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Influence 3.0: ces créateurs de contenu qui repensent le rapport au luxe

Cristina D’Agostino

By Cristina D’Agostino13 février 2025

Le marketing d’influence a profondément évolué ces dix dernières années. Passant de quelques superstars du domaine à des millions de micro-influenceurs, ceux qui la constituent sont au cœur des stratégies du luxe. Pour quelle influence? Deux créateurs de contenu, Morgan Mesple et The Gstaad Guy répondent.

Morgan Mesple fédère une communauté de 93 000 abonnés sur Instagram. Plus que d'influence, il préfère parler d'image. Ici, il porte un modèle de la marque IWC Schaffhausen dont il est ambassadeur (IWC)

En janvier 2025, l’humoriste Khabane Lame, basé en Italie, était le créateur de contenu le plus suivi sur la plateforme TikTok (1,5 milliard d’utilisateurs, chiffres statista 2024) avec 162,4 millions d’abonnés. Sur Instagram (2 milliards d’utilisateurs), le record de followers pour un seul influenceur – toutes plateformes confondues – est toujours détenu par le footballeur Cristiano Ronaldo, qui cumule 648 millions d’abonnés, suivi par Kylie Jenner et ses 394 millions de fans. Et pourtant, dans l’arène de la désirabilité, les micro-influenceurs gagnent du terrain, plus que jamais au cœur des stratégies des marques. Leur manière de s’adresser aux utilisateurs, plus originale et créative, offre un plus grand engagement. Le luxe adore. 

Une industrie à 24 milliards de dollars

Le système d’influence a toujours été là, depuis des temps anciens; c’est son accès qui a changé

Morgan Mesple, créateur de contenu, directeur artistique, producteur de musique et ambassadeur entre autres pour IWC Schaffhausen

Jeux d’influence et enjeux de puissance ont désormais migré sur les plateformes de Meta, de YouTube ou de TikTok. Chaque réseau social, devenu média, est un vecteur d’information et d’opinion au point d’influer sur les marchés boursiers. Un défi crucial pour les sociétés, au point qu’en Suisse, la Commission fédérale des médias (COFEM) alertait, le 14 janvier dernier, sur le pouvoir des réseaux sociaux. «Les plateformes en ligne telles que les réseaux sociaux et les moteurs de recherche marquent aujourd’hui fortement une partie du discours public et de l’échange d’informations. […)]. Elles ont un pouvoir sur l’opinion et influencent significativement le discours public à travers leurs algorithmes.»

Avoir de l’influence aujourd’hui ne se résume plus aux secondes d’attention captées, mais à la qualité de l’engagement avec ses communautés. La recherche d’authenticité et de sens donné au message digital prime dans les plans de communication des entreprises, avec une large préférence pour Instagram avec 44,5% des parts dépensées (source Le Monde). Et sur ce point, ce sont les nano– (entre 1000 et 10 000 abonnés), les micro– (entre 10 000 et 100 000 abonnés) et les macro- influenceurs (entre 100 000 et 500 000) qui assurent les plus hauts taux d’engagement (de 2,15% pour un macro-influenceur à 5,6% pour un nano). Ils ont clairement la préférence des entreprises.  À titre de comparaison, les superstars des réseaux dépassant les 3 millions d’abonnés performent bien moins: Cristiano Ronaldo n’affiche que 0,58% de taux d’engagement sur HypeAuditor.

Ce que je dis et comment je le dis a des conséquences et un poids

The Gstaad Guy, créateur de contenu et fondateur des marques Palais Constance et Poubel

Ces dernières années, le marketing d’influence a connu une profonde transformation, passant d’un marché émergent évalué à 1,7 milliard de dollars en 2017 à une industrie mondiale de 24 milliards de dollars en 2024 (Geyser, 2024 b). Il est devenu un pilier essentiel de la creator economy en plein essor.

