Géopolitique et luxe: Le futur du projet saoudien Vision 2030 sous haute tension
By Eva Morletto18 décembre 2024
Pour assurer la transition de l’Arabie saoudite vers un nouveau modèle de développement économique, le prince saoudien Mohammed Ben Salmane (MBS), figure dominante de Riyad, mise sur Vision 2030. Pour être mené à bien, cet ambitieux projet nécessite une stabilité régionale afin d’éviter des retards importants dans sa mise en œuvre et de dissiper les inquiétudes des investisseurs et des partenaires internationaux. Dans ce contexte, la crise actuelle en Syrie représente un obstacle préoccupant.
Depuis le 8 décembre dernier, le dictateur Bachar Al-Assad a trouvé refuge en Russie tandis que les forces islamistes de HTS ont conquis dans un temps éclair une large partie du territoire syrien, en partant de la ville martyre d’Alep. Pour l’instant, sous la surveillance de la communauté internationale, HTS affiche une image modérée, et ses dirigeants affirment avoir abandonné les méthodes de terreur autrefois associées aux califats de Daesh et d’Al-Qaïda. Mais qu’en sera-t-il demain, lorsque leur pouvoir sera solidement établi? Pourrions-nous nous confronter avec un nouvel exode massif de réfugiés, à une crise humanitaire sans précédent, à une guerre civile syrienne qui viendra aggraver le chaos déjà provoqué par le conflit entre Israël et le Hamas impliquant Téhéran et le Liban?
Lancé en grande pompe en 2016 par le prince saoudien, en collaboration avec les principaux cabinets de conseil américains tels que McKinsey, Vision 2030 vise à transformer le modèle économique du royaume. L’objectif est de rendre l’Arabie saoudite moins dépendante des revenus pétroliers, qui constituaient encore récemment 90 % des recettes de l’État, tout en adoptant une approche plus libérale et diversifiée du développement.
En effet, les réserves de pétrole s’épuisent et Mohammed Ben Salman doit penser à la diversification et au futur, tout en réalisant des recettes plus ou moins équivalentes à celles du pétrole (environ 250 milliards de dollars par an). Le secteur privé est essentiel dans ce plan, et sa part dans le PIB devrait évoluer de 40% à 65%. Parmi les objectifs de Vision 2030, on retrouve celui de transformer l’Arabie saoudite en une destination touristique majeure et haut de gamme. Par exemple, plus de 19 milliards de dollars ont été investis pour mettre en valeur le site archéologique Al Ula et le doter d’infrastructures de luxe.
Sur le plan des alliances stratégiques, Emmanuel Macron, président de la République française, a récemment rendu visite à Mohammed Ben Salman, dans l’objectif de resserrer ses liens avec le royaume et d’entreprendre différents projets commerciaux et stratégiques. Les États-Unis restent toutefois le principal partenaire de MBS. Par ailleurs, l’Arabie saoudite, bien qu’elle ne dispose pas d’une procédure officielle pour rejoindre les BRICS, poursuit une stratégie de multi-alignement. Ses relations avec la Chine sont solides, et elle manifeste une volonté claire de désescalade avec l’Iran, un enjeu déterminant pour l’avenir de MBS.
Si le chaos au Moyen-Orient risque de compromettre le succès de Vision 2030 en provoquant une éventuelle fuite des investisseurs étrangers, le rôle de l’Arabie saoudite en tant qu’intermédiaire crédible entre Téhéran et Washington pourrait considérablement renforcer le prestige international de Mohammed Ben Salman.
Avant le massacre du 7 octobre en Israël, Tel Aviv et Riyad étaient proches de la signature des accords d’Abraham, ouvrant la voie à une normalisation de leurs relations. Cependant, la guerre à Gaza a ravivé les tensions, mais l’élection de Donald Trump, proche de MBS et favorable à Israël, pourrait redessiner les rapports positivement. Pendant ce temps, les projets liés à Vision 2030, surtout les imposants projets immobiliers, accusent du retard.
«The Line», le projet de ville futuriste qui aurait dû accueillir un million d’habitants d’ici 2030, pour un coût total de 500 milliards de dollars (475 milliards d’euros), accumule les retards et les dépassements budgétaires. Selon l’agence Bloomberg, le projet a été revu à la baisse: d’ici 2030 seulement 300 000 habitants pourront s’installer dans la nouvelle ville, qui ne fera que 2,5 km carrés, et non pas les seize annoncés. Idem pour le New Murabba, le projet de méga gratte-ciel en forme de cube assez grand pour accueillir 20 Empire State Building: ce projet aussi subira des coupes et des retards. L’Arabie saoudite devra concentrer ses recettes pour l’accueil des prochains grands événements en agenda, comme l’Exposition universelle de 2030 ou la Coupe du monde de la FIFA prévue en 2034.
Le prix du baril de pétrole est aujourd’hui trop bas pour garantir les revenus nécessaires au plan, et la déstabilisation de la région pourrait empirer la situation. Le royaume a l’ambition d’attirer 100 milliards de dollars d’investissements directs étrangers chaque année d’ici 2030, mais en 2023, il n’avait atteint qu’un quart de cette somme.
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