Auto & High Tech

«Les collectionneurs achètent leur rêve d’enfant»

Cristina D’Agostino

By Cristina D’Agostino25 novembre 2021

Le marché des ventes aux enchères connaît une croissance spectaculaire ces derniers mois. L’automobile et l’horlogerie attirent les investisseurs, dont le profil a changé. David R. Seyffer Museum Curator chez IWC Shaffhausen et Paul Gaucher Motor Cars Europe Specialist chez Bonhams détaille ces évolutions.

Le rallye de Genève, organisé par l'Automobile Club de Genève a eu lieu en octobre 2021 (DR)

En octobre dernier, le rallye de Genève faisait vibrer la ville et la campagne genevoise, le temps d’un week-end consacré à la passion automobile. Organisé par l’Automobile Club de Genève, il réunissait une vingtaine d’équipages au volant de bolides vintage.

Être collectionneur est une passion qui rappelle celle que l’on vivait enfant, peu importe la voiture. On peut être amateur d’une R5 Turbo2 comme d’une Ferrari

Gregory Driot, fondateur de l'Automobile Club de Genève

Pas de vitesse record au programme, mais de la régularité, le but que les passionnés s’étaient fixés pour sillonner les routes de campagnes. De la régularité et de la fiabilité, c’est aussi ce qui a poussé la marque horlogère IWC Schaffhausen, dont le lien avec le milieu automobile est historique, à soutenir le rallye genevois. Pour Gregory Driot, fondateur du club, il y a quatre ans, grand amateur de sport automobile – une passion héritée de son père, Jean-Paul Driot fondateur avec Alain Prost de E.Dams –, et directeur de l’écurie Nissan E.Dams en Formula E, le lien entre les deux mondes est évident: «Je suis impliqué dans le sport auto depuis longtemps, grâce à mon père. Les membres de l’Automobile club de Genève, ainsi que ceux qui ont participé au rallye de Genève, sont tous de grands passionnés, participent à des courses ou roulent sur circuit, en classique comme en moderne. Cette motivation va bien au-delà du sport auto, il regroupe les codes du luxe, les montres, le design, les bateaux. Être collectionneur est une passion qui rappelle celle que l’on vivait enfant, peu importe la voiture. On peut être amateur d’une R5 Turbo2 comme d’une Ferrari.»

Un croisement de passions qui se retrouve également sur le marché des ventes aux enchères. Deux secteurs qui connaissent une croissance forte ces dernières années, et qui voient leur public rajeunir sensiblement. L’occasion de questionner deux experts et de croiser leur analyse des enjeux, avec David R. Seyffer, Museum Curator chez IWC Shaffhausen et Paul Gaucher, Motor Cars Europe Specialist/Head of Sale Switzerland, chez Bonhams.

Quel est l’état actuel du marché des ventes aux enchères de voitures de collection?

Paul Gaucher, Motor Cars Europe Specialist/Head of Sale Switzerland, chez Bonhams (Cathy Dubuisson)

Paul Gaucher. Le marché est en progression. Entre 80 % et 90 % des lots sont généralement vendus aujourd’hui. Cela démontre que le business est en évolution. Il suit une tendance dictée par une nouvelle génération de clients. Ces acheteurs veulent acquérir des voitures qui les ont fait rêver dans leur enfance. Les youngtimers (des voitures des années 90) ont vraiment le vent en poupe.

David R. Seyffer. Il est très intéressant de constater que sur le marché des enchères de montres, la demande est également très élevée, les prix augmentent sans cesse. Mais ce qui amplifie la valeur d’une montre, c’est son histoire. C’est ce que nous nous efforçons de démontrer dans notre musée IWC. Le modèle seul ne suffit pas. Dans ce sens, nous avons été vraiment impressionnés par le succès de la vente aux enchères de la montre IWC qui avait appartenu à la famille de Monsieur Blümlein, une figure qui a profondément marqué l’histoire de l’horlogerie suisse. Ce modèle 3705 était très connu des collectionneurs de garde-temps IWC. Ce type de succès est impossible à prévoir, car c’est le consommateur qui décide. Pour autant, sur le marché des enchères de montres, c’est aussi une question générationnelle. Les clients veulent les montres dont ils rêvaient lorsqu’ils étaient jeunes. En ce moment, ce sont celles des années 80.

Avec la Montre d’Aviateur Chronographe Édition «Tribute to 3705», IWC Schaffhausen remonte le temps pour rendre hommage à la légendaire Fliegerchronograph en céramique (réf. 3705) datant de 1994. L’original qui a appartenu à Günter Blümlein a été vendu aux enchères récemment. (IWC)

Comment travaillez-vous sur la valeur d’une future montre IWC à collectionner?

David R. Seyffer, Museum Curator chez IWC Shaffhausen (Studio Willen)

D.S. Chez IWC, nous avons une grande communauté de fans qui possèdent une très grande connaissance de nos modèles. Nous interagissons beaucoup, ce qui nous aide à construire nos stratégies, mais on ne peut pas planifier la future valeur patrimoniale d’une montre. Bien sûr, certaines montres retiennent davantage l’attention des spécialistes. Le modèle Ingenieur Gérald Genta 1832 est un parfait exemple, dont le succès tient également à son designer iconique. Elle est autant appréciée qu’une Nautilus ou qu’une Royal Oak. Notre travail est de rendre publique la connaissance de l’histoire d’une montre; travailler sur son prix aux enchères est impossible.

