Des hôtels d’un luxe inouï, quatre golfs, des pistes de ski, des musées de classe internationale conçus par les plus grands starchitectes nippons, cette discrète station de montagne près de Nagano fait de plus en plus recette par ces temps de canicule. Emblème du kaiken luxury à la japonaise, c’est une destination prisée, 100 % antibling.
À une heure de Shinkansen de Tokyo, Karuisawa a des airs de Megève nippon. À 1000 mètres d’altitude, cette station de moyenne montagne couverte de forêt est parfaite pour fuir la chaleur étouffante et sèche de la capitale. «C’est un endroit très recherché, confie Yoko, une Franco-Japonaise qui vit entre Tokyo et Paris et travaille pour les plus grandes maisons de luxe. De nombreux Tokyoïtes fortunés y possèdent une maison de week-end ou une résidence secondaire. Les terrains sont devenus très chers et il est devenu difficile d’y faire construire.» Le centre du village autour de la gare n’impressionne guère le visiteur. Certes, on y trouve des Porsche Cayenne à foison et des chocolatiers branchés, ce qui donne un indice de la clientèle qui fréquente les lieux, mais ce n’est pas là qu’il faut chercher. Il faut pénétrer les alentours forestiers, où, sous des futaies splendides couvertes de mousse se nichent des maisons privées qui sont autant de merveilles architecturales, que les hôtels parmi les plus chics de l’archipel.
À commencer par le Hoshinoya Karuizawa, premier joyau du groupe hôtelier ultraluxe qui compte une soixantaine d’établissements parmi les plus exclusifs au monde. C’est ici que le fondateur de cet empire familial créa son premier hôtel il y a plus de cent ans. Le concept ? S’immerger à chaque fois dans un univers lyrique et poétique différent, imaginé à partir des particularités de chaque lieu, qu’elles soient géographiques, historiques ou culturelles. Et imaginer des expériences de séjours uniques au monde, très prisées par les Japonais qui composent l’essentiel d’une clientèle particulièrement huppée et respectueuse.
À 20 minutes du centre-ville, c’est ce qu’offre Hoshinoya Karuizawa au cœur d’une forêt touffue de montagne. Un véritable monde à part, une retraite de verdure au cœur d’un parc naturel réputé où l’on peut observer près de 70 espèces d’oiseaux, des singes, des écureuils volants et même des ours ! La propriété est également réputée pour ses sources naturelles d’eau chaude et ses deux onsen (bains japonais traditionnels) dont les sources possèderaient des vertus curatrices. Avant de profiter de l’une des 77 chambres à l’esprit ryokan, réparties à travers le domaine, autour d’un lac où se baignent les canards, de nombreux chemins de randonnée ou activités sont à la disposition des visiteurs. À votre retour de promenade, vous pourrez également vous plonger dans votre propre baignoire en bois de cyprès, sans doute la plus belle salle de bain que vous ayez jamais vue, avec vue imprenable sur la cime des arbres et l’horizon verdoyant.
Comme dans tous les Hoshinoya, celui de Karuizawa dispose de son propre rituel, élaboré pour plonger le voyageur dans un autre espace-temps. Ici, il consiste à marcher jusqu’à sa chambre, et à enfiler un costume traditionnel japonais et des socques en bois, en écoutant le murmure de l’eau dans la rivière. Rien de caricatural ou de parodique, non, c’est pour débarrasser le visiteur du fardeau qu’il laisse à l’extérieur. Et lui faire expérimenter la quintessence de l’esprit japonais et de son esthétique. Tandis que partout dans le monde les écolodges sont à la mode, il est intéressant de noter qu’ici, la démarche environnementale est constitutive du projet initial autour des sources d’eau chaude et de l’auberge Hoshinoya de 1904 !
Usage des terrasses, de la pierre volcanique locale, murs en terre ou en washi… le tout crée une atmosphère unique, un sens du confort et de la détente qu’il est difficile de créer artificiellement. Le sanctuaire des oiseaux a été lancé en 1974. Autour, deux parcs nationaux, Joshinetsu Kogen et Asama, également réserves de protection de la faune. Plus de 24 espèces endémiques d’oiseaux et de mammifères peuvent y être observées dans leur habitat naturel.
Côté cuisine, Hoshinoya a inventé le genre « kaiseki alpin », une gastronomie traditionnelle, mais inventive, adaptée aux ressources locales, comme le poisson d’eau douce, le gibier et les légumes de saison. Chaque plat évoque un paysage, une scène du japon rural, à l’image de l’architecture de la vaste salle à manger en terrasse qui rappelle les rizières étagées de l’archipel. Un esprit en écho aux préoccupations du fondateur d’Hoshinoya qui a initié dès 1914 de la géothermie et de l’hydroélectricité en s’inspirant des ressources disponibles à Karuizawa, et qui s’est décliné dans tous les hôtels du groupe.
