Faut-il collectionner les voitures électriques ?
Les petrolheads purs et durs s’en méfient et leur moteur silencieux ne séduit pas vraiment. Cependant, les véhicules électriques ont une histoire bien plus riche qu’il n’y paraît. Auront-ils un jour l’honneur de passer les portes des collections automobiles les plus prestigieuses?
1881
invention de la première voiture électrique
100 000 $
la cote actuelle de la Tesla Roadster 1
192 000 $
la cote de la Baker Electric Model W Runabout
Peu le savent, mais au tournant du 20ème siècle l’automobile électrique connaissait un grand succès. Le premier modèle du genre a été présenté par le français Gustave Trouvé - ça ne s’invente pas - à Paris en 1881, soit huit ans avant le lancement par Daimler-Benz de la première voiture dotée d’un moteur à essence. Rapidement, les véhicules électriques envahirent le monde. Les taxis londoniens utilisaient ce mode de propulsion et la part de marché des voitures électriques aux Etats-Unis atteignait les 40%. En 1900, un certain Ferdinand Porsche conçut la première voiture hybride, la Lohner-Porsche Semper Vivus. Un an plus tard, le Belge Camille Jenatzy est le premier à passer la barre des 100 km/h au volant d’une automobile, « La Jamais Contente ». Elle était électrique.
Cependant, les coûts de production bien moins élevés de la voiture à propulsion provoquèrent le déclin de la voiture électrique de première génération, vouée aux oubliettes à l’approche de la Première Guerre Mondiale. Cent ans plus tard, alors que peu se souviennent de cette heure de gloire, la voiture électrique opère un retour en fanfare, poussée par l’onde de choc que provoque le réchauffement climatique. Perçues par beaucoup comme étant impersonnelles et manquant de caractère, parviendront-elles un jour à figurer dans les plus belles collections automobiles?
Les électriques de seconde génération
Retour en 1996, année du lancement par General Motors de la première voiture électrique de l’ère moderne, la EV1. Dotée d’une autonomie de 225 km, elle offrait un concentré de technologie ultra futuriste pour l’époque. Produite jusqu’en 1999 à un peu plus d’un millier d’exemplaires, il était impossible de l’acheter, General Motors ne la proposant qu’à travers un contrat de location de trois ans. Et lorsque le constructeur décida d’abandonner le projet - il perdait 80’000 dollars par voiture - la quasi-totalité des exemplaires produits ont été récupérés et détruits. Seules quelques dizaines d’EV1 furent sauvegardées pour être offertes à des universités ou à des musées. L’histoire aurait pu s’arrêter là si une poignée de locataires n’avaient pas décidé de sauver leur EV1 en refusant de la rendre à la fin de leur leasing, mentant à General Motors en prétendant la voiture volée ou détruite. Aujourd’hui, il se murmure que les EV1 s’échangent sous le manteau un peu plus d’un demi-million de dollars. L’animateur TV vedette Jay Leno en aurait d’ailleurs une dans son garage.
Parmi les autres exemples de modèles papables figurent évidemment ceux de la marque Tesla. Lorsque Martin Eberhard et Marc Tarpenning fondèrent la marque en 2003 - non, contrairement à la croyance générale, la société n'a pas été créée par le fantasque Elon Musk - ils avaient en tête de développer et commercialiser la première voiture de sport électrique de seconde génération. Chose faite en 2008 avec le lancement de la Roadster, grâce entre autres à la fourniture par Lotus des coques d’Elise servant de base à sa construction. Produite jusqu’en 2012 à un peu plus de 2’600 exemplaires, la Roadster 1 se profile peu à peu comme la candidate au poste de première voiture électrique vraiment collector. En début d’année, sa cote a progressivement augmenté pour se rapprocher des 100'000 dollars. Il faut dire qu’entretemps elle a beaucoup fait parler d’elle, Elon Musk en ayant propulsé un exemplaire dans l’espace, décapoté et avec un faux astronaute à son volant, grâce à l’une de ses fusées Space X.
