Avoir de l’impact en 2023: des femmes entrepreneurs saisissent de nouvelles opportunités

Si les talents et les savoirs sont universels, les opportunités pour les développer ne le sont pas. Cette réalité trouve pourtant de nouvelles perspectives d’évolution pour tous, lorsque les femmes entrepreneurs osent croire en leur modèle d’affaires et en leur impact économique et social. «Quand les femmes contribuent davantage, l’économie va mieux. Quand les femmes réussissent, la société se porte mieux», selon Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, l’une des 100 femmes citées dans l’ouvrage «Vital Voices» d’Alyse Nelson, édité par Assouline. Dès lors que ce constat trouve un écho capable d’amplifier le message, les résultats sont immédiats. 

Sur ce point, le pouvoir des communautés à décupler les potentialités de chacune est réel, mais reste souvent méconnu ou sous-estimé. C’est pourquoi le thème «Forces for Good» de l’édition 2023 du Cartier Women’s Initiative a été choisi. Les entreprises sélectionnées pour la cérémonie de remise des prix représentaient, certes, une force cruciale pour le bien, mais elles s’inséraient également dans un effort collectif plus large. C’est aussi ce que toutes les lauréates, venues des cinq continents, ont relaté sur la scène de la Salle Pleyel le 10 mai dernier.

Nathalie Lesselin, l’une des trois candidates pour l’Europe, également fondatrice de la start-up suisse Kokoro Lingua, raconte: «Au fil du processus de sélection avec les mentors que le programme nous met à disposition, j’ai été frappée par l’engagement de ces personnalités et le sérieux de la démarche. Plus encore, c’est toute la communauté Cartier Women’s Initiative qui se rend disponible. Près de 700 personnes en font partie depuis le début, il y a seize ans. C’est une vraie valeur ajoutée lorsque l’on veut trouver des réponses concrètes à nos questionnements quotidiens d’entrepreneurs. Le programme va beaucoup plus loin qu’un soutien à l’entrepreneuriat au féminin. Ce sont des femmes qui contribuent activement à un monde meilleur. Chaque business remplit plusieurs des objectifs de durabilité de l’ONU. En termes de valeur, c’est énorme.» Dans le cas de la société Kokoro Lingua – une plateforme qui offre une méthode d’apprentissage intuitive de l’anglais, par vidéos hebdomadaires, avec des activités ludiques animées par des enfants anglophones natifs –, la réduction des inégalités et l’aide à l’éducation figurent parmi les 17 objectifs de développement durable fixés par les Nations Unies jusqu’à 2030. Un engagement que toutes les lauréates ont pris, qu’il s’agisse d’enjeux liés à la pauvreté, aux inégalités, au climat, à la dégradation de l’environnement, à la prospérité ou à la paix et à la justice.

L’édition 2023 présentait 32 lauréates, dont la particularité était d’inclure pour la première fois quelques hommes, dans le cadre du nouveau Prix «diversité, équité et inclusion». Une initiative particulièrement bien accueillie par le public présent lors de la cérémonie officielle. Pour la directrice du programme Wingee Sampaio, il était nécessaire d’avancer sur ce sujet: «Il nous a semblé rapidement évident qu’il fallait créer une telle catégorie et qu’elle soit ouverte à tous ceux, hommes et femmes, qui tentent de relever le même défi de la diversité et de l’inclusion. À l’origine, ce prix nous a été inspiré par l’Amérique du Nord, à la pointe, vu le nombre de sociétés centrées sur ces questions. Nous avons beaucoup appris en discutant avec quelques candidats de l’édition 2023, comme Blake Van Putten, basé aux États-Unis, qui travaille sur l’aide à la communauté noire grâce à sa marque de vêtements CISE ou Chengchuan Shi; un entrepreneur chinois fondateur de la plateforme de services Voibook, fondée sur l’intelligence artificielle, qui améliore la communication pour les malentendants. L’édition 2024 inclura de nouveau cette section.» 

