Les foires d’art souffrent. La pandémie aura eu raison d’Art Basel à Bâle, tout comme son édition de Hong Kong en mars dernier. Pour Art Basel Miami, prévue à l'automne, aucune certitude. Remplacées par le numérique, et donc une mise en valeur des œuvres en ligne, la formule peut séduire.
Le débat récurrent qui agite les divers secteurs de l’économie en ces mois de pandémie est de savoir si le numérique peut remplacer le réel. Dans le monde de l’art, la demande est grande. Le format digital de Bâle, particulièrement pointu, a permis à un large public de se plonger dans son univers artistique. Les interlocuteurs les plus prestigieux du secteur ont pu s’y exprimer, grâce à un large éventail de rencontres entre galeristes, célèbres collectionneurs, et artistes réputés. Art Basel Hong Kong, qui a eu valeur de test, a réuni 3000 œuvres d'une valeur de 220 millions de dollars et 250'000 visiteurs virtuels. Et les ventes? Elles seraient, dit-on, de l'ordre de 80 millions de dollars. Pour Art Basel Bâle, c’est le travail de 282 galeries provenant de 35 pays qu’il a fallu valoriser.
Et au-delà de ces conférences, il faut saluer la possibilité de voir chaque travail en détail. En voici quelques exemples: le galeriste Stefan Von Bartha s'est entretenu avec Jakob Fender de Superflex. Il a également été possible de suivre des performances live, comme celle de l'Argentin David Lamelas, intitulée Time, revisitée après 50 ans, en streaming. Une expérience ambitieuse qui questionnait le thème au combien actuel de la subjectivité et le concept du temps. De nombreuses visites, sur Zoom, ont pu révéler des œuvres monumentales, comme celles des Unlimited Viewing Rooms préférées du conservateur Giovanni Carmine. Brian Boucher, célèbre journaliste du secteur, a, pour sa part, expliqué, dans une conversation, comment bien acheter en ligne, citant le grand collectionneur péruvien, Carlos Marsano: «Collectionner, c'est se connecter.»
Le digital, un soutien solide aux galeries
Il n'y a pas de limites à ce qui a été proposé dans la nouvelle Bâle en ligne, que ce soit dans la sphère économique ou esthétique. Le directeur de la foire, Marc Spiegler, a parlé d'une immense renaissance numérique: «Nous savons que la plate-forme numérique ne peut pas reproduire entièrement ce que nos expositions physiques offrent, mais nous espérons qu'elle apportera un soutien solide à nos galeries et à leurs artistes, alors que le monde de l'art continue à naviguer sur des eaux agitées.»
Illustrées ci-dessus, les Art Basel Online viewing rooms en Juin 2020, entre présentations d’œuvres de galeries et conversations via zoom (Art Basel)
Environ 4000 œuvres ont pu être admirées en détail, accompagnées de l’histoire de chacune, et surtout notifiées de leur prix, une grande nouveauté. La valeur totale des œuvres? 740 millions de dollars, dont la moins chère affichait 500 dollars et la plus onéreuse 10 millions de dollars. Parmi les ventes importantes - car sur le web tout se sait - celle de la galerie de David Zwirner pour «Balloon» de Jeff Koons pour 8 millions de dollars; celle de Keith Haring à la Gladstone Gallery a été achetée 4,75 millions de dollars ou encore ce tableau de Mark Bradford de Hauser & Wirth 5 millions de dollars. Parmi les conversations modérées par la journaliste Melanie Gerlis du Financial Times, l'impact du Covid-19 sur l'art ne pouvait manquer, afin de comprendre la tendance d'un secteur qui, entre l'art et les antiquités, avait totalisé environ 64 milliards de dollars en 2019, légèrement en baisse par rapport au 67,4 milliards en 2018.
Le rapport Art Market 2020 de Art Basel et UBS, réalisée par la journaliste Clare McAndrew, montre qu'en 2019, le volume des ventes a augmenté de 2%, le nombre de transactions atteignant 40,5 millions, le plus haut niveau de ces dix dernières années. Un bémol pourtant: s’il y eu davantage de ventes, les œuvres étaient moins chères en moyenne.
Les ventes aux enchères ont, elles, contribué à hauteur de 42 %, atteignant 24,2 milliards de dollars, tandis que les foires ont atteint 16,6 milliards de dollars. Le segment des œuvres vendues pour plus de 10 millions de dollars a diminué, tandis que les ventes en ligne étaient estimées à environ 5,9 milliards de dollars, les nouveaux clients et la génération des Millenials HNWI achetant en ligne.
Les opportunités du numérique
Aujourd’hui, si la première partie de l'année a été difficile pour tous les acteurs, y compris pour les grands commissaires-priseurs, tous savent désormais comment préparer de nouvelles stratégies, des formats aux ventes privées, en se concentrant sur les opportunités numériques.
