« Aujourd’hui, par sa connaissance du marché des pierres, Piaget est capable de devancer les plus grands »
Responsable gemmologie chez Piaget, grand expert du terrain et éleveur de reptiles à ses heures, Guillaume Chautru, longtemps resté dans l’ombre, dévoile comment la marque compte à nouveau éblouir le secteur.
En juin 2021, lorsque Benjamin Comar reprend les rênes de la maison Piaget, la marque n’a pas encore trouvé son équilibre idéal. À la fois joaillière et horlogère, elle doit trouver la voie royale qui permet d’insuffler notoriété et succès commercial à ses deux pôles, pour que l’attraction agisse. Depuis deux ans, le travail de recentrage profond sur l’identité Piaget fait bouger les lignes. La joaillerie Piaget semble retrouver ce qui l’a toujours façonnée: l’originalité du travail de l’or, le choix osé des tailles de pierres précieuses et la combinaison inédite des couleurs.
Pour suivre cette ligne de crête escarpée et dénicher, en chemin, les pépites inestimables qui feront le succès des collections, Guillaume Chautru, le responsable de la gemmologie Piaget depuis 2016 a le profil idéal. Cet expert en gemmologie, chasseur de pierres hors norme, dont la carrière s’est aussi façonnée chez Cartier en tant que spécialiste de la certification de la qualité des gemmes, est un personnage à part. Sa réputation d’aventurier le précède. Grand connaisseur des pierres et éleveur de reptiles, cet habitué des terres exotiques et reculées a façonné sa connaissance du terrain comme personne. Alors, quand le service presse de la marque propose une rencontre, en solo, avec le plus atypique des gemmologues, de le suivre, dans les couloirs de GemGenève – le salon très feutré des ventes de pierres précieuses, à Genève – l’idée séduit. D’autant qu’il est resté longtemps à l’abri des médias.
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Guillaume Chautru, nous sommes à GemGenève, un salon né en 2018 grâce à deux grands noms du monde des bijoux, Thomas Faerber et Ronny Totah, devenus en quelques années le temple des négociants en pierres précieuses. Qu’êtes-vous venu y chercher aujourd’hui?
GemGenève, comme le salon de Hong Kong ou de Tucson aux États-Unis est important. Tout le monde se connaît, se parle, échange sur l’état du marché, sur les pierres, sur les prix. Même si chaque marque est concurrente, nous aimons nous retrouver pour discuter de nos visions globales du secteur, mais aussi, parfois, pour signaler de mauvaises pratiques, comme la rétention de marchandises pour faire monter les prix artificiellement. Nous savons que les pierres précieuses présélectionnées par les fournisseurs présents sont de qualité. Cette année, avec Stéphanie Sivrière, directrice de la création, nous choisissons celles qui constitueront la collection haute joaillerie 2025-2026. Je choisis la pierre pour la beauté de sa couleur et sa qualité, Stéphanie pour ce qu’elle lui inspire. Je négocie les prix et elle s’occupe de la création. Hier, nous avons pu mettre la main sur un bel ensemble d’émeraudes de grande valeur.
Vous arrive-t-il encore de visiter des mines, sur le terrain?
C’est très rare. Nous n’achetons pratiquement jamais de pierres brutes. Cela demanderait des années de travail. Il faut bien reconnaître que c’est avant tout un argument marketing. Cependant, dès que j’en ai l’occasion, je n’hésite pas à en visiter une, pour rester connecté au marché, c’est important. Car aujourd’hui, le secteur connaît une croissance de la demande. De plus en plus de nouvelles marques de haute joaillerie apparaissent, à l’instar de Fendi ou de Saint Laurent, qui ont aussi lancé une collection de bijoux. C’est compter sans les très gros acteurs du marché. Il n’est pas toujours facile de passer après eux, les moyens sont disproportionnés. Ce sont donc nos relations avec les fournisseurs qui font la différence.
Quel est le poids de Piaget face aux géants de haute joaillerie?
La marque étant plus petite, nous ne pouvons engager la maison sur des montants exorbitants. Nous avons donc dû mettre en place un processus d’achat très particulier que je ne vous détaillerai pas. Aujourd’hui, Piaget est capable d’acheter le plus vite au meilleur prix. Alors que certaines maisons doivent attendre un protocole d’achat interne qui peut durer des mois, Piaget peut le faire sur place, directement. Pour cela, nous avons organisé le flux en amont. Souvent, des marchands préfèrent attendre que nous venions les voir, avant de montrer leurs pierres aux marques, car nous pouvons les leur acheter tout de suite, tandis que d’autres peuvent bloquer la marchandise plusieurs mois. Cela exige de nous une présence et une vigilance constantes sur tous les marchés, afin de nous assurer la primeur.
