Après la fin des grèves, l’impact sur Hollywood est colossal
By Isabelle Campone05 décembre 2023
Pendant six mois, la grève des scénaristes et des acteurs a paralysé l’industrie du cinéma. Le mouvement a affecté des dizaines de milliers de personnes. Aujourd’hui, un accord est enfin sur la table, et devrait être validé par les studios, mais tout n’est pas réglé. Loin de là.
Pour le public, l’impact commence tout juste à se faire sentir. Mais pour l’industrie, il a été dévastateur. De multiples corps de métier nécessaires à la production de films et nombre de businesses vivant du cinéma se sont retrouvés au chômage. Le préjudice de la perte de plus de 45 000 jobs est estimé à 7 milliards de dollars. C’est compter sans les dégâts à long terme de cet arrêt forcé difficile à comptabiliser et imputé à l’arrogance de l’Alliance of Motion Picture and Television Producers (AMPTP), qui représente les studios traditionnels et désormais Netflix, Amazon Studios et Apple TV.
Lorsqu’au printemps, les contrats régulant les conditions de travail des membres de la WGA (le syndicat des auteurs) et de ceux de SAG-AFTRA (le syndicat des acteurs) arrivaient à échéance, l’AMPTP s’est bornée à proposer de nouvelles réglementations inacceptables dans une industrie au fonctionnement chamboulé par les toutes-puissantes plateformes de streaming. En question, la remise en cause du système existant depuis des décennies et la fin des royalties qui faisaient vivre la majorité des acteurs d’Hollywood. Les scénaristes sont entrés en grève en mai, demandant des progrès sérieux en termes financiers et de conditions de travail, exigeant notamment un nombre minimum d’auteurs par projet et des protections contre les réductions de salaire ou l’augmentation du temps de travail. Les studios, qui subissent la pression de Wall Street pour réduire leurs coûts tout en investissant massivement dans le streaming, avaient déjà licencié des centaines d’employés sous prétexte de difficultés financières, opposant la même justification aux syndicats.
Aujourd’hui, le fonctionnement de l’AMPTP ressemble à celui des géants de la tech de la Silicon Valley, peu fan des régulations et encore moins habituée aux relations avec les syndicats du divertissement. Résultat: les discussions ont tourné court. Une analyse de l’organisation indique que les bénéfices des studios sont passés de 5 milliards de dollars en 2000 à 28 milliards en 2021 (en baisse par rapport aux 30 milliards de dollars de 2019). Et les dépenses consacrées au contenu original pour le streaming devraient atteindre 19 milliards de dollars cette année, près de quatre fois le niveau de 2019. «Ce n’est pas aux scénaristes de payer pour les décisions des entreprises qui décident de procéder à des fusions coûteuses ou de s’endetter, a déclaré la négociatrice de la WGA, Ellen Stutzman. Nous devons parvenir à obtenir un contrat qui durera des décennies.»
‘It’s not for writers to pay for the poor decision-making of companies who decide to pursue expensive mergers or take on large amounts of debt,’ said the WGA’s chief negotiator, Ellen Stutzman. ‘Those are short-term things that will change, and we have to negotiate a contract that will live on for decades.’
Des revendications pour contrer la crainte des nouvelles technologies
SAG-AFTRA demandait une augmentation significative des paiements résiduels liés au succès du contenu en streaming et que le nombre de vues soit donc estimé par une société tierce. Autre sujet de revendication, l’augmentation des salaires pour contrer l’inflation, l’amélioration des régimes de santé et de retraite, et des garanties concernant l’utilisation de l’intelligence artificielle, sujet de préoccupation majeur. Car aujourd’hui, la technologie suscite de profondes inquiétudes chez les acteurs quant à la manière dont leur image et leur apparence pourraient être utilisées. Déjà habitués à céder les droits sur leur voix et leur physique en tant que personnages dans les jeux vidéo ou dans des animations de parcs d’attractions, ils veulent empêcher que cela ne se produise à grande échelle avec l’intelligence artificielle. «Les studios et les streamers ont mis en œuvre des changements unilatéraux massifs au sein du modèle économique de notre industrie, sans faire évoluer les contrats», a déclaré le responsable des négociations du syndicat, Duncan Crabtree-Ireland.
