Grâce à l’arrivée des vaccins et à la locomotive chinoise, le secteur du luxe devrait se ressaisir cette année. Une reprise déjà entamée l’automne dernier et qui devrait s’intensifier ces prochains mois. Sans pour autant atteindre les niveaux de 2019. A moins que…
Après un premier semestre 2020 catastrophique, pandémie oblige, un vent d’optimisme souffle à nouveau sur l’industrie du luxe. Mais un optimisme prudent: «L’activité ne retrouvera pas son niveau d’avant-crise avant 2022. Les ventes devraient progresser de 20% cette année après s’être contractées de 22% en 2020, prédit Arthur Jurus, chef économiste au sein de la banque privée Landolt & Cie. L’activité restera donc, dans le meilleur des cas, 4% inférieure à son niveau pré-COVID. L’incertitude sur ce chiffre persiste notamment car nous ne disposons pas encore des ventes de Noël qui représentent habituellement le tiers des revenus annuels.» Même constat de René Weber, Senior Analyst Luxury Goods chez Vontobel: «En ce qui concerne les exportations horlogères, la reprise devrait s’élever à 15% en 2021 après une baisse de 25% l’an dernier. C’est donc une forte reprise, mais il faudra encore attendre deux à trois ans avant de retrouver les chiffres de 2019. Cela est également vrai pour l’ensemble de l’industrie du luxe.»
Reprise confirmée pour l’ultraluxe
Pour Arnaud Cadart, gérant de portefeuilles chez Flornoy & Associés, le luxe s’est en réalité déjà repris. C’est surtout vrai pour les marques les plus désirables du secteur: «Nous avons assisté à un net rebond des ventes au troisième trimestre 2020 chez Louis Vuitton, Christian Dior ou Hermès. Et les scores sont très honorables chez Gucci et Saint Laurent. C’est le créneau des produits de 500 à 5000 euros sur lequel les clients ont cherché à se faire plaisir. Ces produits de luxe ont été une alternative alors que le voyage d’exception ou le dîner au grand restaurant étaient rendus impossibles. On peut également se féliciter du fait que les clientèles occidentales aient pris le relais d’une clientèle touristique asiatique évidemment absente. Pour ces douze prochains mois, nous pouvons nous attendre à une reprise plus marquée du luxe très exclusif.» Si les divers experts ne sont pas forcément d’accord sur l’ampleur de la reprise, tous confirment un net rebond du secteur cette année. C’est aussi le cas de Guia Ricci, expert en luxe au sein du bureau milanais du Boston Consulting Group: «Pour 2021, nous avons révisé nos estimations et nous prévoyons des ventes mondiales de produits de luxe se situant entre +5% et -5% par rapport à 2019.»
Confiance retrouvée grâce aux vaccins
Ces perspectives réjouissantes s’expliquent d’abord par l’arrivée imminente des vaccins contre la Covid-19 aux quatre coins de la planète. Leur rôle sera multiple. Ils devraient, dans un premier temps, éloigner le spectre de nouveaux confinements, tout en relançant ensuite le secteur du tourisme. Un moteur essentiel pour l’industrie du luxe. Mais pas seulement: «Les vaccins rétabliront la confiance envers l’ensemble des acteurs économiques, précise Arthur Jurus. Pour le secteur du luxe, la réouverture des points de ventes physiques et surtout une plus forte mobilité internationale seront déterminants. Les dépenses de consommation de transit représentaient, avant la crise, le second levier de croissance après le e-commerce. En 2020, le nombre de passagers a diminué de 63%. Le potentiel de rebond est important, mais ne se matérialisera qu’au second semestre 2021, en raison des campagnes de vaccination.» Arnaud Cadart ajoute: «Les classes aisées n’ont pas été les plus affectées par la crise sanitaire, mais elles ont besoin d’une certaine visibilité économique pour acheter les produits les plus chers. Les vaccins offrent clairement la lumière au bout du tunnel, surtout qu’ils semblent très efficaces. La clientèle aisée va surtout avoir envie de s’oxygéner après la vaccination et la fin de ce cauchemar. La demande pour du tourisme et de l’hôtellerie de luxe devrait repartir fort, peut-être le nautisme premium également. Ainsi que le luxe très statutaire.»
