Mathieu Jaton: «Mon téléphone a rarement autant sonné que pour l’expérience Parallel Audemars Piguet»
Selon le directeur du Montreux Jazz Festival (MJF), ce ne sont pas les capacités, mais les expériences artistiques et les expériences clients qui doivent être augmentées. Pour les financer, Mathieu Jaton adopte volontiers les codes du luxe, à condition qu’ils ne parlent pas uniquement aux «happy few». Exporter le festival, faire croître la marque MJF et cultiver les talents émergents, cela fait aussi partie de l’équation.
Certains auraient pu «craindre l’idée d’un showcase de superstar pour une cinquantaine de VIP triés sur le volet, au chalet de Claude Nobs. C’est tout le contraire.» Ce constat, Mathieu Jaton, le directeur général du Montreux Jazz Festival (MJF) le pose avec clarté sur l’expérience musicale Audemars Piguet Parallel. Créé il y a un an par la marque horlogère du Brassus, partenaire global du festival depuis 2019, l’événement parallèle s’inscrit parfaitement dans l’ADN du Montreux Jazz avec une qualité artistique incontestable et un cadre unique pour tous les publics. Cette année, le rendez-vous fait de nouveau le buzz sur Instagram. Le line-up 2023 attire les jeunes publics avec Metronomy, Rampa vs &ME (Keinemusik) et Carlita. Certes, la campagne de promotion et le concours pour y prendre part sont profilés pour le générer, mais la méthode fonctionne. Comme celle que Mathieu Jaton met en place depuis dix ans – depuis la disparition de Claude Nobs – pour faire perdurer la marque MJF. De sa vision d’un partenariat réussi à l’exportation de Montreux Jazz Festival dans le monde, de l’évolution de l’industrie musicale à l’intelligence artificielle, Mathieu Jaton livre une interview exclusive, à quatre semaines du festival.
Qu’apporte l’expérience Audemars Piguet Parallel au Montreux Jazz Festival?
Un partenariat doit impérativement impliquer une plus-value artistique. La soirée Audemars Piguet Parallel donne l’occasion à un artiste de jouer dans le cadre du Montreux Jazz Festival, tout en offrant une dimension exclusive au public. En 2022, lors de la première édition, The Blaze avait performé dans un lieu époustouflant, sur les hauts de Montreux, depuis une scène à la vue plongeant sur le lac. Une expérience that money can’t buy proposée par Audemars Piguet et que tout le monde voulait vivre, mais qui n’était accessible que sur concours. Mon téléphone a rarement autant sonné. Cette année, nous rééditons l’expérience dans un autre lieu, avec d’autres artistes.
La soirée de clôture est totalement intégrée au Montreux Jazz Festival. Quelle est la valeur que la marque Audemars Piguet amène et jusqu’à quel point a-t-elle le dernier mot sur la programmation?
Jusqu’en 2019, il n’y avait pas de soirée de clôture. La première a été célébrée en grande pompe avec Quincy Jones. Audemars Piguet a toujours voulu s’investir pour offrir quelque chose d’exceptionnel en fin de festival, pour s’insérer dans la programmation payante. Cette année, le DJ et producteur Mark Ronson, ambassadeur d’Audemars Piguet, a été invité par la marque et le Montreux Jazz Festival à créer un spectacle unique et collaboratif pour la soirée de clôture le 15 juillet. Pour ce concert, la star invitera des artistes de sa famille musicale élargie à la rejoindre sur scène pour le public de Montreux. C’est un artiste qui correspond totalement à l’univers MJF. Il est venu plusieurs fois, notamment en 2012, avec des productions spéciales, je pense à Nile Rodgers. Le public sera plongé dans une atmosphère totalement différente de la création musicale, rien qu’il n’ait vu auparavant.
Ces créations doivent tout de même s’accompagner de fonds…
Bien sûr, mais ce n’en est pas le moteur. Si un partenaire me proposait un demi-million pour la programmation d’un artiste dans la grande salle du Stravinski et la présence de 500 clients VIP pour y assister, je refuserais, car ce serait aller complètement contre le marché de la musique. Ce serait un très mauvais signal que de montrer aux producteurs que de gros cachets d’artistes seraient désormais validés grâce à des sponsors, pour des soirées réservées, de surcroît, à des VIP. À dire vrai, une telle proposition m’avait déjà été faite. Des sponsors étaient prêts à payer 1 million pour un soir au Stravinski. Nous avons décliné. Notre partenariat avec Audemars Piguet met en valeur la création artistique proposée autour de Mark Ronson. La preuve, les ventes des billets pour cette soirée sont excellentes.
Cette notion d’expérience signature vient du luxe. Est-ce qu’elle vous inspire pour d’autres futures créations?
Elle vient du luxe, mais ne s’adresse pas au luxe. Le prix reste abordable, pour une soirée consacrée à tous les publics. C’est une volonté d’Audemars Piguet, qui tient à valoriser la performance de l’artiste. Lorsque le luxe s’adresse à lui-même, et non au public, et qu’il ne cherche pas à le comprendre, cela devient un partenariat d’image qui n’intéresse personne. Montreux Jazz Festival ne s’inscrit pas dans une question de labellisation, mais de cocréation.
François-Henry Bennahmias va partir d’ici la fin de l’année 2023. Avez-vous des craintes quant à la suite du partenariat?
Non. Il y a évidemment un lien personnel qui s’est tissé, mais c’est sans compter celui qu’il entretient avec un certain nombre d’artistes. Sur le fond, la stratégie musicale s’inscrit très largement dans celle de la marque, validée par le conseil d’administration d’Audemars Piguet en tant que projet d’entreprise.
