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Le business des red carpets se remettra-t-il du Covid?

Isabelle Campone

By Isabelle Campone08 octobre 2020

Depuis l’arrêt des cérémonies, le business des placements de produits sur tapis rouge est à l’arrêt. Quand l’industrie du glamour redémarrera, c’est une révolution sociale qui attend les marques de luxe, menée par un activisme nouveau.

Les tapis rouge représentent chaque année un business colossal pour les marques de luxe (Shutterstock)

On s’y attendait. Le 20 septembre a eu lieu l’édition la plus étrange des Emmy Awards. Un maître de cérémonie quasiment seul sur scène, des récompenses via Zoom et évidemment pas de public. Ni de red carpet, moment pourtant essentiel à la magie de ces soirées où les stars sublimées par les couturiers et les bijoutiers rivalisent de glamour. Essentiel aussi pour ces maisons, une apparition réussie est la plus spectaculaire et la plus durable des publicités. On se souvient de la robe rose Ralph Lauren que Gwyneth Paltrow portait lorsqu’elle a gagné l’Oscar, de Marion Cotillard en Gaultier pour le sien ou de la robe transparente de Beyoncé créée par Givenchy pour le Met Gala.

Cate Blanchett avait décidé cette année, à la Mostra de Venise, de porter des tenues déjà vues sur d'autres tapis rouge. Ici lors de l'édition 2018 de la Mostra (Shutterstock)

Lorsque les organisateurs ont annoncé le dress code pour cette année, la perplexité a vite cédé le pas à la créativité. «Come as you are but make an effort». Si c’est un pyjama, mettez le plus beau. Heureusement, la plupart des nommés ont sorti le grand jeu, même pour une soirée confinée avec leur équipe ou seuls dans leur salon. Jennifer Aniston, une des rares sur scène, était en Dior vintage, sobre. En ces temps de crise, qu’elle soit sanitaire, sociale, économique ou politique, la robe est un message. Moins de bling, plus de sens. Regina King a porté un costume Schiaparelli avec un tshirt à l’effigie de Breonna Taylor et Sandra Oh un bomber où était brodés en coréen «Black lives are precious».

Quand la pandémie a frappé, mon équipe est passée de cinq personnes travaillant «comme dix» à zéro.

Elizabeth Stewart, styliste à Hollywood

Quant à Zendaya, déjà icône d’un style avant-gardiste, elle était éblouissante en Christopher John Rogers, un jeune designer afro-américain, et bijoux Bulgari dont elle est ambassadrice. Des messages forts, comme au festival de Venise juste avant, où Tilda Swinton a fait des masques obligatoires de fabuleux accessoires, manière de dire «Portez les vôtres». Cate Blanchett, la présidente du jury, disait autre chose avec ses tenues déjà portées à d’autres occasions: le luxe n’est pas un bien jetable.

Le business des tapis rouge à l’arrêt

L’activisme sur tapis rouge n’est pas nouveau, mais en ces temps de pandémie et de mouvement pour la justice raciale, il est impératif. Sans que la mode et le glamour ne soient gommés pour autant. Un soulagement pour beaucoup, alors que plus une star n’a foulé un red carpet depuis six mois et que l’on ne sait d’ailleurs quand ceux-ci reviendront. Les marques de luxe, comme des dizaines de stylistes, maquilleurs, coiffeurs, et autres métiers ont besoin de ces événements où chaque robe, chaussure ou collier est désormais disséqué à l’infini et dans le monde entier. Un système bien huilé qu’il n’a fallu que quelques jours pour mettre à terre. «Quand la pandémie a frappé, mon équipe est passée de cinq personnes travaillant «comme dix» à zéro, et d’un coup» nous confie Elizabeth Stewart, la styliste la plus prestigieuse de Hollywood, qui habille Cate Blanchett.

