«La Monaco va battre un record historique à New York»
Frédéric Arnault, jeune patron de la marque TAG Heuer, révèle pourquoi la vente de la dernière Monaco ayant appartenu au légendaire acteur Steve McQueen, le 12 décembre prochain à New York par Phillips, en association avec Bacs & Russo est un élément important de sa stratégie de valorisation de la marque.
Frédéric Arnault, 25 ans, nommé il y a cinq mois à la tête de TAG Heuer (1860), marque horlogère la plus ancienne du géant LVMH fondé par son père Bernard Arnault, est un homme à la parole rare. Se définissant lui-même «discret avec les médias, sauf sur les bons sujets», l’occasion de la vente aux enchères de la Monaco, l’une des six montres du set utilisée par Steve McQueen lors du tournage du légendaire film Le Mans (1971) était suffisamment rare pour qu’il sorte de sa réserve. Hasard des circonstances, c’est à l’hôtel La Réserve près de Genève, qu’il nous reçoit pour une interview, en marge des Geneva Watch Auction XII.
Le 12 décembre prochain, à New York, la vente «Racing Pulse» offrira aux enchères l’une des montres les plus mythiques de TAG Heuer. Qu’attendez-vous de cet événement?
Elle a une importance historique plus que stratégique. Nous n’avons pas choisi la mise en vente de cette montre et nous ne dirigeons pas la vente. Si nous avions pu choisir, nous aurions retardé sa vente de quelques années, car nous sommes persuadés que d’ici cinq ans, sa valeur sera bien au-delà du prix qu’elle pourrait atteindre en décembre prochain. Mais cela nous permet de raconter notre histoire riche de 160 ans. Et de rappeler l’histoire de ce modèle né en 1969.
Tout de même, l’année 2020 a été pauvre en événements marquants dans l’industrie du luxe. Cette vente tombe plutôt bien pour vous…
A priori les ventes aux enchères continuent de susciter un engouement important sur le digital. Et les collectionneurs sont toujours prêts à acheter des pièces exceptionnelles comme celle-ci. La dernière vente aux enchères qui concernait l’une des six Monaco ayant servis au tournage du film était en 2012. Ces occasions sont rares.
Avez-vous essayé de négocier avec le propriétaire pour retarder la vente?
Non. Nous savions que son propriétaire Haig Alltounian, le mécanicien de Steve McQueen, présent lors du tournage du film Le Mans, sorti en 1971 souhaitait la vendre. Nous sommes en contact avec lui, mais je n’ai malheureusement pas encore pu le rencontrer à cause de la pandémie. L’histoire de cette montre est incroyable. A l’époque, le rôle de mécanicien était crucial, car les voitures étaient plus dangereuses qu’aujourd’hui. Celle que Steve McQueen conduisait dans Le Mans était une Porsche 917, considérée comme le plus périlleux des bolides. Steve la conduisait lui-même à des allures folles. A la fin du tournage, l’acteur a souhaité lui offrir la montre en guise de remerciement. Au dos, McQueen avait fait graver le nom de Haig Alltounian. Et dès lors, il l’a précieusement gardée. C’est comme si elle nous arrivait directement des mains de l’acteur.
Le prix de l’estimation n’est pas public. Qu’en espérez-vous? Battre le précédent record de la Monaco adjugée 800'000 dollars?
Nous pensons que cette pièce va dépasser ce record, car c’est la dernière encore en vente sur le marché et elle est très rare. De plus, l’engouement pour les pièces vintage a explosé depuis 2012. Une montre riche d’une histoire incroyable, n’ayant appartenu qu’à un seul propriétaire et en parfait état de conservation nous laisse croire que le record a de bonnes chances d’être dépassé...
Connaissez-vous les propriétaires des cinq autres Monaco faisant partie du même set?
TAG Heuer en possède deux, actuellement exposées au musée: la première acquise en 2010 et la deuxième en 2017. Deux autres Monaco appartiennent à un collectionneur américain, tout comme la dernière, également acquise par un client américain.
Etes-vous intéressé par l’acquisition de cette pièce?
