Alors que les Argentins célèbrent dans l’allégresse leur titre de champions du monde de football, le pays veut croire en un élan salvateur capable de redresser une économie en crise depuis des années. Pourtant, certains secteurs du luxe semblent ne pas avoir attendu cette victoire pour trouver leur public. Conséquences contre-intuitives d’une inflation qui semble ne pas connaître de règle.
Alors que l’Argentine se réveille championne du monde, un titre qu’elle espérait depuis 1986, un vent d’espoir semble souffler sur un pays à l’économie fracassée. Depuis fin 2019, le peso connaît une dévaluation exponentielle. Alors que le taux de change était à 70 pesos pour un dollar début 2020, il atteint à présent 170 $ AR. En trois ans, c’est toute une économie qui a été mise au tapis, jusqu’à la démission du ministre de l’Économie Martin Guzman en juillet dernier. Un signal qui n’augure rien de bon de la part de celui qui avait été l’artisan du programme de négociation de la colossale dette de l’Argentine face au FMI, s’élevant alors à 324 milliards de dollars. Pourtant, au sein d’une économie profondément déstabilisée, certains secteurs du luxe semblent se porter au mieux. Du design d’intérieur à l’hôtellerie haut de gamme, la demande reste solide. Des secteurs qui sauront d’autant mieux capitaliser sur la récente victoire en Coupe du monde.
L’hôtellerie de luxe séduit à nouveau une clientèle locale
Durant l’année 2021, nous avons changé notre orientation clientèle vers le local, puis vers le régional quand les vols ont rouvert. Cela a eu pour conséquence de nous rendre compétitifs auprès de ce nouveau type de clientèle
Pablo Almar, directeur de l’hôtel Madero
Durant la période du confinement – particulièrement longue en Argentine –, l’hôtellerie de luxe a souffert, voyant ses grands hôtels de l’Avenida de Mayo se vider de leurs hôtes comme de leur personnel. La fermeture au public d’énormes structures telles que celles de l’hôtel Madero ou du Hilton Buenos Aires ont engendré de lourds frais de maintien, que l’ATP (Asistencia de emergencia al trabajo y a la producción) a en partie pallié en 2020, contrant les risques de faillite. À cela se sont ajoutés des protocoles de réouverture coûteux, allant de 100 000 à 300 000 dollars. Au sortir de la pandémie, l’hôtel Madero enregistrait un taux d’occupation entre 30% et 40%, un chiffre préoccupant et très inhabituel pour un tel établissement. Pourtant, dès fin 2021, un engouement national pour ses trésors architecturaux et merveilles touristiques s’est emparé de la classe aisée du pays. Le directeur de l’hôtel Madero, Pablo Almar, confie: «Ce n’est qu’en février 2022 que notre activité a commencé à reprendre. Durant l’année 2021, nous avons changé notre orientation clientèle vers le local, puis vers le régional quand les vols ont rouvert. Cela a eu pour conséquence de nous rendre compétitifs auprès de ce nouveau type de clientèle, tant en ce qui concerne la réservation de nos chambres que pour notre offre en restauration. Aujourd’hui, une clientèle locale fréquente l’établissement bien plus qu’auparavant.» En effet, les nombreuses activités et services en ligne imaginés par certains de ces hôtels auront su rendre accessible l’univers de ces palaces, parfois perçus comme hermétiques. Des cours de cuisine en ligne prodigués par le chef Steven Jung en personne depuis l’Hôtel Madero ou autres cours de dégustation et services de livraison gastronomique ont su séduire ce nouveau public. Les locations de salons dans le cadre événementiel ont repris de plus belle, comme l’explique Maria Eugenia Motter, directrice marketing et communication pour le Palacio Duhau: «Notre hôtel a repris son activité avec un fort taux d’occupation et de réservation dans nos restaurants, mais aussi de nombreux événements, notre grand salon est complet pour les trois prochains mois.» Mariages, concerts symphoniques, et même des tournages font revivre ces lieux prestigieux et les ancrent dans la vie porteña.
Un monde du design aux aguets
Le secteur du design a, lui aussi, le vent en poupe et bénéficie de ces retombées postpandémie. La frange la plus aisée de la population a cherché à améliorer son logement pendant la pandémie, voire à se construire une maison de campagne. Si ce phénomène fut mondial, la ville de Buenos Aires a cela de particulier que les personnes issues de la classe socio-économique supérieure ont pour habitude d’avoir deux logements à Buenos Aires: un appartement en ville, pour la semaine de travail, et une villa en périphérie pour les week-ends. De nombreux cabinets de design d’intérieur se sont montrés réactifs durant le confinement, optant pour des campagnes stratégiques afin de fidéliser un public plus large qui répond présent aujourd’hui lors de leurs expositions en présentiel.
Ce fut le cas lors de la Biennale d’Architecture de Buenos Aires qui a fait son grand retour le mois dernier au Faena Art Center, avec pas moins de 1000 studios exposant, 9 Prix Pritzker présents, 700 conférences internationales, et un total 1 500 000 visiteurs. À noter que cet événement fait partie des trois grands rendez-vous internationaux, aux côtés de la biennale d’architecture de Venise et celle de São Paulo. La 38e édition de l’exposition de design Casa FOA, a, elle aussi, fait le plein avec un total de 62 000 visiteurs pour le seul quartier de Retiro, ce qui en fait une des expositions les plus visitées de ces dernières années. Le choix cette année d’installer l’exposition dans la bâtisse du pensionnat et maison paroissiale Madre Admirable a clairement traduit l’envie de redonner vie à ce monument et de l’ancrer dans le dynamisme de la ville. À travers 35 pavillons où étaient exposés les univers des différentes marques, les clients ont pu s’immerger dans des atmosphères tantôt industrielles, tantôt cosy, mais toujours avant-gardistes.
Le choix des matières, entre marbres et bois de Patagonie, traduit aussi une intention grandissante de retisser le lien entre culture et nature. Cet élan transparaît également dans les diverses installations artistiques qui ponctuaient l’exposition, combinant murs végétaux et sculpture moderne.
Les Argentins sont très friands de sorties, et les bars sont à nouveau pris d’assaut depuis quelques mois
Josefina Simon, psychologue
Une tendance qui se confirme chez Johnson Acero qui combine la chaleur du bois dans des cuisines aux designs vintage tout en y incorporant des plans de travail sophistiqués dignes des restaurants les plus branchés. La psychologue Josefina Simon explique: «Les Argentins sont très friands de sorties, et les bars sont à nouveau pris d’assaut depuis quelques mois. Le fait d’investir dans du mobilier haut de gamme aux matières nobles relève plus de l’esthétique que de l’utilitaire, et d’un désir de rendre vivantes des pièces, comme la cuisine, qui ne restent que peu utilisées par les citadins, et encore moins dans ces catégories aisées de la population.» Il s’agirait alors plutôt d’un pont jeté entre l’intérieur et l’extérieur, de flouter les frontières entre vie familiale et réunion festive, que d’une intention de s’isoler. À noter d’ailleurs que l’exposition s’étendait cette année au magnifique jardin de la propriété́, proposant une multitude d’options d’aménagements extérieurs, dont diverses sculptures et œuvres d’art.
Du design à la gastronomie, de l’hôtellerie à l’art et jusqu’au football, un point commun réunit ces univers: l’envie de maintenir une force créatrice, une esthétique de vie propre à l'Argentine, qui demeure résiliente face aux enjeux politico-économiques omniprésents. Une fierté, aujourd’hui galvanisée par la victoire de l’équipe nationale et porteuse de l’espoir de tout un peuple.
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