Sur les 32 start-ups finalistes, pratiquement la moitié avaient pour but de réduire les inégalités. Certaines, comme la société Humans in the Loop, fondée par la Bulgare Iva Gumnishka, ont su remporter l’adhésion du public et des personnalités présentes. Parce que sa société offre un travail aux réfugiés et aux populations touchées par un conflit, elle est en résonnance avec les besoins urgents sur le terrain. C’est aussi le cas de certaines start-up davantage tournées vers les solutions écologiques, comme la société américaine Hexas Biomass Inc., fondée par Wendy Owens. Elle produit des matériaux végétaux durables et peu coûteux à même de remplacer le bois et les matières premières à base de combustibles fossiles, ou encore l’entreprise nigériane Platinum Fisheries, fondée par Dupe Killa-Kafidipe, profilée dans les produits de la mer, qui s’appuie sur des pratiques de production éthiques et durables. 

Si toutes les start-up ont le potentiel de croître et de lever des fonds, toutes ne se trouvent pas sur le même plan financier. Dès lors, en 2023, le Cartier Women’s Initiative a augmenté ses dotations et a élargi ses champs d’action. Wingee Sampaio explique: «Aujourd’hui, notre programme prévoit trois niveaux de dotation: 100 000 euros pour le premier prix, 60 000 euros pour le deuxième et 30 000 euros pour le troisième, pour chacune des 11 catégories, dont 9 prix régionaux, y compris l’Océanie et l’Afrique subsaharienne francophone, lancés cette année. À noter que depuis 2006, le Cartier Women’s Initiative a soutenu 297 femmes entrepreneurs à impact, provenant de 63 pays à travers le monde et pour un montant total de 7 440 000 de dollars. Nous avons également lancé en 2022 un fonds d’emprunt Cartier Women’s Initiative, que nous avons créé pour prêter de l’argent aux anciennes lauréates qui en font la demande. Le fonds est doté d’environ 1 million d’euros. L’autre domaine important que nous tenions à développer est la mise en relation des investisseurs avec notre communauté de femmes entrepreneurs. Et dans ce cadre, nous aidons celles qui s’engagent dans la voie du capital-risque à profiler leur entreprise pour réussir une levée de fonds.»

Si le financement est capital dans la bonne conduite des affaires, avoir de l’impact est vital. Comment le mesurer en 2023? Pour Wingee Sampaio, la réponse tient «dans le sentiment d’appartenance, de faire partie d’un tout, auquel l’entrepreneur veut apporter sa contribution. Cette idée est cruciale, car c’est cet élan qui déterminera toutes les autres mesures prises par l’entreprise. Sans cela, elle ne peut pas survivre, et ne sera pas en mesure de motiver d’autres personnes à rejoindre son entreprise et à créer le changement.» Pour d’autres, à l’image de la candidate canadienne Ania Wysocka fondatrice de l’application Rootd – un outil interactif à la demande pour gérer l’anxiété et les crises de panique – c’est de «proposer une solution accessible et abordable, pour le plus grand nombre.» Pour Mariam Torosyan, basée en Arménie et aujourd’hui à la tête de Safe YOU – une application mobile qui aide les femmes victimes de violences à trouver une aide immédiate–, elle est convaincue que «la meilleure façon d’avoir de l’impact, c’est de changer le statu quo. En l’occurrence pour Safe YOU, c’est de transformer les dynamiques de pouvoir. Avoir de l’impact veut dire moins de souffrance, plus d’amour et de paix dans ce monde.»

Autant d’engagements qui ont déjà montré leur résilience, même en temps de crise. Ce trait commun en rejoint un autre, et non des moindres: toutes les lauréates ont l’ambition de changer le système. Amal Clooney, sur scène, cofondatrice de la Clooney Foundation for Justice et avocate en droit international en a dit autant : «Aider les femmes abusées, leur donner les moyens de maîtriser le droit pour mieux se défendre des injustices et créer des opportunités de travail qui promeuvent l’égalité des genres, entre autres, sont des problématiques qui ont inspiré la création de la Clooney Foundation, et d’autres initiatives.»

La question de l’impact engage autant de réponses personnelles face au monde. Sur ce point, Nathalie Lesselin conclut: «J’ai une définition très personnelle de l’impact. Dans notre cas, avec la plateforme Kokoro, offrir à l’enfant la possibilité ludique d’assimiler une langue, c’est lui donner accès à un autre apprentissage de la vie, à une éducation enrichie. Cela va automatiquement impacter son environnement. Toucher le plus grand nombre d’enfants, c’est former l’espoir qu’ils changent le monde, pour le meilleur.»