Nous serons présents lors de la vente, elle est bien sûr de grand intérêt pour le musée. Nous n’avons pas encore décidé si nous allions nous positionner ouvertement. C’est possible.
Avez-vous un budget maximum?
Bien sûr, nous avons un budget maximum. Nous déciderons un peu avant la vente.
Espérez-vous séduire de nouvelles audiences avec cette vente?
Oui. Il y a bien sûr un certain nombre d’acquéreurs potentiels, fans de Heuer. La Monaco est la première pièce dans la quelle le Calibre 11 est sorti, un mouvement chronographe automatique. Les collectionneurs de Porsche seront également intéressés. Nous sommes d’ailleurs en train de nous rapprocher fortement de la marque automobile allemande, nous aurons des annonces dans ce sens dans quelques mois. Et les fans de cinéma et de Steeve McQueen seront également très nombreux à s’y intéresser.
Pensez-vous que la jeune génération sera séduite par ces histoires-là?
L’histoire et l’authenticité sont des valeurs importantes pour eux, ainsi que des produits qui durent dans le temps. Cela tranche avec les tendances actuelles de la mode, dont le rythme évolue de plus en plus vite.
Est-ce que le vintage représente d’abord une culture ou un business, pour vous?
Nous ne voyons pas cela comme un business. Bien sûr, les enchères en sont un et nous sommes actifs à l’achat. Notre intérêt est de corréler le vintage avec nos pièces actuelles.
Comment vous positionnez-vous sur le marché de la seconde main?
Nous suivons de près les prix de revente sur les plateformes, et nous avons des objectifs clairs d’augmentation de la valeur de revente des montres, et c’est pourquoi je pense que cette pièce, si elle revenait sur le marché des enchères dans cinq ans, aurait un prix largement supérieur. C’est un travail de fond que nous menons pour augmenter la valeur, grâce à un contrôle des volumes et de la distribution.
Lors de cette vente, la Monaco de Steve McQueen sera en compétition avec une autre pièce d’exception la Rolex Cosmograph Daytona «Big Red» de Paul Newman. Un face à face de légende!
Oui. Bien sûr, Rolex et Patek Philippe sont toujours les marques les plus présentes et demandées aux enchères, c’est comme cela depuis des années et ça va continuer, il faut vivre avec. Mais les TAG Heuer se défendent bien, et sont très demandées, entre autres sur le site Watchfinder. Cela fait quatre ans que nous cherchons à être plus présents sur les ventes aux enchères. C’est une volonté stratégique de travailler le patrimoine, et le sens qu’il donne à la marque. Il faut que nous puissions assurer la valorisation de l’investissement qu’un collectionneur met dans une TAG Heuer. Pour cela, il faut qu’il y ait un nombre de pièces plus grand qui s’échange sur les marchés, avec un meilleur niveau de qualité des pièces. C’est un grand travail de fond qui induit un cercle vertueux. Car il y a un grand nombre de collectionneurs de la marque Heuer (avant 1985). Mais aujourd’hui il faut susciter de l’intérêt pour la marque TAG Heuer. Ce sont des chantiers convergents.
Voyez-vous déjà des signes de ces convergences?
C’est assez récent, cela sera surtout tangible dans les années à venir. Mais la Monaco V4 (2004) pourrait typiquement être une bonne candidate.
Travaillez-vous d’autres modèles TAG Heuer dans ce sens?
Oui, le modèle unique que nous préparons pour la vente aux enchères Only Watch 2021 sera un modèle TAG Heuer exceptionnel. Nous souhaitons vraiment amener de la valeur à la marque, nous avons cette ambition. Et dans ce domaine, on ne peut pas tricher, et soutenir des ventes artificiellement. Ça peut marcher une fois, deux fois, mais pas au-delà. Il faut que la valeur soit authentique. Et elle est aujourd’hui perceptible sur nos modèles récents, comme la Carrera Skipper For Hodinkee, qui date de 2018 et produite en 100 exemplaires. Elle s’est échangée plus du double de sa valeur à l’achat, sur le marché secondaire. C’est un excellent signal.
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