pourquoi ce choix?
La nature est une inspiration continue chez Cartier, de son traité naturaliste jusqu’à l’envie qui confine à l’abstraction avec des étapes de stylisation. [Sur]naturel est un nom de collection qui a été trouvé dans cette continuité d’inspiration de la faune et la flore, mais aussi comment l’homme en fait son interprétation, un peu comme une vision détachée. Nous ne sommes donc pas dans une vision surnaturelle ou fantastique.
Une façon de dire que Cartier prend la main sur la nature?
Non, je crois que la nature nous nourrit et elle reste infinie dans la capacité d’inspiration. Non, nous sommes humbles dans ce qu’elle représente. Il y a un double terrain d’inspiration: graphiquement c’est sans fin, mais symboliquement c’est tout aussi riche. Et l’on rejoint ici l’essence de la joaillerie, terrain artistique, destiné à la création d’objets qui acquièrent, parce qu’ils sont portés, un caractère symbolique très fort. Et ce dans toute civilisation.
Les pierres choisies sont spectaculaires dans leur forme, leur transparence, leur dimension. Y avait-il cette envie d’explorer le spectaculaire?
La joaillerie est une question de sophistication, d’élégance. Ici il y a un choix de pierres extraordinaires, à la fois par leur nature et leur dimension. Les béryls ou les opales ont cet effet de dimension et d’audace inhabituelles.
Est-ce une première?
Oui, car au final la dimension des pièces est un défi. Pourtant quand vous regardez le volume global du collier en opale, vous n’êtes pas dans un surdimensionnement. C’est la matière qui donne ici l’idée de grandeur à l’objet.
Cela veut-il dire que l’idée d’harmonie a changé?
Difficile à dire. Nous avons certainement évolué vers une nouvelle justesse, nous n’aurions pas choisi ces pierres-là sinon.
Cela coïncide-t-il aussi avec ce moment unique que nous vivons tous actuellement?
C’est intéressant, car cette collection a démarré il y a deux ans, et nous étions loin d’imaginer le contexte actuel. L’œil et la vision évolue constamment. C’est une cohérence dans la durée. Quant à savoir s’il y a un écho avec la période actuelle liée à la pandémie, je dirais que Cartier rentre peut-être en écho avec ce qui peut sembler aujourd’hui plus important : l’essentiel. Chez Cartier, c’est un principe constitutif. Nous tenons à aller à l’essentiel, dans les formes, les thèmes choisis. Et peut-être que la période actuelle met en valeur cette idée.
Vous êtes-vous autorisé une liberté particulière avec cette collection?
C’est une bonne question... Nous mettons en avant la cohérence du style dans le temps, mais il doit être ouvert au changement.
Un style n’est-il pas antinomique à la notion de liberté?
Non, au contraire, un langage qui est le vôtre vous permet une très grande liberté. Une liberté éclairée, qui n’enferme pas. Cette collection est inscrite dans une démarche Cartier et à la fois très libre.
Comment les clientes l’ont-elles perçue?
Bien sûr la perception a été différente compte tenu des circonstances. Nous avons beaucoup communiqué par le digital. Mais nous sommes satisfaits de constater que le désir de la nouveauté est présent. Nous avons réussi à gagner l’adhésion des clients.
Quelle a été la prise de risque?
Quand vous travaillez avec des pierres de cette nature, vous devez composer avec leur aspect extraordinaire. Mais lorsque nous faisons l’acquisition de pierres, nous sommes toujours à peu près sûrs de nous. L’objectif était d’aller plus loin, au-delà de ce que l’on connaît de la nature. Avec le collier «Tillandsia», nous nous devions d’explorer le côté translucide des béryls. Nous avons joué avec une trame de métal sertie de diamants derrière ces pierres spectaculaires, pour jouer avec la lumière. Nous en avions l’idée, mais c’était un pari. Toute exploration nouvelle est une prise de risque. Il y a un côté très organique qui se dessine sur certaines pièces. C’est un aspect que Cartier explore depuis une dizaine d’année, et il est particulièrement visible dans cette collection.
Aujourd’hui, l’œil intègre-t-il davantage cette beauté organique?
Le style architectural organique est né à la fin des années 1930, avec Oscar Niemeyer, Eero Saarinen et plus proche de nous Zaha Adid. Puis en joaillerie, ce style est apparu dans les années 1950, déjà avec un peu d’abstraction de courbes et de contre-courbes. Ici, nous sommes dans un organique qui échappe à une géométrie connue. Il y a une liberté.
Quel est votre état d’esprit lié au Covid, comment cela va façonner la créativité?
La manière dont les événements sont intégrés n’est pas réfléchie. Lorsque vous êtes face à une création, vous êtes spontané, c’est une intégration silencieuse des événements. Nous sommes tous perméables, sans pouvoir analyser l’évolution. L’analyse n’a pas lieu d’être dans un processus créatif, cela viendra avec le temps et du recul. Il est vrai que la production de la fin de la collection qui compte en tout 150 pièces a été perturbée car les ateliers ont été fermés. C’est l’ouvrage édité en septembre qui permettra de montrer l’entier de la collection.
Ne plus pouvoir voyager, est-ce un handicap pour le choix des pierres?
Oui, aujourd’hui les pierres doivent venir à vous, alors que les événements et les salons sont des opportunités de découverte. C’est aussi dans les voyages que vous stimulez votre imagination.
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