Stratégie

Laurent Lecamp. Un nouveau souffle pour Montblanc

Nommé à la tête de la division montres de Montblanc en janvier 2021, Laurent Lecamp s’est donné six à huit mois pour réussir à insuffler une nouvelle direction à la marque.

Laurent Lecamp a été nommé directeur général des montres Montblanc en janvier 2021 (DR)

Laurent Lecamp semble avoir mille vies. Et la capacité de les incarner toutes avec la même intensité. Il se dit endurant. Et curieux. Nommé à la tête de la division montres de Montblanc en janvier 2021, sa carrière semble pointer vers une certaine aptitude à la maîtrise et à la précision. Il enchaîne une carrière dans le champagne, l’horlogerie, se lance dans l’entrepreneuriat en co-fondant la marque de montres Cyrus – toujours existante – passe une formation de gemmologie, devient vice-président des ventes chez Carl F. Bucherer, rédige quatre ouvrages dont le traité «C’était comment dans 1000 ans ?», apprend le russe, et court les marathons en conditions extrême, dont la très exigeante course sur le lac Baïkal, à moins 40 degrés.

Laurent Lecamp a autant fait les titres du National Geographic que ceux des médias économiques. Il s’est donné six à huit mois pour réussir à insuffler une nouvelle direction à la marque de montres Montblanc. Sa manie est de tout vouloir gérer, de tout comprendre. Si l’endurance est sa nature, faire perdurer une stratégie dans le temps est son objectif. Rencontre avec un hyperactif de l’horlogerie.

Le siège de la marque Montblanc et ses ateliers horlogers au Locle (DR)

Vous avez été nommé à la direction de la division montres de Montblanc en janvier 2021. Quelles ont été vos premières actions?

Lire tout ce que je pouvais trouver sur Montblanc. Plonger dans l’histoire, pour en comprendre les évolutions et pouvoir en extraire les stratégies que je mets en place aujourd’hui, c’est un processus que j’aime suivre. En parallèle de cette immersion dans les racines de la marque, j’ai plongé dans l’histoire de chacun des collaborateurs. En échangeant avec eux, longuement. J’ai eu la chance de beaucoup voyager dans ma carrière, dans plus de 60 pays. Et à chaque fois, j’ai constaté la même frustration, le même manque de communication et de valorisation. En arrivant chez Montblanc, j’ai souhaité que tous les collaborateurs, quelle que soit leur position dans la société, soient informés, en même temps, sur tous les sujets, de la même manière. Mixer les équipes, écouter les avis de tous, c’est primordial pour l’engagement et pour dessiner des perspectives qui soient portées par tous.

Les ateliers horlogers de la manufacture Montblanc Villeret (DR)

Depuis janvier, quelles sont vos priorités et quand allons-nous voir leurs effets se déployer?

J’ai identifié trois éléments clés à insuffler: un storytelling fort sur chaque produit pour capter suffisamment l’attention et la curiosité de l’interlocuteur. Apporter beaucoup de valeur perçue à la montre et, troisième élément, amener de la différenciation. Les nouveautés d’avril 2022 vous donneront réellement la dimension de ces évolutions.

Ces trois qualités n’étaient-elles pas présentes à vos yeux jusqu’à maintenant?

Beaucoup d’éléments étaient présents, mais je veux aller plus loin. Si je prends l’exemple de la montre Montblanc Gobi desert, elle ne racontait pas assez d'histoires. En arrivant à mon poste, j’ai commandé trois livres sur Reinhold Messner, aujourd’hui ambassadeur de la marque, pour comprendre le personnage. Je l’ai rencontré, j’ai tout lu sur la Mongolie, sur la symbolique de la rose des vents, sur la différence entre tous les déserts du monde. Le sujet doit être maîtrisé pour que le storytelling devienne fluide et évident. J’ai voulu connaître toutes les couleurs que Messner avait vues avec ses propres yeux dans le désert de Gobi, pour mieux construire un univers que l’on parcourrait comme un livre, par chapitre. La couleur, la matière… Mon but est d’amener de l’information et de l’émotion.

Le modèle Montblanc 1858 Geosphere (DR)

Ces trois données feront-elles le succès de Montblanc?

Les clés de la réussite? Ça n’existe pas vraiment. Il n’y a pas de vérité indépendamment de celui qui la dit à un instant T. Par contre, je crois beaucoup dans l’émotionnel. Parler dans le cœur des gens avec honnêteté, tout en se montrant sous son meilleur jour. On en revient aux bases du storytelling. La grande difficulté, c’est de le rendre immuable, que l’histoire liée au produit soit encore racontée dans vingt ans. Pour la trouver, il faut capitaliser sur les racines de la marque et beaucoup écouter. Les collectionneurs, les horlogers…

Quels sont alors les fondamentaux de Monblanc qui rendront cette histoire immuable?

