Innovation & Savoir-faire

Avec WallyWhy, Luca Bassani ouvre une nouvelle ère du nautisme

Bettina Bush Mignanego

By Bettina Bush Mignanego06 décembre 2022

Luca Bassani, le fondateur visionnaire des bateaux Wally a révolutionné la manière de naviguer, autant que le style de vie en mer. Aujourd’hui, il imagine des villas flottantes au concept durable.

Le WallyWhy 200 est le dernier modèle imaginé par Luca Bassani, fondateur de la marque Wally. Pensé comme une villa flottante, il offre 200 m² d'espace intérieur ainsi que 144 m² de terrasses extérieures. (Alberto Cocchi)
Luca Bassani, entrepreneur passionné de voile et fondateur de la marque de bateaux Wally (Martinez Studio)

Luca Bassani, entrepreneur passionné de voile, fondateur de la marque de bateaux Wally, sait qu’à 66 ans, être visionnaire est un don qui comporte de nombreux risques. Il en a expérimenté les limites, au fil de ses projets nautiques révolutionnaires. Des concepts qui ont pourtant été portés par une industrie en croissance. Selon les chiffres du bureau de conseils Deloitte, le secteur a enregistré une augmentation des ventes moyenne de +10% par an, de 2014 à 2021, pour un marché total de 28 milliards d’euros. Une expansion encore accélérée par la pandémie, où le besoin de se déplacer de manière autonome, sûre et durable a permis de faire émerger une nouvelle culture de l’expérience en mer.  

Concepteur un peu fou, Luca Bassani avait déjà anticipé de longue date ces nouveaux modes de vie en mer. Aujourd’hui, son surprenant et spectaculaire projet d’île flottante, une villa spacieuse en mer, appelée WallyWhy, augure une fois encore d’une nouvelle ère du nautisme.

En 2008, le premier projet WallyWhy est pensé comme une immense villa avec balcon sur la mer, équipé de 1500 m2 de panneaux solaires (DR)

Fils d’entrepreneurs milanais réputés, c’est à Portofino, où il a passé tous les étés de son enfance, que Luca Bassani a développé sa passion pour la mer. Il y a disputé ses premières régates avec les habitants du coin et aiguisé son amour du large. Plus tard, alors directeur financier de BTicino – la société familiale vendue en 1988 – il raconte: «À la cession de la société, alors âgé de 33 ans, j’ai pu me consacrer entièrement à la voile et à la réalisation du bateau de mes rêves, le Wallygator. Ça n’a pas été simple, il a fallu convaincre les designers de l’époque de me suivre sur cette idée folle.» Il développe, dans une interview exclusive accordée à Luxury Tribune, comment Wally, ce style de bateau à la forme très inhabituelle, a permis de repenser la navigation.

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Quelles ont été vos premières révolutions?

Il y en a eu beaucoup. Commençons par la disposition des espaces. À l’époque, la cabine du propriétaire se trouvait généralement à l’arrière, je l’ai placée à l’avant, puis j’ai déplacé le grand cockpit à l’arrière. La coque en carbone et le type de mât sont aussi de petites révolutions. Mon obsession était d’avoir un bateau facile à naviguer, technologique, beau, rapide, taillé pour la croisière. Le premier Wallygator est né.  C’était un bateau de 83 pieds (25 mètres), qui pouvait naviguer avec deux membres d’équipage, au lieu des six traditionnels, tout en étant beaucoup plus rapide que les autres bateaux de la même taille.»

Vous ne vous êtes pas arrêté là. Que s’est-il passé ensuite?

Le Wallygator, un des premiers voiliers conçus par Luca Bassani en 1994, long de 33 mètres et adapté à la course (Guy Gurney)

À cette époque, je voulais faire le tour du monde à la voile avec ma famille. J’ai alors conçu un autre Wallygator avec les mêmes principes, long de 105 pieds (33 mètres), également adapté à la course au large. Je l’ai construit aux États-Unis. J’allais le lancer, quand ma femme est tombée enceinte de notre troisième enfant ; nous avons reporté l’idée. Quand le bateau a été terminé, j’ai quitté New Port pour l’emmener à Saint-Tropez pour participer à une importante régate. Je me souviens de Gianni Agnelli, sa façon de le regarder attentivement, puis de déclarer: «Ce bateau est vraiment beau, mais il ressemble à une brique.» Il avait effectivement raison, il avait une proue et une poupe verticales, et personne n’était habitué à cela. J’étais pourtant intimement convaincu que ces formes étaient le bon choix, je me sentais prêt à me consacrer à mon chantier naval. Nous étions alors en 1994. J’ai décidé de l’appeler Wally, un nom disruptif, ludique, en contraste avec les noms ronflants de l’époque. Le Genie of the Lampe était né, un 80 pieds fabriqué avec German Frers, équipé de deux seuls winches, que l’on pouvait actionner avec le pied tout en naviguant.  

