Du Cap à Johannesburg, carnet de voyage “arty” à la découverte de l’âme sudafricaine
Immense réservoir artistique en constant renouvellement, le territoire sudafricain recèle une diversité d’expressions sans pareil. Une balade «arty» dans les nombreux quartiers branchés du Cap et de Johannesburg suffit à donner une tout autre vision du pays et de sa jeunesse. Visite guidée.
Il suffit d’un premier café chez Pauline’s sur Somerset Road, dans le quartier de Waterkant au Cap, pour se faire une idée de ce que la ville peut offrir de plus vibrant. C’est sur cette petite place carrée bordée de colonnades, à l’ombre de quelques grands arbres, que l’on vient déguster son cappuccino face à la célèbre Goodman Gallery. Première étape arty incontournable après un long vol de nuit, le réveil prend ici la saveur d’un voyage bien plus riche.
Les jeunes artistes se débrouillent bien dans les ventes aux enchères et réussissent à exposer en dehors du continent africain, à l’instar de Igshaan Adams et Mary Sibande
Larelize van Zyl, CEO de Aspire Art
À l’étage, l’espace Aspire Art – la plus importante plateforme de vente aux enchères d’art moderne et contemporain africain – expose quelques œuvres d’artistes qui seront prochainement en vente. D’un coup d’œil, on comprend que la scène artistique est prolixe. Pour Larelize van Zyl, CEO de Aspire Art: «Les jeunes artistes se débrouillent bien dans les ventes aux enchères et réussissent à exposer en dehors du continent africain, à l’instar de Igshaan Adams et Mary Sibande.» Car oui, les grandes figures tutélaires, de William Kentridge à Zanele Muholi, qui aujourd’hui marquent leur temps, ne sont que les chefs de file d’une jeune communauté prête à s’exprimer à l’international. Point de départ d’une balade à pied, à Waterkant, ancien quartier des esclaves de la ville qui jouxte le très coloré quartier musulman de Bo-Kaap, qui regorge de boutiques et de restaurants qui rappellent des ambiances californiennes ou méditerranéennes.
Des lieux ouverts qui encouragent la liberté d’expression
La scène artistique sudafricaine est très forte et dynamique en ce moment. Ces lieux sont utiles pour combler le fossé entre les artistes et le public
Un des responsables de la Fondation A4
Pour comprendre comment naît cette nouvelle communauté d’artistes, il y a des lieux incontournables qu’il faut prendre le temps de visiter au Cap. C’est le cas de l’espace A4, à Buitenkant Street District Six, tout près du Castle of Good Hope. Créée en 2017 et pensée comme un laboratoire pour les arts, la fondation A4 – financée par la philanthrope sudafricaine Wendy Fisher –, soutient la création, accueille des écoles, offre des espaces de travail pour les artistes qui en font la demande. Ce lieu, également espace de lecture grâce à sa bibliothèque, permet au public d’interagir avec le processus de production artistique. C’est là que vous pourrez côtoyer des photographes, des écrivains, des plasticiens, des curateurs.
En tant que fondation privée avec un seul mécène, A4 est autosuffisante et se veut indépendante des politiques. Un des responsables des lieux explique: «Il n’y a pas assez d’espaces comme celui-ci en Afrique du Sud, où les artistes peuvent expérimenter dans une forme ouverte. La prochaine expo sera, par exemple, sur le thème de l’urbanisme et l’IA en Afrique du Sud. Nous leur donnons un espace pour discuter de ces sujets. Il ne s’agit pas nécessairement d’expositions. Ici, les portes sont ouvertes et les gens peuvent venir expliquer leurs projets. Les étudiants sont libres de s’inscrire et d’y travailler; ils peuvent trouver du wi-fi gratuit, utiliser la bibliothèque. La scène artistique sudafricaine est très forte et dynamique en ce moment. Ces lieux sont utiles pour combler le fossé entre les artistes et le public.»
Des ateliers d’artistes comme autant de regards sur l’Afrique du Sud
J’aime explorer tous les matériaux, l’argile, le bois, le verre, le marbre, tous les matériaux qui se rapportent à l’histoire que je veux raconter et qui l’amplifient
Zizipho Poswa, artiste sudafricaine
Woodstock, sorte de Midpacking district sudafricain, est l’autre grand rendez-vous artistique de la ville. Aujourd’hui en voie d’embourgeoisement, ce quartier populaire et ancienne zone de production textile offre plusieurs galeries et ateliers d’art à la pointe. C’est là que l’on vient visiter l’espace de création de deux artistes majeurs de la nouvelle scène artistique montante : Zizipho Poswa et Andile Dyalvane. C’est jeunes étudiants à l’Université de technologie Nelson Mandela de Port Élisabeth que les deux artistes se rencontrent. Aujourd’hui mondialement reconnus, ils exposent leurs œuvres dans les plus grands musées. Les sculptures en céramique géante façonnées à la main de Zizipho font aujourd’hui partie des collections du Metropolitan Museum of Art, le Los Angeles County Museum of Art (LACMA) ou encore le Philadelphia Museum of Art.
