Stratégie

L’Arabie saoudite : le soft power passe par l’art contemporain

Bettina Bush Mignanego

By Bettina Bush Mignanego19 juillet 2023

Un vent de renouveau souffle sur l’Arabie saoudite depuis quelques années, dont la visée reste claire et parfaitement définie par le pays: achever le projet Vision 2030. Cette date butoir devrait signer principalement la sortie de sa dépendance économique aux combustibles fossiles et signifier son ouverture sur le monde. La culture et l’art contemporain sont les médiums clés pour un soft power puissant.

Dans le désert d'AlUla, la salle de concert de Maraya est le plus grand bâtiment miroité du monde, reflétant les hautes falaises de grès et les rochers environnants (Shutterstock)

Pour réussir son projet Vision 2030, le pays doit investir massivement dans d’autres secteurs, parmi lesquels la durabilité, la revitalisation urbaine, le tourisme et la culture. Pour ce faire, les financements ne manquent pas: plus de 15 milliards de dollars seraient à disposition pour la seule région nord-ouest d’AlUla, dont l’importance archéologique et culturelle sont au centre d’un projet ambitieux. Il s’agit de maraya (miroir en arabe), qui est devenu le bâtiment emblématique d’AlUla. Conçu en 2019 par les studios italiens Già Forma et Black Engineering, le bâtiment est entièrement habillé de miroirs, près de 10 000 panneaux reflètent les beautés du paysage environnant. Cette œuvre d’art monumentale, la plus grande structure du monde composée de miroirs, a accueilli des événements et des artistes d’envergure tels qu’Alicia Keys et Andrea Bocelli et reçu le prestigieux Architizer A+Awards. Elle est appréciée pour sa capacité à s’intégrer parfaitement au paysage et à disparaître dans les dunes.

L’Arabie saoudite est sur la voie d’une transformation sociale et culturelle importante... l’art et la culture sont des langages capables d’exprimer les nuances et les dynamiques en mouvement.

Ute Meta Bauer, directrice artistique de la deuxième édition de la Biennale d’art contemporain de Diriyah

Alors qu’AlUla est désormais une destination touristique internationale, les investissements dans l’art se poursuivent avec l’organisation de deux grandes biennales: la Biennale d’art contemporain de Diriyah, dans la région de Riyad, lancée en décembre 2021 et achevée en mars 2022, et la Biennale des arts islamiques de Djeddah, achevée en mai dernier. Toutes deux sont organisées par la Fondation de la Biennale de Diriyah, dirigée par une femme, Aya Al-Bakree.

La Fondation de la Biennale de Diriyah a annoncé que Ute Meta Bauer serait la directrice artistique de la deuxième édition de la Biennale d’art contemporain, prévue pour janvier 2024 à Ryad. Vue de l'exposition collective IN THE HEAT, 2022 à Galleria Continua espace d'exposition Burj Al Arab Jumeirah, à Jumeirah, Dubaï (Ismail Noor de Seeing Things Studio - Galleria Continua)

Pour souligner la volonté du pays de se faire connaître aux yeux du monde, la Biennale d’art contemporain a été organisée par une équipe internationale, dirigée par Philip Tinari, directeur et PDG du Centre d’art contemporain de l’UCCA en Chine, avec la participation de quelque 70 artistes.

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L’art et la culture pour exprimer les nuances d’une ouverture sur le monde

La biennale des arts introduit les meilleures méthodes pour établir un pont entre le passé et le présent et la façon dont nous regardons vers l’avenir

Saad Abdul Aziz al-Rashid, Membre de l'équipe de commissaires de la biennale d’art islamique

Depuis lors, la Fondation de la Biennale de Diriyah a annoncé qu’une femme serait à nouveau directrice artistique de la deuxième édition de la Biennale d’art contemporain, prévue pour janvier 2024 à Ryad. C’est en effet l’Allemande Ute Meta Bauer qui a été choisie pour poursuivre la mission première de l’institution, à savoir, faire venir dans le pays tout ce que l’art contemporain compte de plus influent sur le plan international. Celle qui est également directrice et fondatrice du Centre NTU d’art contemporain de Singapour depuis 2013 précise: «L’Arabie saoudite est sur la voie d’une transformation sociale et culturelle importante. Je considère qu’il s’agit d’une occasion unique de capturer ce moment spécial par le biais de l’art. Alors que ce pays se trouve au seuil d’un changement sans précédents, l’art et la culture sont des langages capables d’exprimer les nuances et les dynamiques en mouvement. Je suis ravie de diriger la deuxième édition de la biennale d’art contemporain de la fondation Diriyah Biennial, et de participer à cette entreprise dans un processus collectif avec des artistes d’Arabie saoudite et de l’étranger.»

