Stratégie

Antoine Pin, CEO de TAG Heuer: «Notre contrat global avec la Formule 1 permet à TAG Heuer de se réapproprier la place historique qui est la sienne»

Cristina D’Agostino

By Cristina D’Agostino06 janvier 2025

Antoine Pin, nouveau patron de la marque horlogère TAG Heuer, compte pleinement activer le partenariat colossal de 150 millions de francs annuels sur dix ans signé par LVMH avec la Formule 1. La performance sera au centre de sa communication. Il livre en exclusivité ses priorités pour la marque, dont celle de savoir adapter la production aux variations économiques et de maîtriser la montée en gamme des montres TAG Heuer.

Alors que la Formule 1 célèbre son 75e anniversaire, TAG Heuer revient dans la discipline en tant que chronométreur officiel. Riche d'une histoire de plus de sept décennies en Formule 1, l'année 2025 marque le renouveau d'un partenariat très spécial pour la marque (DR)

Antoine Pin, ex-directeur de la division horlogerie de Bulgari, n’a pas attendu les fameux cent jours pour incarner pleinement son rôle décisionnel. À la tête de TAG Heuer depuis septembre 2024, ce Breton à la longue carrière jalonnée de plusieurs rôles décisionnels dans l’industrie, dont près de quatre ans à la direction de TAG Heuer Japon entre 2010 et 2014, ne cache pas son enthousiasme de retrouver «l’esprit entrepreneurial de TAG Heuer», qui semble parfaitement correspondre à ce qu’il apprécie dans l’horlogerie: savoir innover et prendre des risques. L’enjeu sera de savoir adapter la structure industrielle aux accélérations et aux ralentissements économiques. Pour l’illustrer, Antoine Pin décrit l’image du pont suspendu, flexible et résistant malgré le gros temps. Un mantra qu’il veut aussi faire sien. Entretien exclusif.

Antoine Pin, Président-Directeur Général de TAG Heuer depuis septembre 2024 a débuté sa carrière chez TAG en 1994, en tant que junior sales manager (DR)

Racontez-nous les quatre premiers mois de votre prise de fonction, depuis septembre dernier?

Ça a été extrêmement dense dès le premier jour, car les projets foisonnent. Pas de place pour les fameux cent jours avant de décider! Je connais bien la marque pour y avoir travaillé de longues années, déjà du temps de Christian Viros, et sa situation a évolué (Christian Viros a été CEO de TAG Heuer de 1988 jusqu’à l’acquisition de la marque par LVMH en 1999, ndlr). C’est intellectuellement très stimulant. J’y ai redécouvert la mentalité très entrepreneuriale, ambitieuse et jeune qui y règne.

Par quoi cet esprit se concrétise-t-il?

C’est un esprit qui existe depuis longtemps. Cette envie de faire bouger les lignes est une valeur très stimulante. Cependant, sa structure est beaucoup plus dense aujourd’hui que lorsque j’y avais débuté. Dans les années 90, il n’y avait pas d’outil industriel; aujourd’hui, les infrastructures de production sont hyper développées, intégrées, avec un laboratoire de R&D probablement unique dans l’horlogerie. Cet ensemble représente 800 personnes en Suisse. Le réseau de distribution aussi a changé de visage, puisque la marque compte 2300 points de vente et 260 boutiques; c’est une vraie transformation. Son ancrage reste très fort aux États-Unis, ainsi qu’en Asie-Pacifique et en Europe. Nous sommes moins présents en grande Chine. Nous profitons de la remise à plat de ce marché pour travailler notre stratégie.

Quelle est votre plus grande difficulté après quatre mois?

Être à cent à l’heure dans l’opérationnel et garder un recul suffisant pour ajuster les stratégies. Mais un très gros travail a été effectué ces cinq dernières années par Frédéric Arnault, notamment en ce qui concerne l’état des stocks auprès des revendeurs, ce qui est une excellente chose vu la situation globale du marché de l’horlogerie qui n’est pas simple. Je me situe donc dans un processus de continuité.

