Mr Zhao, le tycoon du luxe qui veut conquérir la planète mode
By Bettina Bush Mignanego05 juin 2020
D’abord distributeur de marques françaises et italiennes en Chine, l’homme d’affaires chinois, à la tête du puissant groupe de luxe Redstone, expose aujourd’hui ses plans d’expansion grâce à ses enseignes dont la prestigieuse marque de mode italienne Giada. Interview exclusive.
L’histoire de Giada, marque prestigieuse de prêt-à-porter féminin, est le fruit d’une heureuse rencontre, entre une styliste, Rosanna Daolio, et un homme d’affaires chinois, M. Zhao. Mais si l’on y regarde de plus près, c’est quelque chose de plus. C’est un échange entre deux cultures, qui dure depuis 15 ans et qui fonctionne. Giada fait partie du groupe chinois Redstone, fondé par M. Zhao pour importer des marques de mode haut de gamme en Chine. Aujourd’hui elle occupe tout un immeuble sur Via Montenapoleone, la rue la plus élégante de Milan, dont elle a confié le projet de rénovation à l’architecte Claudio Silvestrin. À cette boutique en nom propre s’en ajoutent cinquante autres dans les principales villes de Chine, en plus du magasin inauguré au printemps dernier dans le centre de Boston, le premier aux États-Unis.
Une forte croissance
M. Zhao était d’accord pour développer la griffe en Chine, cependant, moi je voulais que les tissus et la production restent absolument italiens
Rosanna Daolio, fondatrice de Giada
Depuis 2015, la maison connaît une forte croissance, grâce à la direction artistique confiée à Gabriele Colangelo. Une marque avec une identité bien précise, que l’on reconnaît immédiatement par les lignes épurées et la qualité de la coupe, accompagnées par une expérimentation continuelle dans les formes et les tissus. Dans ses vêtements, le luxe rime avec minimalisme, l’élégance rime avec rigueur. La raison ? Pour Mr Zhao, tout doit évoquer le monde de l’art. Et ce constat se lit également dans le choix des lieux des récents défilés, comme la spectaculaire Bibliothèque Braidense dans la Pinacothèque de Brera à Milan. Un aspect à ne pas négliger pour comprendre la philosophie de la maison, en pleine expansion dans le monde entier, mais également pour appréhender les stratégies du groupe Redstone, qui aujourd’hui vise à créer de nouvelles join ventures pour valoriser d’autres marques italiennes du luxe et les faire connaître en Chine, en conservant leur « Made in Italy ».
Mais commençons par le commencement. Quand en 2001 Rosanna Daolio fonde son atelier, elle mise tout de suite sur un nom de femme : « Ça sonnait bien, c’était facile à retenir, et puis le vert a toujours été ma couleur». Rosanna Daolio avait une longue expérience derrière elle. D’abord styliste dans le Groupe Max Mara, qu’elle rejoint déjà dans les années 1970, elle décide de se mettre à son compte, avec une idée fixe qui ressemblait presque à un rêve, à l’époque : porter Giada en Chine, ce nouveau monde en grand développement. À force de persévérance, un jour un ami à Paris lui présente M. Zhao, qui commercialisait des marques françaises et italiennes du luxe en Chine.
Quand la culture chinoise rencontre le style Made in Italy.
Ils s’apprécient beaucoup mutuellement et en 2005 ils décident de devenir partenaires d’une nouvelle aventure au sein du groupe Redstone : « M. Zhao était d’accord pour développer la griffe en Chine – raconte Rosanna – cependant, moi je voulais que les tissus et la production restent absolument italiens. Et puis il y avait un problème, la langue, mais ça ne paraissait pas préoccuper M. Zhao outre mesure ». Une fois les conditions établies, il n’a pas été difficile de passer à la pratique. Rosanna Daolio se souvient, amusée, de ses voyages dans le pays du Dragon: « Je me rappelle les divergences de points de vue, comme la première fois que j'ai donné mes croquis au modéliste chinois. Il parlait de tailles, alors que le style, ce n'est pas une question de mesures. Je voulais essayer les vêtements sur les femmes, voir le vêtement porté, en mouvement et juger des volumes, alors qu’eux voulaient le faire sur des mannequins en bois. Ils pensaient aux vêtements individuels, moi je pensais aux collections. Mais 19 ans plus tard, je dois dire que pour moi cela a été une expérience fantastique. Et j'ai même appris l'anglais ». Aujourd'hui Giada a conservé son âme de marque Made in Italy, tout en faisant partie du groupe chinois Redstone.
Je me rappelle les divergences de points de vue, comme la première fois que j'ai donné mes croquis au modéliste chinois. Il parlait de tailles, alors que le style, ce n'est pas une question de mesures
Rosanna Daolio, fondatrice de la marque Giada
Pour M. Zhao, la rencontre avec la mode et les marques du luxe s’est faite presque par hasard. Au début de sa carrière, il était journaliste et photographe de presse. Dans les années 1980 il travaillait pour ouvrir la Chine au tourisme international, pour faire connaître des lieux jamais vus auparavant, et son regard de photographe reflétait sa passion pour la beauté.