Presque un mirage. Comment avait-il été reçu?

J’avais montré les dessins à Gianni Agnelli à Saint-Moritz, il était très enthousiaste. Quand il l’a vu, il l’a aimé, mais ne l’a pas acheté. Il a décidé de faire construire le Stealth. À Saint-Tropez pourtant, Lindsay Owen Jones, président de L’Oréal à cette époque, l’avait, lui aussi, remarqué. Il était stupéfait. J’ai décidé de lui en proposer un autre, encore plus innovant, le Magic Carpet. Après lui, Marco Tronchetti, autre dirigeant important, a suivi avec les Kauris, et les Wallys se sont multipliés; la marque était née.

Est-ce difficile de constamment se profiler dans la disruption?

Le Tiketitan, un voilier de 27 mètres créé par Luca Bassani dans les années 90 comptait deux innovations, dont une quille basculante et une poupe ouverte (Guy Gurney)

Mon quatrième voilier, le Tiketitan, couleur titane, peinture métallique et pont en teck, a vraiment frappé les esprits. C’était un voilier de 88 pieds (27 mètres), qui compte deux grandes innovations: la première quille basculante pour bateaux de croisière et la poupe ouverte et évidée, avec une terrasse sur la mer et un salon avec fenêtre. Il fut acheté par un client allemand, puis repris par plusieurs propriétaires successifs, avant de malheureusement prendre feu dans un chantier naval, une tristesse ressentie par beaucoup de marins. Puis en 1999, un propriétaire d’un Mangusta est arrivé à Monte-Carlo. Il avait vu le Tiketitan et désirait un bateau semblable, mais à moteur. L’idée avait déjà germé dans ma tête depuis quelque temps, mais je manquais d’inspiration. Elle est à nouveau née grâce à cette idée d’une proue aussi verticale qu’un couteau, pour fendre les vagues, le tout façonné dans une superstructure en verre, large et solide grâce au carbone. Je ne voulais aucune distinction entre l’intérieur et l’extérieur. Il fut mis à l’eau en 2003, après trois ans et demi de travail. Le Wallypower était né. Un bateau qui pouvait filer à 60 nœuds, avec trois turbines au lieu d’un moteur diesel, un vrai laboratoire expérimental de 118 pieds (36 mètres). Puis, nous avons construit des Wallytenders, de petits Wallypower, aujourd’hui copiés par tous, car ils représentent un gros marché.

Qu’est-ce que veut dire être visionnaire?

Le WallyIsland présenté en 2006, pensé comme une villa, avec son jardin, sa pelouse, son court de tennis, et même son potager (DR)

Être visionnaire est dangereux. Dans les manuels de business, les statistiques montrent que seuls 1 à 2 % réussissent. L’humanité est conservatrice, et encore plus en mer! Mais je n’ai jamais arrêté de l’être. En 2006 je présentais le WallyIsland. À cette époque, le beau, le confortable, lié à un style de vie à bord était la tendance. J’ai alors pensé le bateau comme une villa, avec son jardin, sa pelouse, son court de tennis, et même son potager. Un jour, en feuilletant un magazine de bateaux, j’ai remarqué un architecte norvégien qui avait conçu des navires d’exploration gazière en mer du Nord, très stables en conditions extrêmes, de 100 mètres de long sur 60 à 70 mètres de large. Nous avons repris le concept de cette stabilité, tout en imaginant un bateau habitable. Nous avons alors imaginé un bateau de 58 mètres de long sur 38 mètres de large, avec un intérieur immense et merveilleux, recouvert de 1500 mètres carrés de panneaux solaires, autosuffisant à l’arrêt, capable d’utiliser la chaleur de la salle des machines pour une meilleure circularité des énergies. Il est pensé comme une île flottante artificielle. Certains l’ont même comparé à un vaisseau spatial. Nous avons présenté le projet en 2008, mais la crise des subprimes a tout arrêté.

Aujourd’hui, Wally est intégré au groupe Ferretti. Qu’est-ce qui a changé?

Sur le pont principal du Wallywhy (Toni Meneguzzo)

J’ai été mécène de l’industrie nautique pendant de nombreuses années, et le moment était venu d’unir mes forces à celles d’un grand groupe capable de concrétiser mes idées. Avec eux est née l’évolution du WallyIsland, le Wallywhy. Ils ont eu le courage de le réaliser. Nous avons présenté ce concept à Monte-Carlo, un bateau de 27 mètres qui symbolise une nouvelle façon de prendre la mer. Puis, nous réaliserons une évolution du Wallywhy, plus grand, pensé comme un ensemble de villas flottantes, avec leur propre terrain. Aujourd’hui, c’est une vision, mais je suis sûr qu’elle sera copiée encore une fois, d’ici peu.  

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