Quelle est justement votre vision de la stratégie pour TAG Heuer et quelle est sa place dans l’industrie?

En 1916, l'entreprise lance le premier chronomètre précis au 1/100e de seconde, le Mikrograph, qui devient la référence en matière de chronométrage de haute précision pour le sport (DR)

L’industrie a été chamboulée ces cinq dernières années. Baselworld a disparu, Watches & Wonders a pris de l’ampleur, la multiplication des salons régionaux s’accélère, avec une dynamique de présentation des collections tout au long de l’année. Aujourd’hui, les horlogers indépendants ont clairement pris des parts de marché. Nous avons une vision très ambitieuse pour TAG Heuer et notre partenariat avec la Formule 1 représente une plateforme idéale pour le faire savoir. Alors que notre communication était essentiellement tournée vers le produit ces dernières années, l’image de la marque, ainsi que ses fondamentaux vont être passablement amplifiés grâce à la Formule 1, notamment le rapport de TAG Heuer à la performance, qui remonte déjà à 1916 et l’invention du microtimer, un système de mesure au centième de seconde.

Quelle est cette performance chez TAG Heuer?

C’est tout le sujet de 2025. Nous allons montrer comment TAG Heuer accompagne la performance et ceux qui l’incarnent, sur toutes ses formes, que ce soit dans l’innovation, la construction, le sport, la mécanique.

Que veut dire «bien performer» à vos yeux?

Dans l’industrie du luxe, il y a toujours une part de mystère, de magie. C’est ce qui la caractérise. Eh bien, c’est aussi ce qui distingue l’humain, c’est-à-dire cette part de magie intérieure qui nous pousse à nous dépasser, cette force mentale qui vient du plus profond et que l’on ne peut pas mettre en équation. C’est une ligne directrice fondamentale chez TAG Heuer et que Jack Heuer résume si bien: «Time never stops, should we?» C’est cette énergie vitale que nous allons réactiver.

La performance ne va pas sans les moyens financiers pour la soutenir. Le partenariat de 150 millions annuels signé par LVMH avec la Formule 1 représente des moyens conséquents pour y arriver. TAG Heuer devient, de fait, la marque du pôle horloger sur laquelle LVMH investit le plus. Comment ressentez-vous cette pression ?

Le groupe est un investisseur avisé, il met l’argent là où il croit qu’il y a du potentiel. C’est une grosse responsabilité et j’en ai parfaitement conscience. Mais ce n’est pas nouveau. À La Chaux-de-Fonds, ces dernières années, des investissements très importants ont été réalisés en R&D, et sur des outillages très performants qui se chiffrent en millions de francs suisses. À nous de bien les exploiter. Les moyens vont avant tout être répartis entre la communication, le produit et la distribution au sens large où l’expérience client sera renforcée.

Allez-vous monter en gamme vos produits?

Le nouveau TAG Heuer Monaco Chronograph Racing Green rejoint la collection TAG Heuer Monaco pour célébrer les voitures de course et leurs couleurs emblématiques, cette fois-ci aux couleurs britanniques (DR)

Nous allons le faire de manière raisonnable. Il ne s’agit pas de rentrer sur des segments suroccupés par d’autres marques, en revanche nous avons besoin de le faire, car nos clients le demandent. Le consommateur exige un produit irréprochable, qui intègre une notion de qualité au plus haut. Je pense ici au certificat de garantie de cinq ans, aux dix ans sans service, à un produit qui suit toutes les normes environnementales. Nous avons un devoir de transparence, ce qui implique un contrôle accru de tous nos fournisseurs. Nous restons accessibles, sur un segment entre 4000 et 8000 francs suisses sur lequel nous devons performer. Pour les montres qui incarneront l’innovation et le R&D, le prix sera un peu plus élevé, ce qui est déjà le cas sur nos tourbillons à 40 000 francs.