Tout autour de la propriété, les plus belles enseignes hôtelières ont élu domicile ces dernières années, dont pas moins de 5 hôtels 5 étoiles comme le Prince Hôtel ou Le Grand Karuizawa hotel et, dernier en date, Shishi-Iwa house, à la splendide architecture conçue par Shigeru Ban et Ryue Nishizawa, de l’agence d’architecture SANAA, lauréate du prix Pritzker en 2010, à laquelle on doit notamment les magasins Dior à Tokyo, le Rolex Learning center à Lausanne ou le Musée Louvre-Lens. On y sert au restaurant Shola une cuisine contemporaine franco-japonaise réalisée à partir d’ingrédients de saison issus des fermes locales. Le menu du soir en 9 plats du chef Masashi Okamoto s’accompagne d’une très belle sélection de vins français et japonais, dont un superbe Pinot-noir d’Hokkaïdo. La journée, les résidents se prélassent dans les sources privées d’eau chaude, les onsen, de leur hôtel, vont taquiner la petite balle blanche dans l’un des golfs des alentours (les Japonais en sont friands), skient l’hiver, ou visitent avec assiduité les musées qui jalonnent cette commune très étendue comme autant de joyaux. Nous en avons dénombré près de vingt, dont au moins cinq d’envergure internationale.
Première surprise de taille dans cette bourgade qui compte à peine 20 000 âmes, un musée consacré au peintre Léonard Foujita, le seul au monde, expose 180 œuvres de l’artiste ! Ouvert en 2022, il a été financé par un couple de mécènes, les Ando. Plus excentré, le Hiroshi Senju museum a été créé par Ryue Nishizawa (SANAA) à la demande d’un célèbre artiste japonais pour présenter ses œuvres dans un écrin de verre et de béton époustouflant, qui épouse les courbes du terrain et encapsule les arbres et la nature. « Senju m’a demandé de créer un espace ouvert et lumineux où les gens pourraient observer ses œuvres, se détendre et passer du temps à les contempler, explique l’architecte. Le musée, qui épouse doucement la pente naturelle du site, est éclairé par des avant-toits profonds, des écrans argentés et du verre taillé sous UV, tout en laissant entrer la verdure. L’espace ouvert a été conçu pour unir la nature de Kazurizawa et l’art de Senju. Je voulais créer une union entre le parc et l’espace qui soit aussi accueillante qu’un salon privé. »
On pourrait citer également le Sezon Museum of Modern Art ou encore le Museum of contemporary art qui expose les plus grands artistes japonais de Nara à Kusama, parmi les grands noms internationaux. Ou encore le New Art Museum qui possède une sculpture monumentale de Jean-Michel Othoniel, ainsi qu’une croix de l’artiste hébergée dans une chapelle de verre signée par Tadao Ando (Fondation Pinault à Paris et Venise notamment). Le lieu accueille de nombreux mariages de japonais huppés, particulièrement depuis que l’empereur et la princesse Michiko se sont rencontrés à Karuizawa en août 1957. C’est d’ailleurs à la famille impériale que la région doit initialement sa réputation. L’empereur Meiji avait effectué un pèlerinage dans la région en 1878. En 1923, l’empereur du Japon, attiré par la renommée de Karuizawa, l’élit comme villégiature estivale. Il y fait construire des villas impériales en 1933 où il joue au tennis. La famille impériale y vit pendant la Deuxième Guerre mondiale et conserve l’habitude de s’y rendre l’été.
D’autres célébrités contribuèrent également à faire la renommée de la station. Les parents de Yoko Ono y possédaient leur chalet de bois et John Lennon y passa trois étés de 1977 à 1979. Plus récemment, Miyazaki et son célèbre studio Ghibli trouvèrent à Karuizawa l’inspiration pour leur film d’animation « Le vent se lève » (2013). De nombreux artistes et auteurs ont été séduits par cet endroit unique, si japonais et qui ne ressemble à aucun autre.
On est bien loin des habituels lieux de villégiatures pour ultra-riches. Surtout lorsqu’on s’enfonce dans l’épaisse forêt qui descend du mont Asama ou qu’on quitte les routes principales à pied ou à vélo pour se connecter à l’esprit des lieux. C’est en sortant des sentiers battus qu’on découvre l’âme du pays, en admirant les paysages, les sous-bois, les jardins, les arbres pluricentenaires. Des choses préservées. Karuizawa c’est le meilleur du Japon.
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