Mais que veut dire avoir de l’influence de nos jours? Plus aucun événement d’envergure n’est pensé sans la présence d’influenceurs.  Ciblant des communautés diverses en intérêts, en zones géographiques, en revenus, en genres et en nombre, les marques tablent sur un succès immédiat, grâce à la viralité de leurs contenus. Lancements de produits, concerts, défilés, opérations philanthropiques, expositions artistiques ou nouvelles expériences gastronomiques, superstars et nano-influenceurs sont à toutes les soirées, à toutes les promotions. Ils se retrouvent en bande, partagent le carré VIP, et même un peu de leur pouvoir d’influence.

Créer des ponts entre les univers créatifs

Morgan Mesple porte ici la montre IWC Ingenieur Automatic 40 Réf. IW328901 (IWC)

Parmi eux, deux créateurs de contenu, Morgan Mesple (93 000 abonnés) et The Gstaad Guy (1,1 millions d’abonnés), font très régulièrement partie des cohortes d’influenceurs invités par les marques de luxe. Hommes d’affaires avisés, ils maîtrisent parfaitement la gestion de leur image au point de générer de nombreux businesses dérivés.

Aujourd’hui, les marques s’impliquent et adhèrent aux autres univers créatifs qui m’appartiennent

Morgan Mesple, créateur de contenu

«Le système d’influence a toujours été là, depuis des temps anciens; c’est son accès qui a changé, explique Morgan Mesple, créateur et entrepreneur suisse basé à Zurich. Plus que d’influence, je préfère parler d’image. Mes revenus sont répartis entre l’image, la musique et mes activités entrepreneuriales (ndlr, à la question de ses gains, nous n’obtiendrons pas de réponse). Ce qui m’intéresse au plus haut point, c’est de pouvoir lier ces mondes et en tirer des synergies. J’ai réussi peu à peu à m’écarter du business classique de l’influence. Les gens ne s’intéressent plus aux simples posts de placement de produits. Cela ne m'intéresse pas d'y être assimilé. Aujourd’hui, les marques s’impliquent et adhèrent aux autres univers créatifs qui m’appartiennent, à l’exemple d’IWC Schaffhausen, avec qui je collabore dans le secteur de l’horlogerie. Nous avons collaboré dans le segment musical avec notre société RESONICA. Les marques se lient avec des influenceurs qui possèdent un monde, un style de vie créatif, très personnel, qui offre une authenticité, une richesse du propos.»

Aguerri au management après des études en finance à la prestigieuse université suisse HEC St-Gallen, Morgan Mesple possède également une marque de mode streetwear NOLOGO Studio basée à Zurich, un label 2M actif dans la production musicale et une agence événementielle Resonica. Il poursuit: «RESONICA est à la fois un label musical et un festival, actif en Suisse romande, alémanique et au Tessin. Plusieurs EP ainsi qu’un album de 2M sont actuellement en production et sortiront prochainement sur RESONICA Records. La première compilation du label, RESONICA (RSNC01), est d’ailleurs sortie le 7 décembre dernier. »

Morgan est PDG et cofondateur de la marque de streetwear haut de gamme NOLOGO studio, du label 2M et de la société événementielle Resonica (IWC)

L’engagement qu’il obtient de ses communautés est élevé. Il poursuit: «NOLOGO Studio, la marque de mode que j’ai cofondée, est une typique social brand, c’est-à-dire une communauté intrinsèquement liée à une marque. Un NOcafé est d’ailleurs en projet. Pour autant, je ne mélange pas les communautés des trois pôles, qui doivent rester indépendants.»

Ces influenceurs 3.0, capables de flairer le marché, le bon produit au bon moment, et de monter les coups marketing qui leur permettront de multiplier les points d’entrée vers leurs contenus, ont su très tôt se créer une image suffisamment originale pour se démarquer et faire fructifier leur business.