Comment expliquer que Piaget peine à confirmer le succès attendu en joaillerie?
Aujourd’hui, en haute joaillerie, les clients veulent des bijoux très créatifs avec des pierres fines ou de la joaillerie d’investissement, au style intemporel. Nous avons travaillé dans ce sens. Les amateurs de Piaget aiment trouver d’autres tailles de pierres précieuses, d’autres assemblages de couleurs lorsqu’ils choisissent un de nos bijoux, avec des tonalités joyeuses. Piaget n’est pas dans la figuration, mais dans l’abstraction. Pour se démarquer, les codes stylistiques de Piaget sont forts, surtout sur les manchettes ou les sautoirs. Il y a une véritable volonté de se recentrer sur l’identité de Piaget, plus élaborée. En 2023, la demande sur la collection de montres Gala Rainbow a explosé. C’est une collection très identifiable, qui demande une élaboration de son set de couleurs très complexe, et qui nécessite sept fournisseurs différents. Piaget ne se différencie pas sur la très grande pierre spectaculaire, mais sur des ensembles complets de couleurs qui incluent chaque fois le collier, la bague, les boucles d’oreilles et la montre. Toutes les couleurs doivent correspondre. Faire un appairage d’une pierre de dix carats avec une pierre de deux carats, cela peut prendre jusqu’à un an, à l’image des diamants jaune intense de la dernière collection.
Vous êtes également un spécialiste de la certification de la qualité. Quelles sont les innovations proposées?
Depuis six ans, je mets au point un système d’authentification EGID (Electronic Gemstone Identification Database). Une base de données d’identification des pierres, en cours de brevet chez Richemont, prête à être déployé pour toutes les marques. Toutes les pierres sont répertoriées, afin que l’on puisse clairement les identifier, même retaillées ou traitées. Le système est associé à la blockchain. C’est très innovant.
Quelle est la pierre la plus rare et convoitée cette année?
Le saphir bleu est très convoité. Seuls deux pays peuvent produire la qualité requise, à savoir le Sri Lanka et Madagascar, alors que la demande reste vive et focalisée sur les qualités «Cornflower» ou «Royal Blue». Un tri très sélectif s’opère; ainsi, 90% de la matière extraite n’est pas utilisée par les maisons de haute joaillerie. Sur les 10% restants, seuls 10% entrent dans les critères de clarté exigés. La même problématique se retrouve sur le rubis. La Birmanie n’étant plus un pays avec lequel les maisons travaillent, la très grande majorité de la pierre provient pratiquement exclusivement du Mozambique. Cette provenance est très qualitative, car le rubis y est très rouge et propre. Mais le pays ne réussit à extraire qu’un tender tous les six mois. Et le dernier n’a produit que cinq bruts, donnant cinq pierres de 5 carats. Sachant que la demande de toutes les maisons de haute joaillerie réunies équivaut à cent, la concurrence est rude.
Quelles sont vos pierres favorites?
Les tourmalines indigolites provenant de Namibie, de couleur bleu-vert. Elles sont très rares. La subtilité de la couleur est la signature de Piaget. Sur une émeraude, je choisirai celle qui contient un peu de bleu dans l’éclat. Une autre signature de Piaget se situe dans le choix de la taille, au plus proche du brut. Les tailles poires sur des émeraudes de très haute qualité sont une originalité de la maison. J’aime également retravailler la taille de pierres avec notre réseau de spécialistes, que j’ai constitué au fil des ans. Chaque tailleur est dédié à une matière. J’aime déceler les potentialités d’une pierre. En 2022, j’ai acheté une émeraude zambienne de 16 carats, que j’ai fait retailler à 9 carats. Pourtant réduite, elle valait, in fine, quatre fois plus qu’à 16 carats, car sa couleur et sa pureté avaient ainsi été rehaussées. Une opération qui a nécessité deux ans de travail. Notre compréhension est très pointue. C’est un savoir que n’ont souvent pas les autres maisons, trop grandes et généralistes.
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