À l’heure du bilan de Watches and Wonders, l’horlogerie mise tout sur l’ultraluxe pour s’en sortir

Le salon Watches and Wonders Geneva vient de fermer ses portes sur une fréquentation record de plus de 55 000 visiteurs tau fil de la semaine. Malgré une hausse considérable du prix de l’or depuis le début de l’année, les maisons ont misé sur sa flamboyance, offrant au secteur une édition 2025 qui n’aura jamais compté autant de nouveaux modèles chargés d’or et de pierres précieuses. Chez Bulgari, les vitrines regorgeaient de montres joaillières, dont des modèles Serpenti ou Eterna entièrement sertis.

Chopard proposait un coffret exclusif de douze montres diamants, sur système rotatif, comme une roulette précieuse; Hublot offrait aux fans de la Big Bang - qui célébrait ses 20 ans -, un set complet de complications et une soirée à sa gloire, animée par une pluie de stars, entre Mbappé, Mika, Usain Bolt et chefs étoilés. Hermès dédiait son année au «Temps Suspendu», une mécanique complexe qui confère à celui ou celle qui la porte le pouvoir presque magique d’arrêter la course du temps.
Un talent que tous les grands maîtres des horloges présents sur le salon - 60 marques exposantes cette année – voudraient posséder pour les mois à venir qui s’annoncent sombres, tant la visibilité sur les conséquences des taxes douanières américaines de 31% imposées à la Suisse reste floue.

Il est certain, la valeur des modèles présentés cette année a pris l’ascenseur et par conséquent le prix moyen des marques. Si la plupart d’entre elles promettaient une hausse de quelques pourcents seulement, en réalité, l’augmentation du prix moyen serait bien plus importante. L’absorption des taxes douanières américaines, premier marché d’exportation pour l’horlogerie suisse (17,2% des parts en février dernier), en serait aussi l’une des causes.

En off, les patrons étaient sonnés, jeudi passé, à l’annonce de cette mesure par l’administration Trump. Les horlogers indépendants se disaient très affectés par cette décision. En effet, ces deux dernières années, des investissements conséquents avaient été consentis pour renforcer leurs présences sur territoire américain, en termes de nombre de points de ventes. Freinés dans cet élan, ils redoutent des conséquences néfastes, d’autant que la Chine ne redressera pas sa croissance de sitôt, elle aussi impactée par les mesures douanières.

Afin d’augmenter la valeur patrimoniale des marques, les maisons ont capitalisé sur des pièces d’exception et en série limitée, permettant aux collectionneurs de s’assurer un investissement durable dans le temps. Un des garde-temps les plus spectaculaires aura été la Solaria mise au point par Vacheron Constantin, pour célébrer ses 270 ans. Christian Selmoni, directeur du style et de l’héritage de la marque expliquait à Luxury Tribune: «Solaria intègre toutes les facettes du savoir-faire de la marque, qui a nécessité huit ans de développement et le dépôt de treize brevets.» Autre modèle qui n’a pas manqué d’attirer tous les regards, la Tank à Guichets de Cartier, réinterprétation du modèle historique de la marque qu’elle avait produit en un nombre d'exemplaires très restreint à la fin des années 1920. Plusieurs déclinaisons étaient proposées cette année, dont une édition limitée en platine à 200 exemplaires.

C’est un argument que la nouvelle génération valorise comme un véritable point de désirabilité. Championne toutes catégories, la marque Patek Philippe continue de truster la première place des classements des modèles les plus recherchés avec la collection Nautilus, dont elle a offert des interprétations complètement serties de diamants cette année.

Dans notre focus spécial GenZ réalisé à Watches and Wonders, Olivier Widmer, étudiant à l’université de St. Gallen actuellement en Master en finance explique: «La jeune génération regarde attentivement la valeur d’une marque, d’abord par son héritage, son identité de marque, mais aussi par sa valeur d’investissement. D’ailleurs, dans un sondage que j’ai effectué auprès du fan club de montres dans mon université, le modèle Nautilus de Patek Philippe est celui qui est le mieux évalué. La raison? Sa rareté, puisque sur certains modèles, la marque a arrêté la production.»

Le seul marché à maintenir une croissance positive à deux chiffres pour l’horlogerie (25,2% de 2023 à 2024) reste l’Inde, qui attire toute l’attention de l’industrie. Lors du salon, plusieurs acteurs majeurs du pays étaient présents et se sont exprimés dans diverses interviews exclusives accordées à Luxury Tribune, parmi lesquelles Nailesh Khimji, directeur de Khimji Ramdas Group, qui a abordé les nouvelles opportunités d’affaires offertes au secteur horloger dans le pays.

En effet, selon lui, les villes émergentes dites «B-Cities» telles que Pune, Ahmedabad, Hyderabad connaissent un fort développement démographique et économique. C’est dans ce contexte que le groupe Khimji, l’un des plus anciens revendeurs agréés de Rolex à Oman, a choisi certaines de ces mégapoles (comptant entre 7,5 et 10 millions d’habitants en 2024) pour ouvrir ses premières boutiques dans le pays.

Parmi les 26 milliards de francs d’exportations horlogères suisses en 2024, l’Inde ne représente encore qu’environ 1 %. Mais son potentiel est immense: elle est aujourd’hui l’économie à la plus forte croissance au monde. «D’ici la fin de la prochaine décennie, l’Inde pourrait figurer parmi les cinq premiers marchés horlogers pour la Suisse», affirme Nailesh Khimji. Une autre opportunité stratégique soulignée par l’homme d’affaires est celle de la formation d’horlogers dans le pays. Face à la pénurie des artisans formés en Suisse, développer cette compétence localement serait, selon lui, un atout auquel devrait s’intéresser toutes les maisons horlogères suisses.

Mais l’Inde poursuivra-t-elle ce rythme de croissance en 2025? À cette question, Yashovardhan Saboo, fondateur et président d’Ethos Watches, le plus grand détaillant horloger de l’Inde, répond sans hésiter par l’affirmative, comparant la trajectoire du pays à celle de la Chine entre 2003 et 2020. Il anticipe une croissance annuelle des ventes de 12 à 14% en monnaie locale sur les cinq à dix prochaines années, invitant à juger sa solidité sur la prochaine décennie.