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Géopolitique et Luxe: les défis et perspectives post-Brexit

Eva Morletto

By Eva Morletto09 septembre 2024

Nous sommes désormais bien loin de l’étude commandée en 2019 par Walpole – organisme officiel du secteur des produits de luxe au Royaume-Uni – et réalisée avec l’intention de souligner les pertes engendrées pour le secteur si le Brexit avait eu lieu.

L’étude avait prévu jusqu’à 6,8 milliards de livres de pertes pour cause d’obstacles aux exportations. Le groupe Walpole représente environ 250 marques britanniques haut de gamme, dont les iconiques Burberry - aujourd’hui sortie du gotha des 100 entreprises les plus cotées à la Bourse de Londres - Bentley, Alexander Mc Queen ou encore Harrods. Juste avant le Brexit, environ 80% des produits de luxe fabriqués au Royaume-Uni étaient exportés, principalement en Europe. Mais où en est-on aujourd’hui? Comment les grandes griffes anglaises ont-elles affronté ce moment crucial ?

L'accord sur le Brexit, conclu dans les derniers instants de 2020, prévoyait un commerce sans quota pour les produits de luxe entre l'UE et la Grande-Bretagne, largement salué par le secteur. L'association britannique de la mode et du textile a affirmé que ces termes de l’accord avaient permis de sécuriser les 7,4 milliards de livres sterling de textile que le Royaume-Uni vendait à l'UE chaque année, son plus grand marché. Mais il reste tout de même encore plusieurs zones d’ombre: les formalités administratives et les déclarations de douane qui pèsent sur la logistique, ainsi que les «règles d’origine» qui prévoient pour chaque produit un pourcentage maximal autorisé de «matières non-originaires» (composants en provenance ni du Royaume-Uni ni de l’UE). Si enfreintes, ces règles empêchent l’exportation du produit vers l’UE en franchise de droits. L'autre point noir est la suppression de la TVA pour les acheteurs internationaux, un vrai sujet d’inquiétude, car il empêche les voyageurs étrangers d’accéder au remboursement de la taxe de 20 %.

Au lendemain de l’application de cette mesure, des grandes marques de luxe, dont Gucci et Hugo Boss, avaient adressé une lettre ouverte au gouvernement, le prévenant que la décision de mettre fin aux achats détaxés allait coûter à l’Angleterre des milliards de livres sterling en pertes (1,8 milliard de livres sterling selon les estimations du Centre for Economics and Business Research).

En 2022, le ministre des Finances Kwarteng avait repris en main le problème sous la pression du monde du retail et du luxe en général, et relancé un programme d'achat sans TVA pour les visiteurs étrangers au Royaume-Uni, permettant à nouveau aux touristes d'obtenir un remboursement de 20 % à leur sortie du pays pour les biens achetés dans les rues commerçantes et les aéroports d'Angleterre, d'Écosse et du Pays de Galles. Mais l’ex-Premier ministre Liz Truss, pour des raisons purement politiques et à cause de ses querelles avec le ministre en question, a stoppé net la reforme générant de multiples allers-retours sur la question et déstabilisant le commerce haut de gamme.

Le Trésor anglais a réexaminé cette année la suppression de la détaxe des achats pour les touristes, mais pour l’instant la situation n’a pas évolué. Les marques de mode telles que Burberry et Alexander McQueen ont vu leurs coûts d'exportation augmenter considérablement en raison de l'imposition de droits de douane de 10 à 12% sur les marchandises exportées du Royaume-Uni vers l'UE. Ces dépenses supplémentaires ont été répercutées sur les consommateurs sous la forme d'une hausse des prix de leurs produits, ce qui a affecté la demande et le chiffre d’affaires.

Malgré ces obstacles et la période sombre que vit actuellement la marque iconique Burberry, le luxe anglais s’en est malgré tout plutôt bien sorti, même si ce n’est pas le secteur de la mode, mais plutôt celui de l’industrie automobile qui tire son épingle du jeu: 2023 fut pour Bentley la troisième meilleure année en termes de ventes et Jaguar Land Rover a affiché l’année dernière des records de vente, en hausse de +35% par rapport à l’exercice financier précédent. Ces exploits admirables ont aussi concerné Rolls-Royce et Aston Martin.

Selon Walpole, le segment haut de gamme est évalué à 81 milliards de livres sterling et pourrait contribuer à hauteur de 125 milliards de livres à l'économie d'ici 2028. Le raz-de-marée travailliste qui a investi le Royaume-Uni en juillet dernier, et qui a vu la nomination de Keir Starmer au poste de Premier ministre, devrait rapprocher à nouveau l’Angleterre de l’Europe et donner un élan supplémentaire à la reprise du marché.

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