“J’étais très ambitieux. Puis j’ai vécu mes années à Hollywood”
De passage en Suisse, l’acteur installé depuis dix ans à Hollywood raconte comment sa manière d’appréhender le milieu artistique et ses quelques qualités très helvétiques, lui ont permis de grandir et de durer.
Chanteur, acteur et désormais photographe, Carlos Leal ne cesse d’étendre depuis 30 ans ses facettes artistiques à de nouveaux territoires d’expression. Aujourd’hui durablement établi à Hollywood, le comédien est une exception dans le paysage artistique suisse. Ambitieux, déterminé, il refusera systématiquement de se laisser enfermer dans des schémas trop étroits. Il se créera ses propres modèles, la Suisse n’en proposant pas à la dimension rêvée. Bien connu des Romands pour avoir, très tôt (1987) choisi le mouvement hip-hop comme langage scénique avec son groupe Sens Unik, il connaît un succès au-delà des frontières helvétiques et trouve l’estime de ses pairs. Il quitte alors la Suisse pour Paris, rencontre McSolaar et d’autres voix du rap de l’époque. Il explore le métier d’acteur, prend des cours, et se découvre une nouvelle passion. Sa carrière ne s’arrêtera plus. Rencontre avec un acteur pour qui l’art est devenu une histoire de vie. A part.
Vous êtes de passage en Suisse après ces longs mois de restrictions. Vous venez d’y terminer un tournage. Racontez-nous?
Oui, j’étais en Europe pour le tournage à Berlin de la série Blackout, tirée d’un bestseller aux côtés de la super star allemande Moritz Bleibtreu. Elle sera sur les écrans avant la fin de l’année. C’est l’histoire d’un ancien hackeur soupçonné d’avoir créé un blackout total en Europe. Je joue un flic d’Europol, qui aide à trouver les vrais coupables. Comme je n’étais pas loin de la Suisse, j’en ai profité pour accepter un premier long métrage d’un jeune réalisateur espagnol, très talentueux, Joan Marc Zapata. Le tournage s’est passé à Lucerne. Je n’ai ensuite pas pu résister à l’envie de retrouver ma ville, mon fief, Lausanne. C’est là que sont mes origines, mes vieux amis, mes parents.
Comment la pandémie a-t-elle impacté votre carrière ces derniers temps?
Lorsque les Etats-Unis vivaient leurs pires heures avec le Covid, je tournais à Berlin, et lorsque la situation a commencé à se calmer en Amérique, j’ai débuté la saison 2 de The L World, Generation Q. Nous venons de la terminer mi-mai. J’ai enchaîné avec un film (NDLR Father Stu) avec Mark Wahlberg et Mel Gibson, fin mai. Je dois dire que j’ai eu beaucoup de chance malgré les confinements.
Quel personnage y jouez-vous?
J’y joue le rôle d’un prêtre. Je ne peux pas trop en parler, mais il est crucial dans l’histoire. C’était une expérience fantastique. Le film est produit et joué par Mark Wahlberg, avec qui je me suis très bien entendu. Il a également commencé sa carrière dans le rap, sous le pseudonyme de Marky Mark (NDLR dans le groupe Marky Mark and the Funky Bunch, de 1991 à 1993) à la même époque que Sens Unik. C’est un homme de la rue, humble, qui s’est fait tout seul. Quant à Mel Gibson, c’est un acteur en or, qui revient après avoir été écarté du système. Les Etats-Unis ont cette qualité rare de redonner une chance après les difficultés. Pour terminer, la dernière actualité 2021 sera la sortie du film tourné il y a deux ans avec Al Pacino The American Traitor: The Trial of Axis Sally. J’y joue une scène avec lui.
Comment avez-vous vécu les années Trump?
C’était vraiment dur. D’autant plus que nous avions choisi de venir aux Etats-Unis avec mon épouse, il y a dix ans, lorsque le pays vivait une vague d’optimisme suite à l’élection d’Obama.
Vous aviez alors mis de côté votre anti-américanisme?