Au milieu de notre atelier, il y a un espace secret où nous nous connectons avec nos ancêtres, où nous nous enracinons, où les idées peuvent jaillir
Zizipho Poswa, artiste sudafricaine
Tous deux repérés par la marque de luxe Loewe, ils ont été chargés de créer des œuvres pour «LOEWE Lamps» au Salone del Mobile 2024. Dans leur espace de création, on remarque les nombreuses différentes formes d’art qui les habitent. Zizipho explique: «J’aime explorer tous les matériaux, l’argile, le bois, le verre, le marbre, tous les matériaux qui se rapportent à l’histoire que je veux raconter et qui l’amplifient. Au milieu de notre atelier, il y a un espace secret où nous nous connectons avec nos ancêtres, où nous nous enracinons, où les idées peuvent jaillir. Je ne crée jamais sans avoir ce lien, sans avoir de visions. Elles se présentent sous différentes formes et nous les traduisons en œuvres. Cela fait partie de notre culture. Je sais que les Européens et les Américains peuvent le comprendre. Quelle que soit l’histoire que vous racontez, les gens s’y reconnaissent et connectent.»
À quelques rues de là, c’est l’artiste sudafricaine Tracy Payne qui donne à voir un autre regard sur le pays, plus abstrait, très abouti. À l’étage, elle reçoit peu, peint des aquarelles et des huiles, en solitaire. Au fil de son récit sur ses œuvres, on devine une recherche d’apaisement, d’elle-même et par prolongement de celui de l’Afrique du Sud.
Aujourd’hui, je désire la simplicité, le minimal, car je viens d’un monde fait de bruit, de violence, celui de l’Afrique du Sud. Je porte cette histoire comme une âme
Tracy Payne, artiste sudafricaine
Elle raconte: «Je peins des pièces comme des méditations. Certaines viennent très simplement, pour d’autres, je lutte. La peinture me soulage. C’est toute une vie qui m’a amenée à cela, et quand une œuvre coule miraculeusement, je suis très excitée, cette légèreté est ce que tout le monde recherche. Auparavant, je travaillais en luttant, en faisant face aux problématiques ambiantes, mais je n’en suis plus là. Même si la lutte continue, je suis en filigrane maintenant. Je voulais quelque chose de simple, et “les voiles” (ndlr des aquarelles voilées par un papier de soie) en font partie. Le papier, c’est la vérité, c’est la pureté, c’est la lumière essentielle. Aujourd’hui, je désire la simplicité, le minimal, car je viens d’un monde fait de bruit, de violence, celui de l’Afrique du Sud. Je porte cette histoire comme une âme.» Elle raconte, sans amertume, la difficulté d’être une artiste blanche aujourd’hui dans le pays, de surcroît proposant de l’art abstrait. «Ce n’est pas dans l’air du temps. Les artistes sudafricains de la communauté noire sont aujourd’hui dans une expression hyperréaliste, désirent montrer leur identité, un processus tout à fait normal. Aujourd’hui, c’est à eux d’être dans la lumière.»
Un saut à la galerie Southern Guild, dans le quartier de Waterfront, est un stop indispensable. Tous les artistes rencontrés confieront avoir vécu leur ascension artistique en partie grâce à cette galerie. Ses sublimes espaces laissent amplement place aux œuvres souvent monumentales. Une exposition solo – intitulée Vigil – de l’artiste sudafricaine Justine Mahoney était en cours lors de notre visite. Des œuvres créées par deux, peinture et céramique, qui se répondent, montrant une nouvelle naissance artistique de Justine Mahoney vécue pendant le Covid. Magistral. Plus loin, ce sont les mobiliers de l’artiste designer-star Rich Mnisi, enserrés par de serpents, son animal fétiche, qui surprennent.
Dans un tout autre cadre, l’idée de poursuivre cette connexion à l’Afrique du Sud au travers d’une sélection d’œuvres d’art ne peut se faire qu’au Mount Nelson, hôtel historique du Cap, oasis verdoyante à l’élégance très victorienne et aujourd’hui entièrement rénovée et intégrée à la chaîne hôtelière de luxe Belmond (LVMH). Construit en 1899 sur les bases d’une ancienne ferme à la végétation luxuriante, l’hôtel qui a abrité l’armée britannique pendant la seconde guerre des Boers, le jeune Winston Churchill, Edward VII, Sir Arthur Conan Doyle ou encore John Lennon, propose des parcours artistiques sur mesure dans la ville et une sélection d’œuvres d’art dans les salons et les jardins du palace. Lors de notre passage, des colonnes de Buren ornaient les pourtours du bassin de la terrasse inférieure.
