Art & Design

Une partie de l’héritage architectural de Los Angeles réduit en cendres

Isabelle Campone

By Isabelle Campone21 janvier 2025

Au-delà de l’incommensurable tragédie humaine qui a accompagné les feux de Los Angeles, c’est aussi le patrimoine architectural, culturel et artistique de la ville qui a été atteint en son cœur. Notre journaliste, Isabelle Campone, basée à Los Angeles raconte.

Si de nombreux édifices de renom ont été épargnés – dont la Maison Eames et les Case Study Houses d’Eames et celle de Craig Ellwood à Malibu – d’autres ont été réduits en cendres et ont emporté un peu de l’âme de Los Angeles. Ci-dessus, la ville de Los Angeles, en Californie, et son célèbre Griffith Observatory (Shutterstock)

Il y a dix jours, depuis les fenêtres de mon habitation de Los Feliz, dans les collines de Los Angeles, tout à l’est de la ville, j’ai vu un nuage de fumée s’élever au loin. Depuis ces baies vitrées, on y voit l’océan et les collines de Pacific Palisades et entre deux, la ville la plus étalée d’Amérique du Nord.

Ce qui rendait les Palisades et Altadena si spéciales, c’était leur éclectisme. C’est ce qui les rendait si intéressantes et originales, et pourquoi les gens les aimaient tant

Adrian Scott Fine, président et CEO du Los Angeles Conservancy

Comme tous les transplants – j’y suis arrivée il y a treize ans –– je considère Los Angeles comme la ville rêvée, celle de tous les possibles. Ses palmiers, son climat, ses plages et ses sets de films en forment le décor mythique. Journaliste en architecture, j’ai adoré parcourir cette ville des Case Study Houses. J’ai usé mon regard sur les maisons folles de Lautner, guigné à travers une haie pour admirer une Neutra ou une Schindler, et combien de fois je suis partie en pèlerinage visiter celle des Eames à Pacific Palisades. Depuis mon domicile, j’ai vu la ville brûler. Le nuage a grandi et s’est épaissi à une vitesse terrifiante, alors que les sirènes résonnaient. À la nuit tombée, nous avons observé les flammes courir sur la crête de la colline, comme des spectateurs figés face à un tableau de l’Enfer de Dante.

A gauche, la Eames House, un incontournable de l'architecture moderne du milieu du XXème siècle, située dans le quartier de Pacific Palisades, à Los Angeles. A droite, la Lovell House, une résidence moderniste de style international construite par Richard Neutra, située dans le quartier de Los Feliz à Los Angeles, en Californie.

En quelques heures, la dévastation faisait office de nouvelle réalité.

Huit jours après, le désastre le plus coûteux de l’histoire du pays avait provoqué la mort de 27 personnes, engrangé plus de 170 000 déplacés et détruit plus de 12 000 bâtiments. On ne compte plus la disparition inestimable de milliers de maisons pour des habitants qui ont tout perdu, mais aussi des écoles, des lieux de culte et de vie civile, des commerces et des restaurants. Ainsi que de nombreux lieux historiques.

Pendant que les flammes dévoraient sans distinction quartiers riches et populaires, maisons de stars ou de générations de travailleurs à Altadena, et alors que des milliers de pompiers se battaient pour éteindre les feux, la peur pour le riche patrimoine architectural de la ville commençait à poindre.

Lorsque les flammes ont commencé à s’approcher de la Getty Villa, perchée au sommet d’une falaise surplombant l’océan, la conscience de la menace s’est faite plus vive. Selon le Los Angeles Times, les employés ont eu moins de deux heures pour tout mettre à l’abri entre le moment où l’incendie a été signalé et l’arrivée du feu à la propriété. Ils y étaient donc préparés. Le musée travaille toute l’année pour éliminer la végétation sauvage susceptible de brûler et le système d’arrosage est conçu pour faire barrage au feu. Si bien qu’aucune flamme n’a même atteint la villa.

Le musée américain Getty Villa, fondé en 1974 et perché au sommet d'une falaise surplombant l'océan, a été menacé par les flammes de l'incendie mais les structures du musée n'ont pas été touchées (Shutterstock)

Si de nombreux édifices de renom été épargnés – dont la Maison Eames et les Case Study Houses d’Eames et celle de Craig Ellwood à Malibu –, d’autres ont été réduits en cendres et emportent un peu de l’âme de Los Angeles. Même si le Hollywood Sign, malgré le fait que certaines images d’IA le montraient en feu, trône encore.

D’un côté ou de l’autre de la ville, l’ampleur de ces pertes révèle tragiquement l’incroyable diversité de l’architecture de la région : moderniste, Beaux-Arts, de style espagnol Revival, Craftsman, Art déco, victorien, postmoderne et contemporain. «Ce qui rendait les Palisades et Altadena si spéciales, c’était leur éclectisme. C’est ce qui les rendait si intéressantes et originales, et pourquoi les gens les aimaient tant», a déclaré Adrian Scott Fine, président et CEO du Los Angeles Conservancy.