Contemporaine de Tesla, une autre marque de voitures électriques voyait le jour en Californie : Fisker. Fondée par le designer danois Henrik Fisker et comptant momentanément l’acteur Leonardo Di Caprio comme l’un des investisseurs, l’entreprise lança sur le marché son révolutionnaire modèle Karma en 2010. Cette voiture électrique/hybride était dotée d’un moteur à combustion d’appoint, un « range extender », technologie reprise plus tard par BMW pour sa i3. Elle arborait des panneaux solaires sur le toit et le bois décorant son luxueux intérieur provenait du recyclage d’arbres morts lors de feux de forêt. La compagnie fit faillite dans des conditions rocambolesques en 2012, mais dix ans plus tard la Karma a toujours fière allure. Malheureusement, très en avance sur son temps, elle manquait de mise au point et s’avérait peu fiable.
Les mieux cotées
Pourquoi, dès lors, acquérir et maintenir une voiture dont la technologie n’est pas aboutie et dont les pièces se font rares ? L’obsolescence est bien l’obstacle premier rendant difficile l’accès des voitures électriques au monde de la collection. L’entretien d’une voiture vintage à moteur à explosion est relativement simple. Les pièces sont faciles à trouver ou à refabriquer et leur mécanique est souvent basique. En revanche, les véhicules électriques posent beaucoup plus de problèmes. Sur ce plan, il serait plus judicieux de les comparer à un objet informatique plutôt qu’à une automobile : ils doivent faire face à l’obsolescence de leur technologie. Comment vieillira leur électronique embarquée ou leur système d’exploitation ? Pour combien de temps encore leur type de batteries sera disponible lorsqu’il s’agira de les remplacer ? Contrairement aux voitures traditionnelles où nombre de petits fournisseurs peuvent se substituer aux constructeurs lorsque ceux-ci cessent de produire les pièces de rechange d’un modèle donné, il est peu probable que ce business model soit transposable. Les investissements nécessaires à la fabrication des batteries équipant les véhicules électriques s’avèrent colossaux. De fait, cette donnée limitera sans doute l’envie de posséder une voiture électrique ancienne, rendue inutilisable car obsolète.
Malgré cet inconvénient, quelques rares autres exemples pourraient en théorie prétendre à entrer dans le cénacle des « collectionnables », outre la General Motors et la Tesla précitées. Parmi ceux-ci, citons la Mercedes SLS AMG Electric Drive de 2013 ou l’Audi R8 e-tron de 2015, toutes deux produites à moins de 100 exemplaires. Au pinacle de la technologie alors disponible, l’Audi était vendue neuve à un million d’euros pièce. Autres papables, les très exclusives supercars du constructeur croate Rimac. Au-delà de cette courte liste, les élues seront sans doute rares, condamnées à un vieillissement prématuré.
Et qu’en est-il de la cote des voitures électriques dites de première génération ? En 2019, plusieurs de ces voitures sont réapparues lors de ventes aux enchères. Ainsi, une Milburn Electric Model 27 Brougham changea de mains pour 63’250 dollars et une Baker Electric Model W Runabout atteignit les 192'000 dollars. Il y a fort à parier qu’au vu de la médiatisation actuelle autour de la mobilité douce, la cote de ses ancêtres pionnières se maintienne, voir augmente quelque peu.
Changement de bobine
Partie de Californie, une nouvelle mode prend rapidement de l’ampleur : l’électrification de véritables voitures historiques. Un phénomène initié par la société Zelectric Motors qui, la première, se mit à convertir d’anciennes VW Coccinelles à la propulsion électrique. S’il le souhaite, le propriétaire peut récupérer dans une grande boîte son ancien moteur et toutes les pièces d’origine de manière à pouvoir inverser la transformation si nécessaire, par exemple en cas de revente du véhicule. Hérésie pour certains collectionneurs, ce marché connait un grand essor, à tel point que les constructeurs eux-mêmes y viennent, aidés en cela par des normes d’émissions de co2 de plus en plus drastiques. Aston Martin se déclare désormais disposé à permettre à ses clients de continuer à entrer dans les villes « vertes » au volant de leur voiture ancienne en la convertissant à l’énergie verte. Jaguar va encore plus loin en commercialisant une réédition baptisée Zero de sa légendaire Type-E à propulsion électrique. Le Prince Harry aurait semble-t-il craqué.
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