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Venise: au carrefour de l’art contemporain

Samia Tawil

By Samia Tawil17 septembre 2024

Semblant figée dans le temps, Venise et sa beauté classique décontenancent. Pourtant, le marché de l’art à Venise est bel et bien vivant, et connaît une effervescence sans pareil en coulisse des grands axes. Entre événements exclusifs et ventes privées, galeries prestigieuses et musées de renom, où se joue exactement le futur de l'art contemporain à Venise?

L'une des nageuses hyperréalistes de Carole Feuerman trône sereinement au centre de la cour intérieure de Bel-Air Fine Art San Marco (Samia Tawil)

800 000

Nombre de visiteurs à la Biennale de Venise

130

Années d'histoire pour la Biennale de Venise

87

Total des pays représentés à la Biennale de Venise

Depuis plus de 130 ans, la Biennale de Venise rythme le monde de l’art et a su s’imposer comme un carrefour incontournable du marché, en attirant plus de 800'000 visiteurs, pour y découvrir les artistes les plus novateurs de la scène contemporaine. Cette année, elle abrite les œuvres de plus de 330 participants venant de 87 pays. A l’occasion de cette 60è édition, le commissaire de la Biennale Adriano Pedrosa a choisi de traiter la thématique de l’étrangéité. Il confiait lors de l’inauguration: «J’ai souhaité traiter ce thème sous quatre angles différents: celui de l’immigrant, celui de l’exilé, en me penchant aussi sur le mot queer, qui fait référence à la fois à l’étranger et à l’étrange, mais aussi celui de l’artiste outsider, opérant en dehors des circuits traditionnels modernes et contemporains et celui de l’artiste autochtone, celui-ci étant souvent traité comme un étranger dans son propre pays». Un appel à la réflexion habilement amené sous le titre évocateur d’«Étrangers partout», inspiré d’une série d’œuvres du collectif français Claire Fontaine.

La Biennale, faiseuse de tendance et éveilleuse de consciences

La Biennale de Venise reste la plus grande au monde, et les gouvernements comprennent l'importance d'y être représentés à travers leurs pavillons nationaux; des pavillons qui permettent aux artistes de raconter leurs histoires, et par là même, de combattre certains préjugés

César Lévy, fondateur de la 193 Gallery

Une édition sous le signe de l’anticolonialisme et de l’inclusivité, qui a su donner l’essor à certaines ventes importantes d’artistes, en dehors de la Biennale, faisant écho à ces combats, comme nous le confirme César Lévy, fondateur de la 193 Gallery, et en charge cette année de l’exposition collatérale officielle de la Biennale: «Nous nous spécialisons dans l’art des pays du Sud, et dès l'ouverture des deux dernières Biennales d'art en 2022 et 2024, nous avons vendu à chaque fois des œuvres significatives à plus de 50 000 euros, notamment à des personnes qui ne connaissaient pas la galerie. Il faut dire que l’on croise à Venise une audience assez large: à l'ouverture de la Biennale, de grands collectionneurs - qui achètent régulièrement sur Art Basel - se tournent vers des galeries comme la nôtre. Puis, tout au long de l'année, des collectionneurs du monde entier - beaucoup d'Américains notamment - craquent sur des œuvres entre 5 et 20 000 euros.»

Je crois que je porte des choses en moi que les politiques culturelles veulent peut-être cristalliser, mais peu importe. J’essaie surtout d’être dans une réflexion et une continuité vis-à-vis de ce que j’essaie de semer au fur et à mesure

Julien Creuzet, artiste français

Une biennale qui, pour la première fois, se décentre de manière affirmée de son angle occidentaliste, en invitant l’artiste amérindien cherokee Jeffrey Gibson à représenter le pavillon américain, tandis que le pavillon français met à l’honneur l’artiste Julien Creuzet, d’origine martiniquaise, qui, loin de vouloir se laisser instrumentaliser pour ce qu’il représente, reste ancré dans son intention artistique première: «Je crois que je porte des choses en moi que les politiques culturelles veulent peut-être cristalliser, mais peu importe. J’essaie surtout d’être dans une réflexion et une continuité vis-à-vis de ce que j’essaie de semer au fur et à mesure».

Notons que quatre nouveaux pays africains ont leur propre pavillon cette année, amenant le nombre de pays africains participant à douze cette année, ce qui peut sembler révolutionnaire pour un milieu de l’art contemporain jusque récemment très centré sur l’Europe et l’Amérique du Nord. César Lévy commente: «La Biennale de Venise reste la plus grande au monde, et les gouvernements comprennent l'importance d'y être représenté à travers leurs pavillons nationaux; des pavillons qui permettent aux artistes de raconter leurs histoires, et par là même, de combattre certains préjugés. En donnant notamment la parole à des artistes aborigènes, comme c’est le cas cette année, ce sont d'autres narratifs et visions du monde qui sont partagés et promus.»

Le pavillon du Bénin était représenté pour la première fois à cette 60e édition de la Biennale de Venise (Samia Tawil)

C’est ainsi que la Biennale donne le ton et crée une effervescence immédiate sur le marché. Toujours selon César Lévy, le charme de Venise y est pour beaucoup: «On a tous expérimenté, en vacances, cette envie de faire des folies en achetant des choses qu'on n’avait pas prévu d'acheter. La magie de Venise nous aide notamment à faire craquer certains collectionneurs qui veulent immortaliser leur passage ici. Car il faut dire que Venise n'est malheureusement pas encore vraiment une ville où les jeunes acheteurs décident de faire leurs premières acquisitions. En présentant des jeunes artistes émergents, ancrés dans les combats du présent comme April Bey, nous cherchons aussi à combattre cet a priori que certains ont de Venise, qu'ils voient toujours comme une belle endormie, qui ne se résumerait qu'à la Biennale.»

Les galeries vénitiennes: une clientèle de plus en plus corporate ?

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