L’humour pour garder une distance

The Gstaad Guy, créateur de contenu, aujourd'hui basé à Londres, possède une communauté de plus de 1,1 million d'abonnés sur Instagram. Ici, à l'événement Kaws, organisé par Audemars Piguet et dont il est ambassadeur (AP)

C’est le cas de The Gstaad Guy (ndlr. qui ne souhaite pas révéler son vrai nom), influenceur suisse à plus de 1,1 million d’abonnés, qui affiche 6,35 % d’engagement sur la plateforme d’évaluation HypeAuditor. Désormais établi à Londres, ce spécialiste de la Tech, qui a travaillé plusieurs années chez Apple, s’est créé une image d’icône caricaturale du luxe, parodiant les super-riches et leurs habitudes. Son personnage, Constance, est un pastiche de l’élégant gentleman, toujours adéquat de Saint-Moritz à New York et qui maîtrise les codes de la haute société à la perfection. En optant pour la mise à distance de sa propre image, The Gstaad Guy peut pénétrer le monde du luxe, le côtoyer, évoluer avec les puissants, signer des contrats avec eux, sans jamais se dévoiler vraiment. Reconnu comme l’un des leurs malgré la caricature, Constance, son personnage de comédie, a le privilège de lâcher quelques vérités.

Les ultrariches se reconnaissent dans mon personnage de Constance, que l’on pourrait voir comme un Louis de Funès de l’influence

The Gstaad Guy, créateur de contenu qui incarne les personnages de Constance et Colton

Il décrit sa communauté comme peuplée d’ultrariches : «Ils se reconnaissent dans mon personnage de Constance, que l’on pourrait voir comme un Louis de Funès de l’influence. Ils aiment rire et apprendre avec moi, au fil de mes vidéos sur Instagram. Constance est un testeur de goût et de style. Il dit ce qui est bon ou mauvais, ce qui est chic et ce qui ne l’est pas. Je parle bien sûr de produits, de destinations, d’expérience, comme des journalistes pourraient le faire, mais sur le ton de la comédie, ce qui rend le tout plus digeste. Les gens sont venus sur mes contenus pour rire, aujourd’hui ils y viennent aussi pour apprendre.»

Pourtant, malgré la caricature, et les grimaces appuyées, The Gstaad Guy a manifestement réussi à trouver le ton juste pour parler aux plus fortunés. Une question de maîtrise des codes secrets du luxe? À la question de savoir s’il vient lui-même de ce monde, il avoue : «Pour être complètement honnête, j’ai été exposé à ces codes étant petit. J’ai toujours vu mon père et mon grand-père s’habiller en Loro Piana, m’expliquer le savoir-faire, le souci du détail. Mon environnement privé m’a permis d’intégrer 50% des codes que mon personnage exprime. Les autres aspects, je les ai appris par moi-même, plus tard. Je suis un grand fan de luxe, car il pousse les exigences de qualité et d’innovation au maximum.»

Je ne suis pas un panneau XXL sur une autoroute, mais un événement intimiste

The Gstaad Guy, créateur de contenu et ambassadeur entre autres de la marque Audemars Piguet

Aujourd’hui, The Gstaad Guy signe des contrats d’exclusivité avec de grandes marques de renom comme Loro Piana, Audemars Piguet ou Aqua Di Parma entre autres. Il poursuit: «Les marques aiment travailler avec moi pour ma façon de m’exprimer, mon amour du jeu. Donner un descriptif de produit n’est pas intéressant ni engageant. Ma façon de jouer la comédie et de raconter donne du sel à l’histoire. J’aime nourrir ma communauté avec des connaissances, leur apprendre quelque chose, c’est tout le but de mes vidéos. Je ne cherche pas à augmenter le nombre de mes abonnés, mais à faire croître l’intérêt de ceux qui le sont déjà. Par exemple, avec Audemars Piguet, je ne vais pas chercher à engager de nouvelles communautés à connaître la marque, car s’ils me suivent, ils l’apprécient déjà. Je vais plutôt les inciter à regarder différemment un matériau, une innovation. Pour le dire en image, je ne suis pas un panneau XXL sur une autoroute, mais un événement intimiste.» Du côté de la marque horlogère, elle est en phase avec l’esprit du créateur de contenu, une porte-parole répond: «The Gstaad Guy s’intéressait déjà à la marque avant que nous décidions d’officialiser notre collaboration il y a plus d’un an. Comme nous, il connaît bien l’horlogerie, mais ne se prend pas trop au sérieux. Le public qui le suit, principalement la GenZ mais pas seulement, apprécie particulièrement son ton décalé et son univers.»