Je n’ai jamais mis de côté mon anti-américanisme, et encore aujourd’hui c’est très difficile pour moi de faire la part des choses, entre ma vie, mes enfants, mon travail en Amérique et l’ancien rappeur que je suis, qui a un regard assez sceptique sur la politique et la cuture américaine. Mais je ne la dénigre pas. Les quatre années Trump ont révélé une facette de l’Amérique, constituée d’une large frange de la population restée longtemps discrète, ignorée, dans l’ombre, et que l’on ne peut pas balayer du revers de la main. Ce sont des citoyens de l’Amérique profonde, blanche, qui croyaient à l’Eldorado. Avec Trump, l’atmosphère est devenue toujours plus instable, jour après jour. La méfiance et la peur étaient omniprésentes. La rage et la haine ont été libérées. Mais il était important de révéler ces frustrations et de comprendre qu’elles existent. Aujourd’hui, je pense que Joe Biden est la personne qu’il faut pour incarner la transition.
Était-il difficile de se situer dans cette Amérique-là, à Hollywood?
Le milieu du cinéma et du spectacle n’a qu’une raison d’être: faire de l’art, et construire un propos critique. La première saison de la série The L World ne s’en prive pas. Elle est née comme une réponse au sexisme et au machisme de Trump.
Cette période vous a-t-elle libéré artistiquement?
Oui, cette pandémie m’a fait grandir dans ma tête. Et parce que je ne peux pas supporter l’idée de ne pas créer, le refus de l’enfermement m’a porté sur la voie de la photographie. Je ne m’y attendais pas. J’ai acheté un appareil, un Fuji digital avec une optique russe. J’en faisais déjà, en amateur. J’ai toujours aimé photographier les choses qui m’inspirent, pour construire mon personnage ou pour écrire une chanson. La photo est un témoin de cette inspiration artistique. J’adore ce medium. Alors quand Photo Schweiz m’a contacté, j’étais très fier.
Visiblement, le succès vient à vous assez facilement?
Mmmh, facilement, n’exagérons pas. Les défaites dans ce genre de métier sont nombreuses. Mais aujourd’hui, je ne cherche plus la réussite. J’ai été très ambitieux. Puis j’ai vécu mes années à Hollywood. Un artiste est victime de l’amour et du désamour des autres. Et je suis fatigué par ce sentiment. Avec la photo, je cherche juste à me faire du bien. Peut-être qu’inconsciemment je trouve des outils pour me libérer de cette dépendance.
Depuis 30 ans, vous avez su prendre les bonnes décisions. Quelle a été la plus difficile à prendre?
De partir de Suisse, alors que le succès avec Sens Unik était formidable. Je suis arrivé à Paris. Et j’ai galéré. Mon succès musical n’a jamais été une porte d’entrée. Un rappeur qui devient acteur, ça n’existait pas à l’époque… Paris a cette bourgeoisie qui exclut. Et qui coopte. Alors que les Etats-Unis donnent la chance à tous, pourvu d’avoir un peu de talent. Il y a bien sûr les fêtes, les rêves de tapis rouges, mais je n’ai jamais écumé cet Hollywood-là. La première chose que j’ai fait en arrivant à Los Angeles c’était de trouver un agent. Et un manager. Et à partir de ce moment-là, j’ai commencé à travailler.
Quel est votre sentiment quand vous revenez en Suisse ?
J’adore la Suisse. Elle compte énormément de talents. Le seul point délicat, c’est qu’elle ne sait pas se vendre. Les artistes suisses ont cette humilité qui quelque fois entrave lorsqu’il faut se vendre. A Paris, j’ai compris que mon humilité typiquement suisse allait être un problème.
Qu’est-ce qui est resté très suisse en vous?
Mon côté méticuleux. La Suisse est experte en ce domaine. J’ai d’ailleurs fait un apprentissage en génie civile, il n’y a pas plus méticuleux (rires). J’aime son ouverture d’esprit, son pluriculturalisme, sa capacité à innover. J’aime y emmener mes enfants. Tout est plus riche culturellement. J’aime cette densité.
Qu’est-ce que votre culture musicale vous apporte encore?
Le hip-hop a été comme un guide pour moi, il m’a donné le langage pour m’exprimer. Nous étions précurseurs avec Sens Unik. Nous étions le premier groupe qui créait son propre label de rap indépendant. Même les Parisiens nous l’enviaient. Mais aujourd’hui, ce n’est plus ma musique, c’est celle des nouvelles générations qui ont tant de choses à dire.
Qu’est-ce qui vous manque?
J’aimerais réaliser bien sûr, et peut-être créer un livre de mon travail photographique. Il faut juste que je trouve l’énergie pour le faire. La famille passe en premier. Et il y a les années qui s’additionnent… Mais je ne pourrais pas vivre sans expression artistique.
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