Puis, dans les années 1990, il travaille pour une société d’investissements quand son chef lui demande de s’occuper du marché du luxe, un secteur qui avait des prévisions de forte croissance. Les consignes étaient : ne pas penser au luxe simplement comme business, car ce monde renferme des valeurs, tout comme l’art. C’est la quête de la beauté, du beau savoir-faire. Il doit raconter la culture d'un peuple. Cette vision des choses plaît à M. Zhao, qui commence alors à voyager en Europe, surtout en France et en Italie, pour importer en Chine les premières grandes marques du luxe. « À Paris j'ai rencontré beaucoup de grands noms, Pierre Cardin, Yves Saint Laurent, puis Valentino, Salvatore Ferragamo. Chacun avait quelque chose d'unique, je pense au rouge de Valentino, aux imprimés d’Yves Saint Laurent et à son logo. De Ferragamo, j'ai beaucoup appris, surtout ce que veut dire avoir près d'un siècle d'histoire derrière soi, et la poursuite de la qualité absolue ».
Rencontre exclusive avec Mr Zhao, en marge du défilé tenu à Milan ce printemps.
Commercialiser le luxe, ce n'est pas la même chose que le produire. Pourquoi avez-vous décidé de devenir partenaire de Giada en 2005?
Je suis amoureux de l'Italie depuis toujours, de son histoire et de sa culture, c'est pourquoi j'ai voulu la connaître et la comprendre, avec l'esprit attentif du reporter et du journaliste. J’aime ses artistes incroyables, Michel-Ange, Botticelli, Léonard de Vinci, J'ai vu leurs œuvres, j'ai étudié leurs vies. Avec Redstone je voulais investir dans une marque qui pouvait avoir un lien avec tout cet immense patrimoine qui a laissé son empreinte, qui continue aujourd'hui dans la recherche de perfection de l’artisanat haut de gamme. Nous avons pensé conserver tout cela pour le vendre ensuite en Chine. Voilà pourquoi nous avons mis en place un partenariat avec Rosanna Daolio.
Pouvez-vous nous raconter le rapport de Giada au luxe, à la mode et à l'art, expliquer la devise ‘art to art’ qui accompagne la marque ?
Le luxe, comme l’art, a quelque chose d'exclusif, qui n'est pas éphémère. Les contenus sont faits de recherche et d’une qualité qui doit durer dans le temps. Avec Giada, ce que nous voulons, c'est rechercher cette beauté, pour l’amener dans la mode, C'est la raison pour laquelle les vêtements, les chaussures, les accessoires sont tous fabriqués en Italie .
Pouvez-vous nous parler de votre réseau de distribution, de vos boutiques toutes pensées par l’architecte italien, Claudio Silvestrin et produites par des artisans italiens ?
Chaque détail de nos boutiques est conçu et réalisé en Italie. Je pense au magasin de Boston, 400 mètres carrés dans le centre-ville. Nous voulions un grand miroir fait d'une seule pièce de plus de 20 mètres carrés. Le transport depuis l’Italie nous a coûté plus que sa réalisation, mais cela en valait la peine. En Chine nous ne souhaitons que des lieux de prestige. Quant aux prochaines ouvertures, nous prévoyons New York en 2021, puis Londres, Paris, Rome, Venise, Florence, et porter Giada dans le monde.
N’y aura-t-il que la marque Giada dans le futur de Redstone ?
Nous sommes en train de créer d'autres coentreprises, et non des acquisitions : nous avons déjà ouvert plusieurs boutiques en Chine avec la marque italienne de haute couture Curiel ; avec Gabriele Colangelo nous développons actuellement une marque pour une femme plus jeune. Nous avons planifié l'ouverture de trois magasins en Chine cet été. Et nous avons également des projets avec Il Lanificio Colombo. Nous sommes convaincus qu'en Italie, il y a beaucoup de marques historiques avec une forte identité qui devraient être valorisées en préservant leur histoire. C'est pour cela que nous voulons faire des partenariats, non des acquisitions .
Vous n’aimez pas parler de chiffre d'affaires, mais pouvez-vous nous parler de la croissance de Giada et en général de ses prévisions sur le marché du luxe ? À votre avis que pourrait-il se passer à la lumière des événements de ces derniers temps lié au coronavirus?
Giada a une croissance de 20-30 % par an ; je prévois en tout cas un ralentissement du luxe en Chine, étant donné que c’est un secteur déjà très développé, auquel s'ajoutent d'autres facteurs. Les nouvelles classes sociales qui aspirent au luxe ont atteint une plus grande conscience et donc elles auront moins besoin de symboles de prestige. Et puis les nouvelles générations qui cherchent le luxe comprennent moins la différence qu'il y a dans le monde de la mode entre les nouvelles marques coûteuses et celles qui appartiennent au vrai luxe, ce qui crée une certaine confusion dans le secteur. Si ensuite nous parlons de ce qui est en train de se passer ces jours-ci, je crois qu'en 2020 les ventes du luxe pourraient subir une baisse de 40 % en Italie et de 20 % Chine.
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