Poursuivre par une visite du monumental Zeitz MOCAA est un voyage en soi. Construite dans les anciens silos à grains du Cap, cette architecture faite de verre et de béton, à l’allure rétrofuturiste, invite à s’immerger, par étage, dans une variété d’œuvres très marquantes. L’exposition solo de l’artiste Mame-Diarra Niang intitulée Self as a Forgotten Monument est magistrale. Devant chaque œuvre, rendue floue intentionnellement, c’est une plongée en soi, une invitation à se rappeler que nous ne sommes qu’une continuelle métamorphose de nous-mêmes, mais que c’est aussi celle de l’Afrique que l’on contemple.
De la ville du Cap, on retiendra son ambiance hyper branchée, son style de vie très décontracté façon californian way of life, ses quartiers célébrant la mixité et la rainbow nation et ses galeries d’art pointues, à l’image de Whatiftheworld, sur Buiten Street, dont la sélection très intéressante d’artistes va de Athi-Patra Ruga à Sthenjwa Luthulu, de Maja Marx à Alka Dass et bien d’autres.
Johannesburg, pour toucher l’âme de l’Afrique du Sud
Plonger dans la scène artistique sudafricaine, c’est aussi observer ce que l’autre grande métropole sudafricaine propose, à savoir Johannesburg. Pour entrer dans l’esprit de la ville, il faut s’en éloigner d’abord, faire un pas de côté. Et regarder l’histoire de Johannesburg à travers celle de Ghandi. Car oui, le Mahatma Ghandi y a vécu. Mieux qu’un mémorial, sa maison est aujourd’hui un hôtel-musée de sept chambres, la Satyagraha House, où y séjourner confère au voyage un puissant supplément d’âme. Aux murs du salon, photos et citations décrivent les luttes menées par l’architecte Kallenbach et Gandhi. C’est dans ces lieux que les deux amis ont construits les fondements d’un idéal, celui d’une société non violente et égalitaire, la Satyagraha, la «force de la vérité» en sanskrit. Cette philosophie influencera le destin de l’Inde, mais aussi celui de l’Afrique du Sud, à travers Nelson Mandela. La maison, construite en 1907, aujourd’hui propriété de la société française Voyageurs Du Monde (depuis 2009), a été entièrement restaurée avec goût et souci du détail. Les quelques bungalows disséminés dans le jardin sont autant de lieux qui invitent à la méditation. Située dans le quartier résidentiel d’Orchards, c’est un excellent point de départ vers les très nombreux centres d’intérêt de la ville.
Incontournable, un passage chez Everard Read, la plus ancienne galerie d’art d’Afrique fondée en 1913 et aujourd’hui abritée dans le sublime complexe architectural et artistique de CIRCA, permet de comprendre la place que l’art contemporain africain occupe sur la scène internationale. Une des responsables des lieux explique: «L’art contemporain africain connaît une croissance exponentielle et rapide. À l’ère du numérique, les gens ont accès à l’information. Nos récits sont interconnectés avec d’autres récits politiques, sociaux et économiques dans le monde. L’art contemporain africain est de mieux en mieux compris. Nous avons donc beaucoup à proposer au monde.»
Puis, c’est une respiration artistique en pleine nature, une communion entre œuvres, espace, et monde vivant, qu’il faut s’offrir avec la fondation NIROX. C’est là que vous trouverez une immense collection à ciel ouvert, à 45 minutes du centre de Johannesburg. Une cinquantaine d’installations permanentes à contempler, au bord de la rivière Blaauwbankspruit, à côté de la réserve naturelle privée de Kkatlhamphi, tout comme des œuvres temporaires. Le site, également résidence d’artistes, est un lieu de vie artistique bouillonnant.
Sans conteste, l’art contemporain africain connaît un renouveau exceptionnel, et ce, malgré les difficultés économiques qui impactent la population sudafricaine depuis le Covid. Sillonner les rues et les galeries du Cap ou de Johannesburg, c’est l’assurance de comprendre que la nouvelle garde artistique mondiale doit désormais compter avec les artistes du continent africain.
Ce carnet de voyage a été rendu possible grâce à l’agence de voyage Voyageurs du Monde, à ses spécialistes “like a friend” qui nous ont guidés sur place et aux compagnies aériennes Swiss et Edelweiss.
Voyageurs du Monde offre un large choix d’itinéraires en Afrique du Sud au départ de Genève ou Zurich, adaptables à volonté pour des voyages sur mesure selon la saison, vos goûts, votre budget.
Les conseillers spécialistes construisent un voyage ultrapersonnalisé et un service de conciergerie à destination répond à toutes les demandes. Idéal pour modifier son séjour à tout instant et voyager bien accompagnés, en profitant de services haut de gamme (application carnet de voyage, mobile local, Wi-Fi nomade, assistance 24h/24, bonnes adresses, passages prioritaires aux aéroports etc.).
Voyageurs du Monde à Genève (rue de la Rôtisserie 19) et Lausanne (rue de Bourg 6), ouverture à Zurich en 2025.
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