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Quand les marques de luxe récupèrent le vintage

Aymeric Mantoux

By Aymeric Mantoux27 mai 2020

36 milliards de dollars en 2021 , voilà ce que pèsera le marché du luxe d’occasion. C’est dire si le segment est intéressant et présente des opportunités, à la fois pour les consommateurs mais aussi pour les marques. Et ce n’est encore qu’un début.

Un sac à main Louis Vuitton d’un modèle ancien, présenté aux enchères online pour une poignée d’euros? Voilà ce qu’on pouvait encore trouver il y a cinq ans sur le site d’Ebay, le pionnier de la revente de biens d’occasion sur internet. Était-il certifié ou contrefait? Impossible de le savoir. Les plateformes alors niaient toute responsabilité et prenaient en réalité très peu de précautions vis à vis des consommateurs et des marques. Ebay et LVMH ont ainsi passé des années à s’affronter en justice avant de s’accorder pour «combattre la vente de contrefaçons en ligne» et «protéger les droits de propriété intellectuelle». Comment? En coopérant pour créer « un environnement digital plus sûr », afin de faire le tri entre les articles vintage et les contrefaçons sur un marché qui représente plus de 10% de leur chiffre d’affaires, selon le Comité Colbert, l’organisme qui regroupe les plus grandes maisons de luxe françaises.

Le très rare modèle HERMES Birkin en crocodile mat Himalaya Niloticus serti de diamants sur la boucle en or blanc 18k (2010)
adjugé 295 938 $ chez Christie's à Londres en 2018

L’explosion des plateformes de seconde main

L’essor des acteurs de la distribution de produits d’occasion en ligne depuis dix ans a contraint ces acteurs à signer des chartes et des accords avec les marques. D’abord réticentes, les grandes marques ont ensuite multiplié les démarches pour reprendre le contrôle. Car le commerce en ligne a bouleversé les modèles traditionnels, y compris ceux du marché de seconde main du luxe. Collector Square, Vinted, Vestiaire Collective, entre autres, on ne compte plus les succès des plateformes de revente en ligne plus ou moins spécialisées (maroquinerie, mode, horlogerie…) qui offrent de nouveaux débouchés pour les marques de luxe. Un exemple: Vestiaire Collective, fondé en France en 2009, totalise aujourd’hui 140 millions d'euros de CA, une présence dans 58 pays, effectue 79% du chiffre d'affaires à l'international et échange plus de 40'000 articles de 3500 marques chaque semaine. Quant à Collector Square, la plateforme a enregistré +25% de croissance en 2019.

«Nous considérons le marché des produits de seconde main comme une option alternative permettant aux marques de luxe d’atteindre de nouvelles cibles et d’élargir leur clientèle», explique Joëlle de Montgolfier, experte chez Bain & Company. Il contribue à offrir de nouvelles portes d’entrée au marché pour certains consommateurs, les plus jeunes ou les plus éloignés des points de vente physiques, à la fois géographiquement ou socialement. Les marques de luxe ont longtemps vu l’essor phénoménal du marché de l’occasion comme une menace. Ainsi dans l’automobile, par exemple, les plus grandes marques ont longtemps été très prudentes. Avant de reprendre l’offensive, comme chez Ferrari qui a institué une sorte de livret d’identité pour les automobiles de collection de la maison au cheval cabré «le classiche», sans lequel la marque ne garantit pas l’authenticité de la voiture, les restaurations effectuées et de facto, lui fait perdre de la valeur. Fortement inspirée par l’univers de l’automobile de collection, la maison horlogère Richard Mille a contribué à développer des boutiques de second hand au Japon avec Tokyo Watches et institué un document de garantie pour ses montres vintage révisées et revendues par ses soins. Dans les deux cas, de nouveaux comportements ont émergé : des clients souhaitaient acquérir un nouveau modèle de la marque et demandaient au «concessionnaire» de reprendre le précédent avec une décote, et de nouveaux clients, souvent plus jeunes, accèdent à des produits qu’ils n’auraient pas pu ou pas voulu acheter neufs ou au prix fort. « Les nouveaux consommateurs façonnent le marché, poussant les marques à innover en permanence », peut-on lire dans l’étude annuelle de Bain & Company sur le luxe. «Le profil des consommateurs évolue rapidement: les jeunes générations sont en demande d’un dialogue continu avec les marques de luxe, ce qui pousse ces dernières à innover en matière de business model et de valeur ajoutée de leurs offres».

