Tamara Ralph: «La Royal Oak Concept est forte et féminine. J’ai voulu pousser ses limites au maximum.»

À quelques jours de son deuxième défilé haute couture à la fashion Week de Paris sous l’égide de sa nouvelle marque, la créatrice de haute couture Tamara Ralph accordait un entretien exclusif à Luxury Tribune, alors que l’agitation des ateliers devait gronder en coulisse. Pourtant, impériale, et à l’image de son come back retentissant sur le devant de la scène mode, Tamara Ralph affiche une sérénité déconcertante.

Saluée par la critique et adoubée par une clientèle qui ne pouvait se résoudre à son absence des podiums après l’arrêt de la marque Ralph & Russo il y a trois ans et qu’elle partageait avec son partenaire, elle brûle d’impatience de montrer cette nouvelle facette d’une femme forte et moderne, plus affûtée, plus puissante dans ses atours. De ce style plus affirmé, elle signe également une création horlogère conçue en collaboration avec Audemars Piguet. Ce 22 janvier, premier jour de la fashion week de Paris printemps-été 2024, c’est aussi l’occasion pour la marque horlogère du Brassus de révéler le nouveau modèle en édition limitée de la Royal Oak Concept Tourbillon Volant. Il arbore une boîte en or rose 18 carats, décorée de la finition Frosted Gold. Le cadran constitué de plusieurs paliers s’inspire des créations Couture de Tamara Ralph. Il est composé de quatre plaques circulaires en or rose superposées, créant un effet d’ondulation émanant de la cage du tourbillon volant située à 6 heures. Une nouvelle hybridation artistique que la marque horlogère du Brassus aime cultiver avec le milieu de la mode.

Vous insufflez un sens particulier du luxe dans vos créations. Si vous deviez comparer la mode et l’horlogerie selon cette approche spécifique, comment les distingueriez-vous?

Les deux industries sont relativement similaires, surtout lorsque l’on parle de savoir-faire et d’absolue exigence de la qualité, deux critères qui se perpétuent depuis des générations. Audemars Piguet respecte le savoir-faire historique, tout en sachant en moderniser les techniques, les matériaux. La haute couture est basée sur les mêmes fondements; c’est le pinacle du luxe. Il faut oser pousser les barrières de la créativité avec des techniques jamais expérimentées jusque à maintenant. Sur beaucoup de points, la connexion entre nos deux marques est forte.

Vous dites avoir ressenti très tôt un sens inné de la création. Votre parcours est particulier, puisque vous avez été initiée par deux femmes, votre mère et votre grand-mère. Cette approche très féminine vous a-t-elle influencée?

J’ai eu cette chance de grandir entourée de femmes. Ma mère était designer, ma grand-mère et mon arrière-grand-mère étaient couturières. Elles détenaient le savoir. Ma mère était une femme forte, à la tête d’une famille de quatre enfants, élevés sans aide, et de manière exemplaire. C’est une source d’inspiration fondamentale, muée très tôt en passion pour le design et la mode; petite, j’aimais toucher les matières, couper dans des tissus, façonner des robes, dessiner. Ma grand-mère m’a transmis son savoir, m’a appris toutes les techniques de la haute couture. Elle était très stricte, son regard critique était infaillible sur mes créations que je lui montrais chaque semaine. Elle était exigeante, précise, elle a été centrale dans ma carrière. Je lui dois beaucoup dans mon approche de la mode. Ces femmes fortes ont été mes mentors.

L’atelier était-il à la maison?

Oui, ma mère et ma grand-mère avaient leur atelier chez elles. Enfant, je n’avais pas vraiment le droit d’y rentrer, alors je m’y glissais dès qu’elles avaient le dos tourné. Ma mère avait cette incroyable collection de modèles de Vogue, des esquisses. Je me souviens encore que j’aimais observer ma mère et ma grand-mère travailler sur les mannequins et donner vie aux robes de cette manière. Je le pratiquais moi-même lorsque j’étais adolescente et que je n’avais pas encore acquis les techniques de découpes. Cette façon de faire est l’un des fondements du savoir-faire de la haute couture. Donner naissance à une création de cette façon, en trois dimensions, de manière fluide et naturelle, sur le mannequin, est magique.  

