Horlogerie & Joaillerie

«La haute joaillerie, un raffinement et une valeur d’investissement plus recherchés que jamais»

Bulgari lançait sa nouvelle collection de haute joaillerie Eden au cœur de la capitale française, le 7 juin dernier. Dans son interview, Jean-Christophe Babin explique pourquoi la demande reste forte pour des pièces d’exception et affirme que la progression des ventes sur un an se situe sur un pourcentage à deux chiffres

L'actrice Anne Hathaway et Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari lors du gala BULGARI EDEN THE GARDEN OF WONDERS à Paris. (Photo par Daniele Venturelli/Getty Images for Bulgari)

Bulgari dévoilait début juin sa dernière collection de haute joaillerie Eden The Garden of Wonders, dans sa boutique place Vendôme, «au cœur de la capitale mondiale de la joaillerie», comme le rappelle Jean-Christophe Babin, le patron du joyau italien en main du plus grand groupe de luxe français LVMH. Un événement qui se poursuivait en soirée à l’ambassade d’Italie où clients, membres de la presse, influenceurs et stars du cinéma étaient conviés pour un dîner de gala. Les actrices américaine et indienne Anne Hathaway et Priyanka Chopra, ainsi que la chanteuse et danseuse de K-pop d’origine thaïlandaise Lisa avaient fait le déplacement, créant l’engouement recherché par la marque sur les réseaux sociaux. Une exposition médiatique propre à entretenir une désirabilité nécessaire à contrer un contexte géopolitique tendu. Pourtant, selon Jean-Christophe Babin, la demande reste forte pour des pièces d’exception ; la progression des ventes sur un an, en haute joaillerie, se situe sur un pourcentage à deux chiffres. Pour Luxury Tribune, il décrypte le contexte macro-économique et explique le phénomène.

À voir le service d’ordre à l’extérieur, comme à l’intérieur de la boutique parisienne aujourd’hui, de toute évidence le joaillier italien Bulgari frappe un grand coup…

L'actrice et ambassadrice de la marque Zendaya porte Serpenti Ocean Treasure, deux serpents qui fusionnent en un seul, créant le collier en platine et diamant, doté d'un mouvement de torsion qui retient un saphir sri-lankais exceptionnel de 61,30 carats en forme de goutte DR)

Nous voulions être largement l’égal des plus grands joailliers français, place Vendôme. Nous sommes un joaillier romain, mais d’inspiration globale. C’est une concordance de timing avant tout, entre l’ouverture de ce flagship l’an dernier, l’ouverture de l’hôtel Bulgari à Paris il y a quelques mois et la présentation aujourd’hui de nos pièces de haute joaillerie, la plus importante jamais développée. Pour nos clients, c’est une triple découverte. Ce triangle d’or offre une expérience immersive complète de la marque.

Une collection très large, opulente, avec plus de 140 créations. Les temps actuels sont-ils toujours favorables aux ventes? Expliquez-nous ce choix stratégique.

Chaque année, Bulgari a de plus en plus de succès en haute joaillerie. Cela nous a donné l’envie d’oser plus, d’aller plus loin dans l’expression de la signature Bulgari, par la polychromie habituelle de nos parures et une partie créative que je qualifierais de bichromie, associant le diamant et une pierre précieuse comme le rubis, l’émeraude, le saphir ou d’autres gemmes rares. Il est vrai que la collection compte aussi cette année des pièces entièrement en diamants, car nous souhaitons également affirmer notre savoir-faire à ce niveau-là.

Certaines pièces totalisent plusieurs centaines de carats. Avez-vous cherché à augmenter cet aspect d’investissement?

Bien sûr, en prenant pour thème le jardin d’Éden, l’émeraude y tient une place de choix. C’est une pierre que Bulgari a beaucoup utilisée dans son histoire. Elle est aujourd’hui la pierre précieuse la plus désirée.

La plus valorisée aussi…

Le collier Tribute to Paris a nécessité 2 000 heures de travail à la main, présente une émeraude colombienne ovale de 35,53 carats (DR)

C’est d’abord une question de qualité. Le prix au carat de l’émeraude est bien supérieur au diamant ou à beaucoup d’autres pierres. Ce que nous voulons, c’est offrir à nos clients des pierres et des créations extraordinaires. Nous en vendons à 500 000 euros comme à 5 millions d’euros. Ce qui importe, c’est que le client ait l’impression d’avoir entre les mains une très belle pièce d’artisanat, quel que soit son prix. Cela commence déjà à 2000 euros avec une bague B.zero1. Évidemment, le poids de la pierre ajouté à la créativité de la maison permet de garder, voire d’augmenter, dans le temps la valeur du bijou.

Quelle est la valeur totale de la collection?

Elle se monte à plusieurs centaines de millions d’euros, en valeur assurance, en dessous de la valeur commerciale. C’est effectivement la plus grande collection jamais montrée. 

Cette année, la partie horlogère a également donné lieu à des déclinaisons extraordinaires, permettant de compléter la parure de haute joaillerie de manière tout à fait novatrice. Est-ce aussi une nouvelle stratégie?