La première vente témoin de la nouvelle ère post-covid a été celle de Sotheby’s le 29 juin dernier, orchestrée à distance depuis Londres par Olivier Barker et totalisant des ventes à hauteur de 363 millions de dollars. Le lot le plus cher de la soirée a été le triptyque de Francis Bacon inspiré par Oreste d'Eschyle pour 84,5 millions de dollars ; les 18 lots du magnat Ginny Williams ont rapporté à eux seuls 65,5 millions de dollars ; à noter également la vente du White Brushstroke I de Roy Lichtenstein pour 27 millions de dollars, et une sculpture de Donald Judd pour 9,8 millions de dollars. Des signes encourageants si l'on considère la nouvelle normalité post-Covid, mais loin de rejoindre les réalités passées, où une seule vente chez Sotheby's en mai 2019 dépassait les 300 millions de dollars.
Un marché qui évolue rapidement et à des vitesses multiples. Par exemple, Wannenes Art Auction 2020 a déjà relayés des chiffres importants explique Guido Wannenes, PDG de la maison de ventes aux enchères: «Nous avons enregistré +66% du chiffre d'affaires total au premier trimestre et je pense que le marché est anticyclique. Ces derniers mois nous avons réalisé des ventes aux enchères avec des peintures anciennes et du 19ème siècle, des montres, des bijoux, du design. Actuellement, le marché est particulièrement riche en opportunités. Nous sommes également habitués à travailler avec le numérique, et le Covid a accéléré un processus déjà en cours.»
Mis à part l’art, Wannenes se concentre également sur les ventes aux enchères de voitures et de vins. Un marché en pleine expansion. Il poursuit: «Ils deviennent des segments importants. Sur celui de la voiture, les collectionneurs recherchent l'unicité, comme par exemple l'Alfa Romeo 8C, un modèle unique. Les vins au contraire touchent surtout la clientèle orientale, qui apprécie les vins français, mais dont l’intérêt va croissant sur le marché italien. Un investissement en vin est toujours intéressant et agréable, car s’il ne vous satisfait pas, vous pouvez toujours le boire (rire). Plus sérieusement, il faut acheter par passion, l'investissement vient plus tard. Coco Chanel disait que le luxe est un besoin qui commence là où la nécessité s'arrête. Acheter un objet auquel on tient procure du bonheur. Cette sensation n’est pas quantifiable, mais elle est fondamentale dans les moments de grande incertitude actuelle.»
Comment le marché de l'art va-t-il réagir en 2020? Deux questions à Barbara Tagliaferri, Deloitte
Il est difficile aujourd'hui de comprendre comment le marché de l'art va réagir en 2020, avec des foires virtuelles, comme Art Basel, riches en informations, mais où manque la magie du contact physique avec l'œuvre et les visiteurs, ce monde étant surtout fait de relationnel, et non seulement de connexion.
La question a été posée à Barbara Tagliaferri, coordinatrice Art&Finance de Deloitte pour l'Italie. Elle nous livre ces réponses dans une interview exclusive.
Qu'avez-vous remarqué sur le marché de l'art pendant le Covid?
Le marché de l'art s'est ouvert au public de manière très généreuse, en mettant tout en ligne, avec une surabondance d'offres. Nous avons remarqué que le marché en ligne a surtout touché le milieu de gamme des investisseurs qui recherchaient de l'art accessible. Certes, le public s'est élargi ces derniers mois, l'art est devenu plus démocratique, mais tout cela n'a pas réussi à compenser les pertes dues au lockdown. Les foires d’art ont été annulées en nombre et il faut le rappeler, c'est un secteur qui vit de moments de discussions, de rencontre, d’échanges, d’interaction émotionnelle avec l’oeuvre, c’est ce qui contribue à animer le marché.
Comment pensez-vous que le marché réagira en 2020?
Comme il s'agit d'une nouvelle crise et qu'elle est complètement différente des précédentes, il est difficile de faire des prévisions. Si l'on analyse les premiers mois, les ventes aux enchères en ligne ont augmenté, mais le chiffre d'affaires total a diminué. La technologie va jouer un rôle de plus en plus important, nous l’avons d’ailleurs remarqué sur les ArtTech, ces nouvelles réalités qui opèrent dans le numérique et qui allient l'art et la technologie; celles de la première génération étaient impliquées dans le commerce électronique, les ventes en ligne. Mais aujourd’hui, elles s’impliquent dans la traçabilité, l'authenticité, l'origine de l'œuvre, pour une plus grande transparence, devenant de plus en plus importantes. Quant aux ventes aux enchères, le rapport Pi-eX souligne que les ventes en ligne de juin ont représenté 46 % des ventes prévues, mais seulement 6 % du chiffre d'affaires, données qui excluent les ventes privées, où les œuvres les plus précieuses ont probablement été échangées. Je pense que le contexte économique mondial négatif conduira le marché de l'art vers un plus grand équilibre, et une plus grande durabilité; je pense aussi à un rôle éducatif de l'art dans la société, je me réfère à ce qui a été fait aux Etats-Unis pendant la crise de 1929, au New Deal de Roosevelt et aux investissements dans l'art public. On repensera la valeur de l'art, en passant de la mode à la qualité; sans exclure l'engagement de particuliers dans l'art public avec des fondations.
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