«L’ambition est d’imposer les cognacs Camus comme un grand nom du luxe»

Installé en Chine, Cyril Camus, propriétaire et président de la maison familiale de Cognac, s’est réinventé après la crise du Covid et ne dépend plus du seul marché du duty free. Aujourd’hui, le groupe a retrouvé la profitabilité, embauche et investit. Après avoir ouvert des boutiques en Chine et renouvelé ses lignes d’embouteillage, ses ateliers et bureaux en Charente, il cherche à se développer aux États-Unis, premier marché du monde. Cyril Camus dévoile, dans une interview exclusive pour Luxury Tribune, comment il compte également déployer sa marque dans le haut de gamme et en faire une maison de luxe.

Après trois années de croissance, le marché du cognac se tend; êtes-vous inquiet?

Cyril Camus: Dans l’ensemble, je vois toujours le marché évoluer positivement. Mais il est vrai qu’il y a un réajustement de l’activité. La moitié des volumes sont écoulés sur le marché américain, alors qu’en valeur, c’est la Chine qui domine. Donc, quand votre plus grand marché dans le monde tousse, en l’occurrence les États-Unis, c’est toute l’industrie qui s’enrhume, selon la formule consacrée.

Quelles sont les raisons du ralentissement des ventes?

Pendant la pandémie, ce marché a bénéficié de deux facteurs clés qui ont favorisé les ventes. Paradoxalement, alors que les bars fonctionnaient au ralenti, impactant fortement la consommation de cocktails, le cognac en a largement bénéficié. En effet, la consommation chez soi est généralement plus qualitative, on se fait plaisir avec des spiritueux, en volume comme en valeur. Le cognac en fin de repas a repris sa place, et les Américains en ont consommé plus. Le deuxième facteur qui a favorisé la croissance des ventes a été l’aide américaine à la consommation. Le gouvernement a distribué des chèques et de l’argent aux ménages. Ces cadeaux ont favorisé l’achat de Cognac.

Les années 2020 et 2021 ont donc battu des records?

Oui, ce furent deux années exceptionnelles avec des taux de croissance élevés conjugués. Cela a provoqué des difficultés d’approvisionnement en matière de bouteilles, et des perturbations logistiques. Cette collision entre forte demande et offre réduite ne s’est résorbée que dans le courant de l’année 2022. Aujourd’hui, les stocks ont été écoulés, la baisse du soutien de l’administration américaine à la consommation et la mauvaise conjoncture économique expliquent la contraction sur le marché américain.

L’inquiétude est-elle justifiée?

Non, la consommation n’est pas en baisse. Tout cela va être réglé en 2024. Il n’y a pas d’alarme, seulement une inertie entre le moment de la fabrication et de la consommation. Le tempo habituel a été perturbé. Abstraction faite de ces dysfonctionnements, il y a une croissance constante de la demande. Elle correspond à notre capacité à produire. Le cognac est un produit qui marche très bien. Avant la pandémie, nous volions de records de vente en records de vente.

Revenir au stade du pré-Covid: est-ce possible?

Il ne s’est jamais vendu autant de Cognac qu’aujourd’hui. C’est une catégorie dynamique à la fois par la «premiumisation» de manière globale, mais aussi grâce au développement de la culture des cocktails, de la mixologie, en particulier avec le cognac. En France, l’image du cognac est assez vieillotte, on aime à croire qu’il ne se vend pas bien. Pourtant le cognac est l’un des fers de lance des exports en France. Je vous rassure, Cognac est une industrie prospère.

Dans ce contexte, Camus surperforme. Comment l’expliquez-vous?

Cela est lié à notre stratégie d’aller de plus en plus loin dans le luxe. Camus était déjà une marque haut de gamme, mais aujourd’hui nous allons au-delà avec une croissance de notre activité et de notre chiffre d’affaires qui n’est pas liée à une augmentation des volumes. Nous nous sommes imposé un plafond de 2,4 millions de bouteilles par an, ce qui fait de nous un acteur modeste sur le marché. Cette limite nous permet de nous focaliser sur la qualité de nos produits. Notre ambition est de développer la valeur économique, sans pousser les gens à plus de consommation. Pour nous, maintenir le futur de notre produit passe par le respect de la terre. Il est contre intuitif de penser préserver l’avenir en produisant plus. Monter en gamme signifie mieux valoriser chaque bouteille, ce n’est pas vendre le même produit plus cher. Cela passe par une augmentation du niveau de plaisir et d’émotion généré par chaque bouteille. Cela passe par les usages du produit, la satisfaction des cinq sens. Un bel objet qui impacte l’émotion et décuple le plaisir. Le beau et le bon vont toujours ensemble. Notre contenant n’est pas un panneau publicitaire: quand il est vide, on peut le recharger. C’est un bel objet qu’on peut conserver.

L’avenir est donc à la recharge, comme c’était le cas il y a deux générations?

Nous allons lancer dans les prochains mois des carafes qui ont pour vocation de ne jamais être jetées. Nous avons déjà mis en place la chaine logistique. Par le passé, la barrique était chez le marchand. Vous alliez remplir votre carafe en cristal chez lui. On essaie de revenir vers ça, de dissocier la carafe du liquide. Aujourd’hui, c’est un système de consommation qui se conçoit assez facilement en Europe avec la libre circulation des marchandises. Mais au-delà, c’est compliqué pour des raisons douanières. Le contenant doit être suffisamment beau pour ne plus être jeté. Notre rôle est de créer la chaine logistique pour vous le permettre et ainsi réduire l’impact environnemental. L’autre évolution se situe sur l’envie de produire des qualités meilleures, offrir des vieillissements plus longs, mais aussi de faire de nos cognacs des œuvres d’art, embellir votre salon.

L’environnement est-il un réel enjeu?

Oui. Il nous faut réduire le poids verrier, par l’étude des matériaux, du packaging, des bouchons… mesurer leur recyclabilité… Nous continuons au quotidien de réduire l’impact de chaque produit que l’on crée. Mon objectif est de doubler la valeur économique, en réduisant les volumes. Nous développons nos savoir-faire dans nos ateliers pour créer des pièces uniques et des séries limitées d’exception. Nous sommes la seule maison à travailler la gravure, le travail du cuir, l’ébénisterie, le verre, la marqueterie en interne. De nos propres vignes au liquide fini, tout est verticalisé. Développer l’expérientiel passe par ce contrôle. C’est aussi pour cela que nous avons ouvert un flagship store de 600 m2 dans le sud de la Chine, mais également des résidences pour faire vivre la marque: au cours d’un repas, pour un après-midi, nous développons des lieux où la marque sera physiquement représentée. Ce sont des axes de développement importants. L’univers d’une marque va bien au-delà du produit. Nous voulons imposer Camus comme un grand nom de l’artisanat et du luxe. Mon ambition est de présenter des cognacs hautement désirables à une clientèle très ciblée, au bon moment et au bon endroit.