Atteindre de nouvelles cibles

Nous considérons le marché des produits de seconde main comme une option alternative permettant aux marques de luxe d’atteindre de nouvelles cibles et d’élargir leur clientèle

Joëlle de Montgolfier, experte chez Bain & Company

La forte croissance de l’occasion illustre ces changements de mentalités. Le marché de l’occasion offre de nombreuses opportunités pour les marques, encore faut-il qu’elles l’analysent d’un point de vue stratégique. Le groupe de distribution Bucherer, présent en Suisse, en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, a décidé de créer au sein de ses flagship stores, un espace dédié au vintage, un salon-galerie totalement adapté à l’accueil de sa nouvelle clientèle, plus lifestyle, dont le dernier exemple a été inauguré à Paris en mars dernier. Ce lieu, de 80m2 sera généralisé avec des formats différents dans le monde selon les configurations des boutiques, et animé par une équipe qui fixe le cadre dans lequel les opérations d’achat et de revente des pièces millésimées sera effectué.

Bucherer a décidé de créer au sein de ses flagship stores, un espace dédié au vintage

Pour les marques, l’enjeu est de taille: créer un lien plus fort avec les consommateurs, susciter de l’émotion à travers des expériences, des services et des produits. L’évolution des canaux de distribution est indispensable pour faire face aux nouvelles typologies de clients. En la matière, l’une des innovations récentes les plus intéressantes est celle du chausseur parisien Weston qui a lancé en novembre 2019 «Weston vintage», qui permet de proposer des paires seconde main, rachetées à d’anciens porteurs puis reliftées dans les ateliers de la manufacture à Limoges. On a pu ainsi voir sur les Champs Elysées ou encore à Aoyama au Japon, «des objets d’hier revenus à la vie sous l’autorité de la manufacture J.M Weston» selon l’expression d’Olivier Saillard, directeur artistique, image et culture de la marque, qui, en janvier 2020 a poussé la démarche jusqu’à présenter un défilé de mode exclusivement consacré aux modèles vintage.

Le chausseur parisien Weston qui a lancé en novembre 2019 « Weston vintage » Photo: Virgile Guinard

Des prix qui s’envolent

D’ici dix ans, les achats de seconde main auront doublé

Marine Martinetti chez Vide Dressing

Une nouvelle histoire qui permet également d’offrir aux nouveaux consommateurs, plus sensibles à l’intégrité, la durabilité des produits qu’ils consomment –fussent-ils de luxe-, ainsi qu’à leur recyclage. C’est également pour une maison l’occasion de prouver que ses objets sont de qualité, font l’objet du plus grand soin et que l’ensemble de leur cycle de vie a été conçu de façon durable et respectueuse des acheteurs dès le départ. Bien entendu, les collectionneurs fous de souliers ou de montres savent bien que l’idée de l’occasion n’est pas nouvelle. Mais ce qui est différent c’est que les marques deviennent elles-mêmes des acteurs de ce marché. Comme l’illustre l’horloger Vacheron Constantin, qui, lors de l’inauguration de sa boutique parisienne il y a quelques années, avait été le premier à Paris, à intégrer une vitrine proposant des modèles anciens garantis par la manufacture. Ce qui était alors chose rare devient de plus en plus fréquent. Un nouveau business basé sur la tendance du retour aux sources qui s’exprime à la fois à travers les rééditions des anciens modèles ou leur relooking (Porsche 911, Rolex Oyster…), mais qui séduit également de nouveaux clients. Le style étant intemporel, s’inspirer du vintage dans les nouvelles collections, rééditer un fauteuil, une montre ou un sac à mains iconique est perçu comme authentique et patrimonial. Surtout que les rééditions de modèles à succès relancent généralement l’intérêt pour les versions vintage et que les prix montent.
Quelques exemples : Un sac Birkin Hermès s’achetait 6000 euros en 2013 sur le marché du vintage, aujourd’hui il peut atteindre 12 000 euros. Une robe Saint Laurent de 1968 valait 14'000 euros en 2015, aujourd’hui elle peut atteindre 120'000 euros. Et en horlogerie, le prix moyen d’une montre Tank de Cartier a cru de 30% ces dix dernières années.

Les consommateurs associent les idées de savoir-faire, de qualité et d’authenticité aux marques qui adoptent ces démarches. Plus qu’une mode, c’est un mouvement de fond. «D’ici dix ans, les achats de seconde main auront doublé», prophétise Marine Martinetti chez Vide Dressing . A l’heure du développement durable, les clients ont également pris conscience de l’importance de la dimension intemporelle des objets qu’ils achètent, pour les transmettre, les conserver longtemps ou les revendre. Les marques de luxe qui resteront sont celles qui auront compris et intégré ce phénomène.

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