Le tapis rouge, un outil publicitaire

Cameron Silver, propriétaire de Decades, la mythique boutique de mode vintage à Los Angeles (DR)

Ce système s’est véritablement installé aux débuts d’internet, lorsque les célébrités ont commencé à être épiées et jugées pour leur style en permanence. Elles ont alors engagé des stylistes pour les habiller et façonner leur image. «Les marques ont alors compris qu’il y avait là un outil publicitaire, et ont commencé à développer les rôles d’ambassadrices» analyse Cameron Silver, pape du vintage avec sa boutique Decades et auteur de Decades: A Century of Fashion . «Ces relations existaient déjà auparavant, comme entre Givenchy et Audrey Hepburn, mais c’est une industrie aujourd’hui et plus les contrats deviennent conséquents, plus les stars s’engagent à ne porter que cette seule marque et jamais deux fois la même chose». Au point que le red carpet a commencé à perdre de son charme. Savoir d’emblée qu’une actrice va forcément porter telle marque et que telles stylistes sont payées des fortunes par les marques pour faire porter une robe à leurs clientes était-il devenu lassant ? «Non, c’est bien exagéré, commente Cameron Silver, une actrice ne portera jamais quelque chose qu’elle n’aime pas. L’aspect commercial de la relation avec les marques n’est pas si malsain qu’on le dit, c’est beaucoup plus organique.»

La boutique Decades de Cameron Silver (DR)

L’activisme sur tapis rouge

Racisme, solidarité, durabilité, le tapis rouge ira désormais peut-être plus loin que la mode, définissant une conversation publique plus que des tendances. «Il y avait déjà un mouvement mais les marques n’étaient pas prêtes, souligne Cameron Silver. Tout était devenu tellement éphémère, presque jetable. C’est absurde, les gens ne sont pas choqués que les stars s’affichent dans des robes hors de prix, mais ils veulent les voir faire comme tout le monde et porter leurs vêtements plusieurs fois».

Je crois que dans notre contexte global, il est essentiel d’utiliser de telles plateformes en ayant une mission. Et puis la vie de ces vêtements sera prolongée, peut-être pour plusieurs générations

Elizabeth Stewart, styliste à Hollywodd

C’est désormais le principe qui guide le travail d’Elizabeth Stewart. «Mon collaborateur Jordan Grossman et moi avons été si désemparés quand tout s’est arrêté, nous dit-elle, que nous avons décidé de faire ce que l’on pouvait et nous avons lancé Chic-Relief.com, qui revend de la mode de luxe au profit d’associations. Nous avons levé 100'000 dollars pour Direct Relief en mai!» Nouveau défi: réunir le même montant pour Facing History et UN Women en mettant aux enchères les looks du Festival de Venise. Dont les fameuses tenues de Cate Blanchett. «Je crois que dans notre contexte global, il est essentiel d’utiliser de telles plateformes en ayant une mission. Et puis la vie de ces vêtements sera prolongée, peut-être pour plusieurs générations».

Les mythiques tenues des stars mises aux enchères pour des actions caritatives telles que UN Women et Facing History (DR)

Durabilité, justice sociale et besoin de sécurité définiront 2020. La mode est un miroir de notre société et l’industrie du luxe ne peut pas passer à côté de ce tournant. Cependant les tapis rouges ne sont pas près de disparaître, même s’ils restent virtuels pour quelque temps. «Les gens aimeront toujours les belles choses, la magie des stars de cinéma, sourit Cameron Silver, nous voulons voir de belles robes et les actrices veulent les porter». Si le modèle de la promotion mutuelle ne changera sans doute pas beaucoup, les collaborations doivent évoluer. Une robe spectaculaire fera toujours son effet, mais c’est son lien avec le monde dans lequel on vit qui sera jugé en retour sur tapis rouges. Elizabeth Stewart a de l’espoir: «Bien sûr le rêve et l’enchantement des tapis rouges est une manière fantastique d’échapper un instant à nos soucis, mais ceux-ci ont désormais besoin de plus de sens. J’y travaille !»

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