Beaucoup de vos clientes sont des femmes fortes. Mais que veut dire aujourd’hui être une femme forte?

Je suis assez chanceuse de pouvoir créer pour des femmes de différentes cultures, de tous âges, c’est très inspirant. J’aime échanger avec elles, les comprendre, observer leur façon de mener leur vie. Plus le temps passe, plus mes créations – reconnues pour être très féminines – deviennent fortes; ce sont des choix d’éléments aujourd’hui présents sur mes créations, des détails qui offrent cette idée de force et de féminité à la fois. J’aime construire cette dualité, en partant de composants a priori féminins tel que la rose, par exemple, emblématique de mes créations, et les rendre plus fortes, plus dures. Je me suis rendu compte que, malgré le fait que le succès des femmes soit célébré aujourd’hui, elles ressentent parfois encore le besoin de se protéger, de se glisser dans une forme d’armure. C’est une symbolique que je travaille dans mes créations.

Votre deuxième collection de haute couture présentée aujourd’hui en est-elle encore l’exemple ?

Oui, c’est une conception tout à fait centrale. C’est aussi cette idée de femme forte qu’Audemars Piguet célèbre, je veux davantage encore aller dans ce sens.

Comment répondent vos clientes à cette idée très présente dans vos créations aujourd’hui ?  

Elles aiment cet aspect évolutif de mon style, cette célébration de la force féminine, cette vision moderne, universelle et unique à la fois, au travers d’une plus grande sobriété, simplicité et pureté des lignes.

Vous entretenez depuis longtemps une relation intéressante avec Audemars Piguet. Pouvez-vous nous dire ce qui vous a attiré vers la marque et ce que vous aimeriez lui apporter ?

Audemars Piguet est une marque iconique. J’aime leur envie de collaborer avec des artistes à travers le monde, de pousser leur propre créativité, pour générer d’intéressantes hybridations artistiques. Le fait de choisir parfois des personnes qui ne sont pas forcément issues de l’industrie horlogère, comme moi, qui ne maîtrisent pas le vocabulaire technique horloger, mais qui peuvent apporter de nouvelles perspectives. C’est très intéressant du point de vue de l’artiste ou du designer. Les barrières sont ainsi repoussées des deux côtés. J’ai trouvé le challenge enthousiasmant, mais troublant.  Pourtant, dès le crayon en main, les croquis ont afflué, c’était une expérience stimulante, libre. J’ai aimé travailler les textures, les perspectives. La Royal Oak Concept est forte et féminine, j’ai voulu pousser le curseur encore plus loin.

Aujourd’hui, les femmes préfèrent souvent porter des montres d’homme. Vers quels genres de montres préférez-vous vous tourner?

J’aime les montres femme, mais avec de grands cadrans. C’est pour cela que j’apprécie Audemars Piguet, car leurs modèles ont ce genre de puissance dans leur design (ce jour-là, Tamara portait une Royal Oak tout or, lunette sertie de diamants et cadran vert, ndlr).

La renaissance de votre style sous l’égide de votre nouvelle marque de haute couture Tamara Ralph est un événement rare dans le monde de la mode. Peu de créateurs ont eu la force et l’énergie de tout recommencer. Quels sont les compromis que vous n’acceptez plus aujourd’hui?

Le fait de créer ma marque a toujours été présent en moi. J’ai une telle passion pour la mode et la haute couture… Je n’arrêterai jamais de faire ce que j’aime. J’ai la chance d’être entourée d’une équipe formidable, depuis longtemps. C’est une des grandes composantes de l’équation, qui me permet d’exercer ce métier fantastique. Et puis, avoir donné naissance à ma fille, il y a trois ans, a aussi été l’une de mes très grandes motivations. J’aimerais qu’elle me regarde comme une femme forte, comme j’ai moi-même regardé ma mère et ma grand-mère. Le compromis que je n’accepte plus ? Aujourd’hui, je sépare clairement ma famille et mon travail. Je veux passer du temps avec elle. Je le vois, ma fille aime déjà ce que je fais, elle était encore dans mes bras à la fin du premier défilé l’année passée, elle adore s’assoir avec moi et dessiner.