Il a tout de même un lien fort avec Jay-Z, Quincy Jones et le marché américain…
Oui, et depuis longtemps. La marque est très profondément ancrée dans la musique, au-delà des liens personnels de François-Henry Bennahmias avec les artistes. Comme l’expérience Audemars Piguet Parallel, créée à l’interne par les équipes du Brassus. La marque est totalement alignée avec la manière dont le live music business est en train d’évoluer.
Pouvez-vous préciser?
Les festivals renommés deviennent toujours plus gros. Coachella, par exemple, atteint 125 000 personnes par jour! Deux marchés musicaux se font face: le gigantisme de l’entertainment avec des cachets d’artistes jusqu’à 3 millions de dollars, à l’instar de Coachella, qui se fonde sur l’image plus que sur la création musicale et qui offre une immense visibilité à l’artiste. D’autre part, il y a des festivals axés sur l’envie de la part d’artistes qui vivent des moments de pure création. Les festivals de Montreux ou de Montréal s’inscrivent dans cette dynamique : ce n’est pas la capacité, mais les expériences artistiques et les expériences clients qui sont augmentées. Pour faire face à l’évolution des cachets et des coûts, il faut générer des revenus annexes, en l’occurrence, les Montreux Jazz Cafés et le Montreux Jazz Festival à l’étranger.
Justement, la marque MJF génère un chiffre d’affaires de plus en plus conséquent. Souhaitez-vous augmenter cette part?
Cette année marque les 10 ans du décès de Claude Nobs. Mon projet était de faire en sorte que la marque perdure et se renforce, pour les décennies à venir. L’univers de la marque a donc été créé autour de deux pôles: la Montreux Jazz Artists Foundation et le programme MJF Spotlight. Les deux englobent respectivement l’éducation et la mise en avant de nouveaux talents afin de permettre à des artistes émergents de jouer au LAB, comme à l’époque Rag’n’Bone Man, Ed Sheeran ou Dua Lipa. D’autre part, le festival MJF à l’étranger fonctionne comme avec un système de licences. À ce propos, dès 2024, trois nouveaux festivals vont voir le jour: le Montreux Jazz Festival Miami, Abu Dhabi et Ibiza. Ces villes ont toutes manifesté le souhait de se recentrer sur une offre culturelle et musicale différente, à l’instar de Tokyo, Rio et Suzhou en Chine qui l’organisent depuis longtemps. Tous ont leur style, leur signature particulière. Ce ne sont pas des répliques à l’identique de ce qui se passe à Montreux. Quatre piliers doivent être impérativement respectés pour leur création: l’identité touristique, économique, culturelle et sociale du lieu. Tout est géré par la société Montreux Jazz International, fondée en 2008 par Claude Nobs, Peter Rebez de Caviar House-Prunier et moi-même.
Comment appréhendez-vous les technologies du métavers et de l’intelligence artificielle dans la musique?
La métamorphose technologique que nous vivons aujourd’hui est importante. Malheureusement, le business de la musique n’a pas anticipé l’arrivée massive de l’IA. Elle réfléchit encore à comment payer des artistes sur les plateformes digitales… imaginez avec le métavers, les NFTs ou l’IA! Je suis un éternel optimiste. Et dans le marasme actuel du droit d’auteur, ces nouveaux enjeux vont permettre de préciser le sujet, en particulier grâce aux NFTs. Le Montreux Jazz s’intéresse à ces technologies qu’il a déjà testées, en accompagnant les artistes sur ces domaines, sans y investir davantage. Pour autant, l’exemple très réussi à mes yeux reste celui développé par le festival Tomorrowland. Il a mis sur pied une expérience exceptionnelle dans le métavers pendant le Covid, en investissant des millions de dollars pour créer avec 250 développeurs de Pixar, une plateforme unique. Cela s’inscrit dans ce que la musique électronique est aujourd’hui: un vecteur de sensations à la fois physique et virtuel, ce qui ne marche pas avec la pop ou le jazz. Deuxième point intéressant: les NFTs offrent un regroupement des royalties pour l’artiste et lui redonnent le moyen d’être dans la creative economy, ce que le milieu de la musique avait perdu ces dernières années. Quand l’artiste pourra s’adresser directement à son public, tout se rééquilibrera, entre la monétisation de productions de contenu sur les plateformes et le live music. Les artistes redeviendront rares dans les tournées, ce qui suscitera de nouveau l’engouement du public. Un artiste a réussi ce pari: Sofiane Pamart. Il produit tout personnellement. Grâce à la création d’images NFTs qu’il dessine, puis leur mise en vente – en l’occurrence un demi-million de NFTs vendu sur son dernier album – il génère des revenus suffisants pour rentabiliser sa production par l’art parallèle. Si l’industrie prenait ce virage, de nouvelles perspectives s’ouvriraient pour tout le monde.
Partager l'article
Continuez votre lecture
Podcast. Episode 3. François-Henry Bennahmias «Je n’ai jamais pu rentrer dans aucune case»
Alors qu’Ilaria Resta, la nouvelle directrice générale d’Audemars Piguet vient d’être nommée, François-Henry Bennahmias revient sur ses onze années à la tête de la marque et sur son style de management qui auront durablement transformé Audemars Piguet.
En Argentine, l’émergence du dollar Coldplay
Tandis que l’inflation bat son plein, plusieurs marchés parallèles du change du dollar ont éclos en Argentine. Outre le dollar officiel ou encore le Blue dollar, on assiste à un phénomène inédit depuis quelques semaines: l’émergence du dollar Coldplay.
By Samia Tawil
S'inscrire
Newsletter
Soyez prévenu·e des dernières publications et analyses.