Mode

Haute couture 2022: le retour du spectaculaire

Eva Morletto

By Eva Morletto08 février 2022

La revalorisation des métiers de l’artisanat d’art est au cœur des collections haute couture printemps-été 2022. Un retour du spectaculaire qui met en lumière les savoir-faire de l’ombre.

Dior a présenté sa collection printemps-été 2022 au Musée Rodin, décoré des œuvres de Madhvi et Manu Parekh, deux artistes indiens, pour l'occasion (Dior)

Cette année, un des nombreux rendez-vous de la haute couture parisienne a eu lieu au Musée Rodin. C’est dans les jardins à la française de cet hôtel particulier du XVIIIe siècle que la maison Dior a présenté sa nouvelle collection printemps-été 2022. Le pavillon, construit pour l’occasion, était décoré des œuvres des artistes indiens Madhvi et Manu Parekh, dont le travail a, entre autres, été influencé par Paul Klee et Francesco Clemente. Inspirés par l’art rural des différentes régions indiennes, ils s’interrogent sur le sens des traditions et de la spiritualité de leur pays ainsi que sur le pouvoir symbolique des divinités.

Un choix artistique que la directrice de la création de la maison Dior Maria Grazia Chiuri a voulu à tout prix valoriser dans sa nouvelle collection haute couture. Ses créations mettent en lumière le lien indissociable entre art et artisanat, entre élan artistique et savoir-faire parfois millénaire, mais souvent relégué au deuxième plan.

Revaloriser l’artisanat de l’ombre

Les créations de la collection Dior haute couture printemps-été 2022 mettent en avant le lien entre art et artisanat, pour marquer l’importance capitale des artisans dans le monde de la mode (Dior)

Choisir deux artistes inspirés par l’artisanat d’art rural est une décision qui va de pair avec la mise en valeur des manufactures traditionnelles, des savoirs qui se transmettent de génération en génération. Mais ce choix ne se limite pas à des raisons éthiques.

À plusieurs reprises, Maria Grazia Chiuri a remarqué l’importance capitale des artisans qui gravitent autour du monde de la mode et particulièrement de la haute couture. Une valorisation économique qui n’est bien souvent pas assez soutenue par les institutions. L’artisanat textile, y compris en Italie, le pays d’origine de Maria Grazia Chiuri, est souvent une affaire de femmes. Une activité peu payée, peu considérée, peu codifiée.

Le travail manufacturé est régulièrement moins bien valorisé qu’un travail intellectuel, et donc moins soutenu, moins rémunéré

Maria Grazia Chiuri, directrice de la création de la maison Dior

Si la France fait exception – la culture française valorise depuis toujours les métiers de l’artisanat – la situation est tout autre ailleurs dans le monde. L’Italie, par exemple, possède le réseau de sous-traitance de l’industrie textile le plus puissant au monde. Pourtant, une faille importante subsiste: le manque de reconnaissance institutionnelle, d’un encadrement et d’une valorisation des salaires. Troisième pays exportateur de produits textiles, après la Chine et l’Inde, et plus de 80 000 petites et moyennes entreprises dans le secteur, l’Italie peine à valoriser son artisanat, alors que son poids économique défie celui du tourisme.

Brodeurs, tanneurs, plumassiers, orfèvres, maroquiniers et chapeliers se sont encore surpassés pour la collection Schiaparelli haute couture 2022 (Schiaparelli)

Selon Maria Grazia Chiuri : «Le travail manufacturé est régulièrement moins bien valorisé qu’un travail intellectuel, et donc moins soutenu, moins rémunéré.» Par voie de conséquence, la mise en valeur des filières textiles et de la formation de jeunes talents sont moins promues.

Pourtant, depuis son arrivée à la tête de la création artistique en 2017, Maria Grazia Chiuri ne cesse de valoriser l’incroyable patrimoine artisanal et du savoir-faire des ateliers qui travaillent pour Dior. Son objectif: les sublimer en puisant dans cet immense potentiel pour créer un lien indissociable entre art, artisanat et mode. Les modèles présentés lors du défilé en sont la sublime incarnation. Robes du soir, broderies, tulle et organza étaient travaillés de façon magistrale, rehaussés de perles et de pierre précieuses. Ces nouveaux codes précieux se révélaient jusqu’aux collants, parsemés de brillants et transformés en véritables bijoux de jambes.

La Maison parisienne Schiaparelli a su encore une fois retravailler son univers surréaliste (Schiaparelli)

Cependant, le pari de la valorisation de l’artisanat textile n’était de loin pas le seul apanage de Dior. Schiaparelli a su capter les regards, tant le travail du talentueux styliste Daniel Roseberry impressionne. L’iconique maison parisienne, aujourd’hui propriété du célèbre entrepreneur italien Diego Della Valle (à la tête du groupe Tod’s totalisant plus de 637 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020) a su encore une fois retravailler son univers surréaliste – Elsa Schiaparelli avait travaillé à plusieurs reprises avec Salvador Dali – et le monde de l’art. Brodeurs, tanneurs, plumassiers, orfèvres, maroquiniers et chapeliers se sont encore surpassés pour cette collection 2022.

Sous les voûtes du Petit Palais, on a vu défiler des robes squelettes, des bustiers futuristes en forme d’anneaux de Saturne, des capes de vestale ancienne, des chapeaux-corolle, des coiffes en plumes noires, de sublimes manches en cerceau et broderies Apollon de Versailles. Le tout mis en lumière par le choix d’une palette chromatique ciblant la pureté et l’essentiel: le blanc, le noir et l’or. Trente-deux œuvres haute couture, des robes bijoux où le cuir sculpté recouvert d’or 24 carats est une magistrale démonstration du savoir-faire d’orfèvrerie et de maroquinerie.

La haute couture, à n’en pas douter, redevient l’ambassadrice de cette filière des métiers. L’économie de la mode en sortira surement avantagée. 

Partager l'article

Continuez votre lecture

La force symbolique de la haute couture en 2021
Mode

La force symbolique de la haute couture en 2021

Alors que les marques de mode de luxe cherchent à restaurer à tout prix l’optimisme de leur clientèle, c’est sur un recentrage de leur savoir-faire, de leur héritage et de leur imaginaire que les grandes maisons de haute couture ont capitalisé, lors des collections automne-hiver 2021-2022.

By Sandra Krim

LVMH et Kering, des stratégies opposées face aux défis de la reprise
StratégieGrand angle

LVMH et Kering, des stratégies opposées face aux défis de la reprise

Après une année de rupture dans leur croissance, LVMH et Kering doivent répondre aux défis de la reprise, tout en faisant face aux mutations du secteur de la mode de luxe. Pour ce faire, leurs marques de mode semblent avoir opté pour des stratégies opposées.

By Sandra Krim

S'inscrire

Newsletter

Soyez prévenu·e des dernières publications et analyses.

    Conçu par Antistatique