Hegra Alula en Arabie Saoudite, inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO est le plus grand site préservé de la civilisation nabatéenne au sud de Petra (Shutterstock)
Rendez-vous en janvier 2024 pour la Biennale d'art contemporain en Arabie saoudite. Œuvre Lightning Land de l'artiste Ahmed Mater (Ahmed Mater - Galleria Continua)

Autre temps fort, la Biennale des arts islamiques, achevée en mai dernier, avait également compté dans ses rangs d’importantes figures parmi les commissaires d’exposition, dont Saad Abdul Aziz al-Rashid, qui explique l’importance de ces événements: «La Biennale des arts islamiques reflète la richesse de la civilisation islamique dans son ensemble, un art symbole du patrimoine culturel musulman répandu aux quatre coins du monde, à travers les siècles et les civilisations. Il est le produit du multiculturalisme accumulé à travers les âges par les artisans sur la base de la science, de la connaissance, des traditions et des meilleures pratiques héritées. Quant aux arts contemporains et leur relation avec les arts islamiques, je pense que la biennale des arts introduit les meilleures méthodes pour établir un pont entre le passé et le présent et la façon dont nous regardons vers l’avenir.»

Selon Saad Abdul Aziz al-Rashid, il y a toujours une continuité entre le présent et l’avenir. C’est aussi ce qui lui fait dire, à propos de Vision 2030: «Ce projet est porteur d’un message important à propos de notre vision de la culture, du divertissement, et d’un environnement durable. La Biennale n’est pas une exposition qui se rapporte uniquement au passé, elle est un continuum. Elle est affaire de culture, et parle d’intégration via le multiculturalisme des musulmans.»

Entre ouverture et culture fortement enracinée

J’ai réalisé le nombre incroyable d’artistes provenant de tout le monde arabe, prêts à venir y créer une nouvelle vision de l’art contemporain

Moataz Nasr, artiste égyptien connu pour être l'un des plus importants représentants de l'art contemporain panarabe

Quarante-cinq artistes de tous les pays du monde arabe ont participé à la Biennale des arts islamiques, dont près de vingt femmes. Tout comme elle a vu la participation de galeries internationales, à l’image de la galerie italienne Continua, qui a exposé deux de ses artistes internationaux, le Saoudien Ahmed Mater et l’Égyptien Moataz Nasr. Selon l’un de ses fondateurs, Mario Cristiani, les progrès sont tangibles: «Je connais ce pays depuis longtemps et, ces dernières années, j’ai remarqué de grands changements en faveur de son ouverture et de son modernisme. C’est une révolution qui part du sommet, avec toutes les contradictions qu’il peut y avoir dans un changement rapide. À Djeddah, j’ai visité une biennale très bien organisée. J’y ai constaté un esprit d’ouverture qui n’est pas en contradiction avec une culture fortement enracinée. Leur art possède toujours une profonde quête spirituelle et poétique.» Au sujet d’Ahmed Mater, l’un des artistes saoudiens les plus connus au niveau international, Cristiani ajoute: «Il a une formation de médecin, je suis fasciné par ses recherches approfondies et analytiques sur l’évolution de son pays. Il réussit parfois à trouver des aspects absolument poétiques dans ses œuvres.»

Une oeuvre de l'artiste égyptien Moataz Nasr - The Seventh Wave (Moataz Nasr)

Quant à l’artiste égyptien Moataz Nasr, connu pour ses œuvres engagées, et dont la participation sur place a été marquée justement par une œuvre encore une fois très spirituelle, il explique: «J’ai d’abord été un peu perplexe lorsque j’ai reçu mon invitation à y participer. Puis j’ai réalisé le nombre incroyable d’artistes provenant de tout le monde arabe, prêts à venir y créer une nouvelle vision de l’art contemporain. Mon bilan, après y avoir participé, est positif, tout a été très bien organisé. Beaucoup de choses se passent en Arabie, c’est un pays qui s’ouvre très rapidement au reste du monde.» Son œuvre intitulée La septième vague, fondée sur une théorie philosophique cyclique remontant à l’époque du musulman Khaldoun et d’Aristote, raconte cette vague capable de marquer le changement.

Le prochain grand événement artistique à avoir lieu en Arabie saoudite sera la Biennale d’art contemporain en janvier 2024, qui devrait rassembler des artistes du monde entier, confirmant l’effort du pays pour se projeter dans un avenir indépendant des énergies fossiles.

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