La Chine toujours plus essentielle
Les achats de produits de luxe en Chine devraient augmenter de 30 à 40% en 2021 par rapport à 2019
Guia Ricci, expert en luxe au sein du Boston Consulting Group
L’autre réalité de l’économie du luxe post-Covid, c’est l’influence grandissante de la Chine: «Économiquement, la Chine sort gagnante de la crise, puisque le pays n’a connu qu’un mois de confinement et son activité s’est déjà normalisée au troisième trimestre, rappelle Arthur Jurus. Financièrement, les flux de capitaux étrangers vers son économie vont s’accumuler pour financer une dette jugée soutenable et offrant des rendements supérieurs aux autres pays développés. Pour le secteur du luxe, cela conduira à accélérer l’enrichissement d’une partie de la population, notamment les nouvelles générations, et à les atteindre plus rapidement par le e-commerce.» Un constat partagé par René Weber: «Pour la première fois, la Chine continentale occupe la première place en ce qui concerne les exportations horlogères suisses, au détriment de Hong Kong qui a perdu de son importance. Cette tendance se poursuivra avec l'ouverture de la Chine à la libre circulation des marchandises, par exemple à Hainan, ce qui permettra aux consommateurs chinois de ne pas avoir à se déplacer hors de Chine pour acheter des produits de luxe. Mais nous espérons toujours que les Chinois reviendront en tant que voyageurs internationaux importants.» Une tendance chiffrée par le Boston Consulting Group et dévoilée par Guia Ricci: «Les achats de produits de luxe à l’intérieur des frontières chinoises devraient augmenter de 30 à 40% en 2021 par rapport à 2019.» Arnaud Cadart précise: «Le rebond de l’économie chinoise est spectaculaire et va donner du pouvoir d’achat à sa population. Celle-ci représente déjà 40% de la demande. Dans quelques années, cela devrait monter à 50%. L’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001 aura au moins fait un secteur européen heureux!»
Redistribution des cartes
Si l’année 2021 s’annonce comme celle de la reprise, elle devrait aussi faire entrer le secteur dans une phase de consolidation majeure. Arthur Jurus en est convaincu: «En 1990, 2000 et 2008, les transactions ont été réduites de moitié. Le marché s’était ensuite normalisé en deux ans. Ce schéma devrait être similaire en 2021. L’industrie du luxe entamera une première phase d’opérations liées aux ventes de faillite ou à la cession forcée d’actifs. Surtout en Europe où près de la moitié des 100 plus grandes entreprises y sont localisées, et où les procédures de faillites ont été suspendues en 2020, ce qui reportera les défaillances à l’an prochain.» Et Arnaud Cadart de conclure: «Les crises accélèrent le creusement des écarts entre les acteurs en bonne santé et les autres. Les trois grandes entreprises françaises, LVMH, Kering et Hermès sont entrées dans la crise en pleine forme. Elles en sortent renforcées. Richemont et Swatch Group devraient se reprendre en 2021 avec une meilleure orientation de l’horlogerie et de la joaillerie très haut de gamme. Les italiennes sont entrées affaiblies dans la crise. A part Moncler et peut-être Prada. Les autres ont eu plus de mal et peuvent être des cibles de LVMH et Kering, voire d’un nouveau prédateur. Elles ne sont pas pour autant exsangues financièrement et peuvent garder leur liberté, avec un contrôle familial. Nous avons vu qu’une entreprise «publique», au sens anglo-saxon du terme, et non contrôlée comme Tiffany, a pu se faire racheter. Burberry pourrait être la prochaine.» Cette année s’annonce donc passionnante pour l’industrie du luxe…
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