‘The studios and streamers have implemented massive unilateral changes in our industry’s business model while at the same time insisting on keeping our contracts frozen in amber,’ National Executive Director and chief negotiator Duncan Crabtree-Ireland said in a statement. ‘The studios and streamers have underestimated our members’ resolve, as they are about to fully discover.’
Face à cette rigidité, et pour la première fois depuis les années 60, les acteurs ont souhaité rejoindre les auteurs, en juillet dernier. Une grève commune qui a interrompu les productions en cours et mis Hollywood à l’arrêt total, empêchant les acteurs de tourner et de promouvoir les films terminés. Se sont ensuivis plusieurs gros reports de blockbusters très attendus comme Dune: Part II, Challengers et Ghostbusters: After Life. Seuls les films Barbie et Oppenheimer ont pu être activés, les acteurs ayant arpenté les plateaux télé avant l’été. Un coup violent pour l’économie de toute une région, et plus de 100 000 personnes sans emploi; tout un ensemble de professions affectées a souffert, des réalisateurs aux cameramen, des équipes techniques aux décorateurs et costumiers, coiffeurs, maquilleurs, monteurs, spécialistes d’effets spéciaux, compositeurs et directeurs artistiques, mais aussi les cuisiniers, les chauffeurs, la sécurité et les milliers d’assistants. Il faut y ajouter toutes les entreprises locales qui fournissent des services à l’industrie, comme les loueurs de costumes ou de décors, les attachés de presse, les créateurs d’affiches ou de bandes-annonces, et l’industrie de l’événementiel.
Des accords encore loin d’avoir abouti
Alors que la WGA a trouvé un accord fin septembre, les acteurs étaient toujours dans l’impasse, début novembre. Le ressentiment à l’égard des grands dirigeants aux salaires colossaux (50 millions de dollars pour Ted Sarandos, le PDG de Netflix, ou 27 millions de dollars pour celui de Disney, Bob Iger), peu impliqués dans la gestion de la crise, s’est encore amplifié. Pour sauver la saison télévisée en cours, les films de l’année prochaine et le business des salles de cinéma déjà affecté par la pandémie, quatre hauts patrons – Bob Iger, Ted Sarandos, Donna Langley de NBCUniversal Studio et David Zaslav de Warner Bros. Discovery – ont alors rejoint la présidente de l’AMPTP dans les négociations et donné un ultimatum au syndicat. C’est seulement quelques minutes avant le délai, le 8 novembre, qu’un accord a été signé, prévoyant la première protection des acteurs contre l’intelligence artificielle et une augmentation de salaire historique (la plupart des salaires minimums augmenteront de 7%). L’accord comprend également une « prime de participation au streaming », ainsi que des augmentations de cotisations de retraite et de santé. Le syndicat a déclaré que le contrat valait au total plus de 1 milliard de dollars. Un soulagement que la maire de la ville, Karen Bass, a immédiatement exprimé: «L’accord d’aujourd’hui aura un impact sur presque tous les pans de notre économie. Maintenant, nous devons nous appuyer sur la production locale, afin de garantir à notre industrie du divertissement un rebond plus fort que jamais et une remise sur pied rapide de notre économie.»
‘Today’s tentative agreement is going to impact nearly every part of our economy,’ Bass said. ‘Now, we must lean in on local production to ensure that our entertainment industry rebounds stronger than ever and our economy is able to get back on its feet.’
Le redémarrage sera néanmoins compliqué. Il va falloir trier les projets, rassembler les équipes, recruter des talents et remettre les choses en marche, alors même que nombre d’entreprises locales ont été durement touchées et fonctionnent désormais avec un personnel réduit. Certains estiment une reprise de l’industrie pour 2026, voire 2027, et pourraient souffrir de coûts de main-d’œuvre plus élevés qui devraient peser sur les décisions de dépenses et entraîner une nouvelle réduction des projets et des budgets de production.
Après Barbie, Oppenheimer et Taylor Swift, The Color Purple (avec Taraji P. Henson et Halle Bailey), Renaissance, le film de Beyoncé, et Wonka (avec Timothée Chalamet) vont-ils sauver Hollywood?
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