Les grandes complications aux prix imbattables, à moins de 20 000 francs, que TAG Heuer avait sorties il y a quelques années, qu’en pensez-vous?

Cela n’a pas de sens. Faire travailler des horlogers de haut niveau, déposer des demandes de brevet, innover, trouver des matériaux technologiques, chercher la performance coûte cher. Ces innovations peuvent ensuite se déployer différemment sur des produits plus volumétriques. C’est ce que je souhaite faire. 

Vous incarnez votre nouveau rôle de CEO au moment où l’horlogerie souffre, où certaines marques mettent leurs employés au chômage technique. Quelle est la situation de TAG Heuer depuis septembre?

Elle est assez saine; nous avons fait des ajustements en ne remplaçant pas certains postes, mais ce nombre est faible, il n’y a pas eu de licenciement. Nous travaillons à rendre l’outil le plus flexible possible. Quant aux ventes, nous ne chargeons pas nos détaillants avec des quantités de montres, car nous souhaitons une relation saine avec nos partenaires.

Comment TAG Heuer compte activer l’univers de la Formule1?

Le quadruple champion du monde Max Verstappen et Frédéric Arnault PDG de la division Montres du groupe LVMH, lors du 81e Monaco Grand Prix de Formule 1 en mai dernier (DR)

Par la réappropriation de l’univers de la F1 qui est le nôtre. TAG Heuer était la première marque à sponsoriser les pilotes de F1 dans les années 60 grâce aux stratégies innovantes de Jack Heuer. Cela nous permet aujourd’hui de réaffirmer qui nous sommes vraiment. Je compare la Formule 1 à un média qui offre une hypervisibilité de plus de 1,5 milliard de téléspectateurs, c’est gigantesque. Notre légitimité dans le milieu automobile est historique: 14 champions du monde ont porté une TAG Heuer. Ce lien très émotionnel sera véhiculé dans nos campagnes, nos relais de communication. Désormais, TAG Heuer possèdera une présence institutionnelle de partenaire globale de la F1, tout en maintenant le sponsoring de l’écurie RedBull. Cette double activation était déjà la nôtre dans les années 80, lorsque TAG Heuer était à la fois chronométreur et sponsor de McLaren. Rester dans la compétition est important. Le monde de la F1 est une fenêtre sur un monde toujours plus vaste, qui compte désormais aussi un côté très glamour apprécié des célébrités. La force de LVMH réside dans son activation à 360 degrés.

En 1988, Ayrton Senna rejoint McLaren. Dès la saison suivante, il choisit de porter des montres TAG Heuer et continuera à le faire tout au long de son parcours qui le mènera à trois championnats du monde des conducteurs (DR)

Cela représente d’énormes budgets…

Oui, et c’est compter sans le fait que nous continuons notre partenariat avec Porsche dans d’autres domaines automobiles. Notre engagement dans le motor racing est unique. Nous ne craignons pas d’être dans la compétition, nous prenons le risque de perdre, car l’échec est le moteur du succès suivant. Encore une fois, notre esprit d’entrepreneur est totalement en phase avec ces notions.

Votre pression de la réussite est-elle ressentie à la hauteur des engagements financiers?

Le risque n’est pas nécessairement plus grand, ce sont les conséquences qui le sont, tout comme les espérances de gain pour le groupe. L’ampleur de l’enjeu est plus grande, mais sa nature reste la même. Le danger est de craindre le risque, car il empêche de regarder l’opportunité. Il faut jauger les deux, sans se laisser entraîner par l’euphorie de l’ambition ni la panique de la peur, tout en intégrant les circonstances économiques du moment. Le groupe LVMH a toujours su saisir les opportunités dans des situations de changements. Aujourd’hui, le contexte économique est justement au changement.

Quelle est la responsabilité de TAG Heuer face à l’industrie horlogère?

La présence de TAG Heuer est forte dans l’industrie, nous avons donc le devoir de contribuer à son essor et, à l’échelle du groupe LVMH, d’aider à la protection des intérêts de l’horlogerie.

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