Le lieu, Villeret, et ses montagnes en «V». Et bien sûr ses collaborateurs, ses talents, les éléments communs des discours. Avoir un œil neuf sur les fondamentaux permet aujourd’hui d’innover.

Est-ce votre passé d’entrepreneur qui vous donne ce réflexe de l’écoute?

C’est l’écoute et surtout la curiosité. Enchaîner les formations, apprendre de nouvelles langues, ça m’a poussé au contact de nouveaux univers. L’œnologie, l’horlogerie, la gemmologie m’ont passionné, tout comme l’apprentissage de langues. J’ai appris le russe, pendant dix ans, en le perfectionnant chaque été sur place. Je suis convaincu que la curiosité est le moteur de la vie. La manière de l’aborder et les croyances que l’on y met génèrent alors l’énergie pour la transformer.

C’est cette énergie que vous allez chercher lorsque vous affrontez les marathons de l’extrême?

Laurent Lecamp et son coéquipier Vladimir Voloshin sur le lac Baïkal en 2018 lors du marathon sur glace (© PPR/Carl F. Bucherer)

Oui. La course sur le lac Baïkal a été une expérience indescriptible en 2019. La foi dans ses forces, mais aussi dans les énergies de la nature qui nous entourent, m’a permis de transcender les blessures. J’ai couru ce marathon à des températures extrêmes, à moins 45 degrés, et je le dois aussi à Vladimir, mon coéquipier, avec qui nous avons terminé à la 28e position. C’est un véritable champion, un recordman qui court dix triathlons en dix jours… il m’a appris à profiter de la nature environnante, à lever le nez de mon chronomètre. Et à vivre pleinement la course. À embrasser les éléments. D’ailleurs, directement après avoir franchi la ligne d’arrivée, et pourtant épuisé par la course, il m’a emmené plonger dans les eaux gelées du lac Baïkal. Et malgré la fatigue, voir les pyramides de glaces inversées qui se dessinaient sous la surface était fascinant. Alors, quand je suis arrivé chez Montblanc, que j’ai découvert ce lien que possède la marque avec les glaciers, le Montblanc, les aventuriers, cela a été une révélation de plus.

Comment décririez-vous une montre Montblanc?

C’est un produit très émotionnel, surtout depuis le rachat de la manufacture Villeret. Aujourd’hui, Montblanc mérite d’être connue pour la haute qualité de son savoir-faire. Elle possède une très forte légitimité. Il ne faut pas oublier que la manufacture n’a jamais cessé de produire des mouvements depuis 1858. Et je veux mettre en place des éléments différenciants qui la valoriseront et qui persisteront encore dans dix ou vingt ans. Mais il faut pour cela également renforcer le lien entre la marque Montblanc et les montres.

Quelle est votre force?

Je ne suis pas là pour révolutionner, mais pour apporter ce qui me constitue, un côté très structuré que j’ai pu appréhender chez Carl F. Bucherer, et un côté agile et inventif qui me vient de mon passé d’entrepreneur. Je connais bien les détaillants, j’ai travaillé dans des boutiques, je connais la distribution et les clients finaux dans le monde entier. Ma force est de connaître les marchés et ce qu’il faut créer pour les nourrir.

Quels sont les objectifs fixés?

Les objectifs sont clairs, avec la volonté d’atteindre des chiffres de croissance élevés. Mais c’est avec les équipes que nous réussirons. Nous n’avons dû nous séparer d’aucun collaborateur pendant cette période difficile, et j’en suis heureux. Je pense que les premiers succès devraient être tangibles d’ici à la fin de 2022. Les montres qui raconteront de vraies histoires engageant un émotionnel fort seront les grandes victorieuses dans les années à venir.

Allez-vous également améliorer le service à la clientèle?

Oui, je veux m’engager pour que tout soit mis en œuvre pour le client, quitte à moi-même le rappeler et régler son souci. La plupart des managers ont peur du service après-vente, alors qu’il est formateur. C’est un défi excitant. Quand on traite très bien un SAV, et que le client ressort pleinement satisfait de cette expérience, il devient un fan et un ambassadeur de la marque. Mais je ne veux pas tout bousculer, aller vite. Comme disent les Japonais : «Pour aller vite, prends le chemin le plus long.»

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