The Gstaad Guy jouant son personnage de Constance et quelques charms de sa marque Poubel (@gstaadguy Instagram - Poubel)

La fiction est bien plus intéressante, car elle vous permet de dire beaucoup plus, tout en vous permettant de conserver une intimité

The Gstaad Guy, créateur de contenu

Quelle part de responsabilité cette influence peut-elle exiger de la part du créateur de contenu? «Cela représente une grande responsabilité, poursuit The Gstaad Guy, l’algorithme donne une préférence à la vidéo ou au post qui est regardé longtemps. Cela induit un intérêt et un respect du contenu que je produis. En découle alors une habilité à influencer le comportement, et à déboucher in fine sur l’acte d’achat. Ce que je dis et comment je le dis a des conséquences et un poids.»

Le sentiment de toute-puissance ou de schizophrénie est-il inéluctable? «Il est assez simple de me détacher de mes personnages, poursuit The Gstaad Guy,  car ils sont une caricature. Les créateurs de contenus qui montrent la réalité de leur vie sont plus exposés, peuvent en souffrir plus. Montrer sa vie privée peut paraître authentique, mais c’est un danger. La fiction est présente dans toute forme de médium, que ce soit la littérature, le cinéma, les émissions de télé, à l’exception des médias sociaux, ce qui est une folie. La fiction est bien plus intéressante, car elle vous permet de dire beaucoup plus, tout en vous permettant de conserver une intimité; ça devrait être une catégorie en croissance, mais ce n’est pas du tout le cas aujourd’hui.»

Les revenus tirés de ses partenariats (ndlr, qu’il ne divulguera pas) l’ont également mené à concrétiser d’autres affaires, dont la création d’un rosé Palais Constance qu’il a réussi à placer dans les meilleures adresses gastronomiques en Europe, ou encore une marque de bijoux baptisée Poubel, sous forme de pendentifs «charms» qui prennent la forme des caricatures du luxe qu’il moque dans ses vidéos. Beaucoup de ses abonnés sur Instagram en portent ou consomment son vin.

Nanos ou mégastars de l’influence, ceux qui parviennent à rester sur le devant de la scène ont réussi à inventer un langage original, créatif, perçu comme authentique.  Leur sens des affaires, une composante désormais centrale, est également fondatrice de l’influence en 2025.  Leurs produits, reconnus uniquement par les initiés, deviennent ainsi à leur tour des objets de désirs, et des codes du luxe. Ce n’est pas un hasard si, sur la homepage du site du rosé Palais Constance s’affiche en grand: Those who know, just know (ceux qui savent, savent), et sur la page de la marque horlogère IWC, lorsqu’elle mentionne son partenariat avec Morgan Mesple il est aussi écrit : «If You Know, You Know»…

Références

  • 1

    Influencer marketing unlocked: Understanding the value chains driving the creator economy Barak Libai, Ana Babić Rosario, Maximilian Beichert, Bas Donkers, Michael Haenlein, Reto Hofstetter, P. K. Kannan, Ralf van der Lans, Andreas Lanz (corresponding author), H. Alice Li, Dina Mayzlin, Eitan Muller, Daniel Shapira, Jeremy Yang, Lingling Zhang

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