Qui sont les clients qui font partie de cette nouvelle génération amatrice de voitures?

P.G. En ce moment, nous constatons l’arrivée de nouveaux acheteurs d’Asie ou de Russie qui aiment acheter des supercars des années 90. Ce sont des profils totalement différents.

Quelles sont les marques que ces jeunes Chinois aiment acheter?

P.G. Ils apprécient les supercars modernes, des éditions limitées de Lamborghini, de Ferrari ou de Pagani, par exemple. Ils n’ont pas le goût pour des voitures anciennes. Mais de manière plus générale, le marché actuel reste dominé par Ferrari, porté, bien sûr, par les modèles phares comme la 250 GTO. Un exemplaire a été vendu pour 70 millions de dollars récemment. Les Ferrari des années 60 et 70 ont toujours la cote, et dépassent de loin celle des supercars.

Seuls 36 exemplaires de la Ferrari 250 GTO ont été produits (Shutterstock)

Les ventes aux enchères de montres vivent cette même problématique, avec les mêmes marques horlogères «trustant» les podiums, à l’image de Rolex, de Patek Phillippe ou d’Audemars Piguet…

D. S. Bien sûr, ces marques attirent toujours autant les investisseurs. Certains achetant sans même connaître le produit, sans se soucier de l’histoire. Je dirais que notre communauté connaît la valeur d’une IWC, ainsi que son historique. Je ne crois pas que nos collectionneurs fassent partie de ces investisseurs. Notre travail est de fournir le maximum d’information aux maisons de ventes aux enchères pour aider à avoir une meilleure connaissance de la valeur de nos montres. Je dois dire qu’en ce moment, elle augmente et j’en suis très heureux, car cela démontre que nos efforts fondés sur le «faire savoir» portent leurs fruits.

P.G. J’ajouterais que l’exemple récent de la vente aux enchères du modèle Aviateur Chronographe Édition «IWC x Hot Wheels™ Racing Works» par notre maison Bonhams a atteint un excellent résultat. Le prix était estimé à une valeur entre 9000 et 35 000 pounds et il a été vendu 70 000 pounds.

IWC Schaffhausen et Hot WheelsTM célébraient le retour de l’IWC Racing Team au 78ème Members’ Meeting de Goodwood en dévoilant le coffret de collection « IWC x Hot Wheels™ Racing Works ». Le coffret Numéro 1 a été vendu aux enchères par la maison Bonhams. (IWC)

D.S. Oui, c’est vrai! Je suis persuadé que l’histoire qui liait la montre à la voiture a séduit les acheteurs. Dans ce domaine, Bonhams était la maison la plus à même de vendre cette pièce en lien avec le milieu automobile.

Le rallye organisé récemment à Genève a réuni des collectionneurs. Ce genre d’événements est-il aussi une façon de construire de la valeur?

D. S. Avant mes débuts chez IWC, j’ai travaillé chez Mercedes et, à chaque événement, j’étais frappé de voir à quel point les collectionneurs de voitures aimaient aussi montrer ce qu’ils portaient au poignet. Les collectionneurs de ces deux mondes sont les mêmes. Collectionner est une affaire de passion, de plaisir à échanger sur les modèles, les anecdotes de courses, le savoir-faire en matière de restauration. Toutes les initiatives permettant de réunir les deux communautés, comme le rallye qui a eu lieu à Genève, sont bonnes, car elles nourrissent la passion, les rapports humains, le plaisir de se retrouver, de s’amuser. De manière plus générale, c’est tout l’univers d’une course automobile qui permet de valoriser un modèle, que ce soit une voiture ou une montre. Le film Le Mans 66 réalisé il y a deux ans valorise le lifetsyle de cette époque. Cela nourrit l’univers des collectionneurs.

P. G. Bien sûr! À travers ce film, nous rêvons tous d’être Steve McQueen au volant de la Porsche 917. Et tous les détails, y compris la montre, sont intéressants.

Lewis Hamilton, grand champion de Formule Un depuis des années et ambassadeur d’IWC pourrait être la parfaite incarnation d’un mythe qui inspirerait la jeune génération dans quelques années?

D.S. Oui. Lewis Hamilton a vraiment du style, une élégance qui lui est propre. Il assume totalement son succès et la façon de le vivre et de le montrer. C’est très inspirant. Mais ça l’est surtout pour une partie des collectionneurs moins classiques, qui se reconnaissent dans ce type de lifestyle, qui collectionnent des montres comme la Big Pilot d’IWC qui permet de montrer une certaine attitude, un style très assumé. Cela démontre que collectionner des montres aujourd’hui, c’est être inspiré par un personnage, un style de vie. Les clients vont choisir des modèles qui diffèrent des modèles classiques vintage. L’histoire, le storytelling occupera une place toujours plus forte.

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