Présentée dans un ensemble avec le collier assorti, la montre manchette Emerald Venus célèbre la passion de longue date de Bulgari pour les émeraudes vertes, ici avec un total de 47 carats et diamants baguette (DR)

Oui, c’est un élan que nous avions déjà amorcé il y a quelques années, mais nous avons essayé cette année d’anticiper davantage encore le temps horloger, plus long que le temps joaillier, pour proposer ces créations exceptionnelles. Nous lançons la partie conceptuelle de nos créations en haute joaillerie plus en avance qu’il y a dix ans, pour permettre à notre division horlogère de s’y accrocher. Nous démarrons nos créations dix-huit mois avant le lancement.

Y a-t-il une demande croissante de la part des clients de ces pièces horlogères de très haute joaillerie?

Oui, c’est certain. Elle est en proportion de la demande de haute joaillerie et j’ajouterai avec un potentiel extrêmement élevé. Aujourd’hui, nous pourrions en vendre le double, si nous avions les ressources humaines pour pouvoir en fabriquer.

Est-ce une niche à occuper?

Pour un joaillier, fabriquer des montres joaillières me semble être une évidence. Mais nous ne sommes plus dans l’idée de la parure à l’ancienne, nous cherchons à créer des pièces joaillières horlogères dans la thématique de l’année, pour une plus grande uniformité.

L'actrice indienne Priyanka Chopra au gala BVLGARI EDEN THE GARDEN OF WONDERS (Photo by Daniele Venturelli/Getty Images for Bvlgari)

Qui sont les clients qui achètent vos pièces de haute joaillerie?

Comme les clients chinois ne peuvent pas venir au lancement, pour cause de restrictions pandémiques, la collection ira jusqu’à eux. À Shanghai, comme à Pékin, nous avons pu rouvrir nos boutiques à la fin du mois de mai. Mais les clients restent très prudents. Au moindre cas positif, le centre commercial tout entier doit fermer, mais avec ses clients à l’intérieur! Ils seront en mesure de rentrer chez eux après que tous auront été testés. Il y a donc encore une certaine réticence à aller faire ses achats dans une grande surface… Après, la Chine, les États-Unis, le Moyen-Orient, l’Asie du Sud-Est et le Japon recevront la collection itinérante.

Vous n’êtes donc pas inquiet de l’impact potentiel des crises actuelles, dont l’invasion de l’Ukraine ou la pandémie en Chine?

Bien sûr, nous souhaitons un retour à la normale pour ces régions du monde. Cependant, si l’on regarde les derniers résultats des grands groupes, les chiffres de 2021 ont été meilleurs que ceux de 2019. Il y a donc une résilience et un appétit du luxe plus fort que jamais. Je ne serais pas étonné de constater que les résultats du premier semestre de 2022, qui seront publiés dans le courant de l’été, soient plutôt bons. Le conflit russo-ukrainien est bien sûr déstabilisant et a un impact sur le marché russe, mais nous constatons que nos ventes de haute joaillerie à date – fondée sur la collection Magnifica de l’an dernier jusqu’à cette nouvelle collection lancée aujourd’hui – sont en forte croissance, en anglais «high double digit». À tel point que le chiffre d’affaires généré sans événement particulier, avec une collection qui a simplement voyagé, est en forte croissance. Cela démontre que l’appétit est là, que la collection est juste, que la marque est cohérente et que les pierres sont exceptionnelles. Au-delà de la haute joaillerie, en horlogerie, comme en joaillerie et en accessoire, le client est prêt à payer plus cher pour s’assurer de l’authenticité, de la qualité et de l’intemporalité de l’objet.

Vos clients sont également ceux qui ont perdu à la bourse, spécialement dans les valeurs de la Tech…

Lucia Silvestri, directrice artistique de la Maison Bulgari et Lisa aka Lalisa Manoban au gala BULGARI EDEN THE GARDEN OF WONDERS à Paris. (Photo par Marc Piasecki/Getty Images for Bvlgari)

Concernant la bourse, nous avons un peu la mémoire courte. Nous sommes effectivement un peu en dessous du pic, mais les cours demeurent deux fois et demie plus haut que ceux enregistrés il y a cinq ans. Quelqu’un qui avait un beau patrimoine il y a six mois en bourse en possède un peu moins, certes, mais il reste deux fois et demie plus élevé qu’il y a cinq ans. Cela veut dire que, concernant le luxe, les ressources potentiellement disponibles sont élevées. L’instabilité boursière dégage des liquidités qui sont investies dans des valeurs plus sûres, dont la haute joaillerie.

Comment alors expliquer cette mauvaise performance du fameux diamant Hope qui devait battre des records aux enchères et qui a été vendu en dessous des estimations?

Je crois qu’aujourd’hui, les gens recherchent moins le «show off», le spectaculaire, mais bien plus la beauté, l’unicité, la garantie de la marque en termes d’éthique et de transparence. Il faut savoir mettre en scène un diamant de 200 carats, pour en faire un objet d’art, au-delà de la pierre. Les gens ne sont plus à la recherche de record, mais d’exception. Et cette dernière est atteinte par l’esthétique et la qualité de la pierre plus que par son caratage. Je ne suis donc pas étonné que de très grosses pierres ne trouvent pas preneur.

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