Tribune libre

Culpabilité et sentiment de honte dans la consommation de luxe

Alice Markuly

By Alice Markuly16 juillet 2024

Elle s'assied à la table, les épaules affaissées, en tripotant son nouveau sac de créateur. Ses oreilles rougissent de minute en seconde. Elle évite le contact visuel tout en bredouillant des arguments sur la qualité et le prix raisonnable. La culpabilité après l'achat d'un article de luxe et la menace imminente de la critique sociale sont comme des murmures, faibles mais persistants. L'évolution récente des consommateurs chinois d'articles de luxe a toutefois transformé ces murmures omniprésents en débats plus vifs sur la question du sentiment de honte du luxe.

Historiquement, le luxe est le reflet du statut social. Les rois, les aristocrates et les prêtres faisaient partie des privilégiés. Le luxe était synonyme de pouvoir et un instrument permettant de créer une distance sociale. Aussi désuet que cela puisse paraître, l'accessibilité limitée fait partie intégrante de la stratégie d'une marque haut de gamme. Aujourd'hui, en revanche, nous sommes confrontés à la démocratisation du luxe et à l'évolution des préférences des consommateurs. Les marques proposent des options avantageuses, le marché de l'occasion est florissant, les consommateurs privilégient les articles discrets aux articles voyants et investissent dans le bien-être plutôt que dans les chaussures.

Toutefois, les vieux préjugés persistent. La consommation de luxe est toujours associée à des traits négatifs tels que le gaspillage, l'irrationalité et l'immoralité. Le principal problème est que le luxe rend visibles les inégalités économiques. Les personnes qui affichent des produits de luxe peuvent être considérées comme ayant réussi, mais sont perçues comme manquant de chaleur et de relation (Kapferer & Valette-Florence, 2021 ; Cannon & Rucker, 2019). Pourtant, selon Keinan, Kivetz et Netzer (2016), l'ajout d'une raison pratique à l'achat de produits de luxe nous aide à justifier notre décision. Ce phénomène peut être observé sur les réseaux sociaux. Il y a quelques années, les influenceurs ont inventé le terme " cost-per-wear " (coût par usure) pour démontrer la longévité des articles de luxe, servant ainsi d'alibi fonctionnel. En expliquant "combien de temps nous portons notre it-piece", nous espérons éviter d'être rejetés.

Qu'en est-il de ceux qui se passionnent pour le luxe pour des raisons autres que le statut social ? Ceux qui achètent des articles de luxe pour la qualité artistique de la marque, qui reflète la créativité et le talent de son fondateur, pour son histoire qui s'étend sur plusieurs générations, ou pour sa qualité, qui associe des matériaux soigneusement sélectionnés à un savoir-faire artisanal. Il est intéressant de noter que l'expression de la passion pour le luxe augmente la perception d'authenticité et réduit les sentiments de culpabilité (Jung, Chen et Yap, 2023 ; Kivetz et Simonson, 2002). Leurs choix témoignent des motivations intrinsèques qui sous-tendent la consommation de produits de luxe et offrent un moyen de dépasser les préjugés.

Apprécier le luxe pour ses valeurs traditionnelles ne fera peut-être pas taire les murmures, mais cela peut les atténuer. Si les consommateurs de produits de luxe passent du statut d'ambassadeurs à celui de curateurs, en encourageant une approche de la dépense à la fois confiante et raffinée, tout en accueillant les commentaires au lieu de les combattre, pourrons-nous atténuer le blâme et la honte ?

Références

  • 1

    Kapferer, J. N. et Valette-Florence, P. (2021). Assessing levers of guilt in luxury consumption : an international perspective. Journal of Product & Brand Management.

  • 2

    Cannon C. & Rucker D. D. (2019). Le côté obscur du luxe : les coûts sociaux de la consommation de luxe. Personality and Social Psychology Bulletin.

  • 3

    Keinan, Anat, Ran Kivetz, & Oded Netzer (2016). The Functional Alibi. Numéro spécial sur la science de la consommation hédoniste. Journal of the Association for Consumer Research

  • 4

    Jung, S., Chen, C. et Yap, A. (2023). L'expression de la passion pour le luxe améliore l'authenticité perçue. Journal of Consumer Psychology.

  • 5

    Kivetz R. & Simonson I. (2002). Earning the right to indulge : Effort as a determinant of customer preferences toward frequency program rewards. Journal of Marketing Research.



Partager l'article

Continuez votre lecture

Tribune libre

Géopolitique et luxe: après le choc de la dissolution de l’Assemblée nationale en France, quelles répercussions pour le luxe?

Le choc est encore immense en France, moins de 48 heures après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale. Selon Jean-Paul Garraud, président de la […]

By Eva Morletto

S'inscrire

Newsletter

Soyez prévenu·e des dernières publications et analyses.

    Conçu par Antistatique