En janvier dernier, les flammes ont dévoré sans distinction quartiers riches et populaires, maisons de stars ou de générations de travailleurs à Altadena, alors que des milliers de pompiers se battaient pour éteindre les feux (Shutterstock)

La liste est longue. À Pacific Palisades, la Bridges House, maison brutaliste de l’architecte Robert Bridges, construite dans les années 80, perchée au-dessus de Sunset Boulevard, a été détruite lors de l’incendie du 8 janvier. La Maison Keeler House, cette structure nichée sur une colline boisée, de l’architecte moderniste Ray Kappe et remodelée en 1990, était considérée comme l’un des chefs-d’œuvre de Kappe et un exemple majeur du design moderniste californien. Plus loin, la Culbert House, à Malibu, conçue elle aussi par Ray Kappe et terminée en 2001 a également été ravagée par les flammes. Disparue, la Maison Mortensen, à Palisades. Cette maison de style Revival colonial espagnol datant de 1929 était un exemple rare de cette architecture résidentielle. Perdue dans les incendies, la Benedict and Nancy Freedman House, construite par Richard Neutra en 1949.

Véritable monument de Los Angeles, le Will Rogers Ranch, situé dans les montagnes de Santa Monica, a été entièrement détruit lors de l'incendie de forêt des Palisades. Il était inscrit au registre national des lieux historiques depuis 1971 (Tripadvisor)

Véritable monument de Los Angeles, le Will Rogers Ranch a été entièrement détruit. La propriété de 359 acres de l’acteur et humanitaire comprenait une maison de 31 pièces surplombant l’océan Pacifique, ainsi que des logements pour invités, des écuries, des corrals, un terrain de golf et des sentiers équestres. L’incendie a non seulement détruit la propriété historique, mais aussi des parties du parc d’État de Topanga.

À Altadena, la Lowe House de Harwell H. Harris, construite en 1934 par l’architecte moderniste formé par Richard Neutra et Rudolph Schindler, n’existe plus. Cette maison Lowe mêlait design japonais et style ranch classique. Brûlé, le Domaine Zane Grey. Cette immense propriété de style méditerranéen construite par les architectes Myron Hunt et Elmer Grey en 1907 était pourtant reconnue comme la première structure ignifuge d’Altadena. Également envolée, la Maison Andrew McNally, de l’architecte Frederick L. Roehrig, qui construisit ce manoir de style Queen Anne pour l’éditeur Andrew McNally en 1887 dans une zone connue plus tard sous le nom de Millionaire’s Row. Toujours à Altadena, les Gregory Ain Houses à Park Planned ont disparu. Conçues en 1948 par Ain avec l’aide du paysagiste moderniste Garrett Eckbo, ces 28 maisons Midcentury Modern faisaient partie d’une expérience d’urbanisation axée sur un design préfabriqué abordable. Plus loin, le Village Janes, à Altadena, a été partiellement détruit. Ce groupe de cottages anglais historiques, construit entre 1924 et 1926 par l’architecte Elisha P. Janes, avait été conçu pour être abordable pour la classe moyenne. Enfin, la Scripps Hall. Devenue l’École Waldorf de Pasadena, la structure de style Craftsman avait été érigée en 1904 par William Armiger Scripps. Elle était elle aussi un témoignage de Millionaire’s Row.

Au-delà de la tragédie humaine, c’est aussi une catastrophe artistique et culturelle à laquelle nous assistons. La disparition de dizaines de lieux qui ont fait l’histoire de la ville du cinéma en change à tout jamais le visage. Du Will Rogers Ranch, vu dans autant de films que le Topanga Ranch Motel construit en 1929 par William Randolph Hearst, lui aussi brûlé, au restaurant incontournable de la Pacific Coast Highway, Moonshadows, au Reel Inn et du Jewish Temple de Pasadena, à la bibliothèque historique d’Altadena, la liste est vertigineuse. Alors qu’elle est encore incomplète, on commence à peine à évoquer le patrimoine parti en fumée avec ces bâtiments : œuvres d’art, collections de toutes sortes, archives… À l’image de la bibliothèque entière de la Theosophical Society aujourd’hui disparue. Cette collection réunissait toutes les idées visionnaires qui ont formé la spiritualité californienne, tout comme l’exceptionnelle collection de livres de Gary Indiana, que l’artiste récemment décédé avait léguée à une fondation destinée à devenir une résidence d’artistes. Elle y était arrivée le matin de ce mardi 7 janvier…

Huit jours après, le désastre le plus coûteux de l’histoire du pays a provoqué la mort de 27 personnes, engrangé plus de 170 000 déplacés et détruit plus de 12 000 bâtiments (Shutterstock)

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