Françoise Adam, la nouvelle directrice à la tête de Christie’s Genève veut davantage de mixité culturelle et ouvrir les esprits sur des synergies artistiques nouvelles. Portrait.
Le rendez-vous était donné chez Christie’s en Vieille-Ville de Genève. Françoise Adam, la nouvelle directrice de l’entité genevoise de la prestigieuse maison de vente aux enchères accueille avec simplicité, le ton franc et chaleureux ceux qui franchissent la porte de cette mythique enseigne.
C’est très moderne, accessible et spectaculaire, c’est tout l’intérêt des ventes online
Françoise Adam, directrice de Christie's Genève
Elle raconte sa chance de pouvoir travailler dans un bâtiment à l’histoire ancienne, même si de nouveaux locaux plus modernes sont recherchés pour offrir une nouvelle place de travail à son équipe. «Ils seront beaucoup plus adaptés à la façon de travailler d’aujourd’hui, lance-t-elle tout en montant les escaliers de la tourelle de l’immeuble sis place de la Taconnerie.
Sur son bureau, posés sur un plateau, quelques bijoux des prochaines ventes Geneva Magnificent Jewels (le 9 novembre) et Jewels online (du 2 au 11 novembre). Lorsque l’on demande à Françoise Adam d’en choisir quelques-uns, son choix se porte instantanément sur une bague Dior, des marguerites formées par des aigues-marines et de l’émail créées par Victoire de Castellane, un design intemporel qui remonte aux années 2000. Puis elle saisit un miroir et propose que l’on essaie un collier indien, composé de diamants flat cut, impressionnant, mais relativement «abordable», dont la valeur a été fixée à 15 000 francs suisses. Elle lance «c’est très moderne, accessible et spectaculaire, c’est tout l’intérêt des ventes online». À côté, une paire de broches créées par Suzanne Belperron, qui datent de 1950. «Elle est très courue, et sa cote a totalement remonté depuis la vente de la duchesse de Windsor en 1987 qui comptait plusieurs pièces de cette créatrice.»
Puis, elle veut nous faire deviner ce qu’il y a dans le petit écrin bleu en velours posé un peu plus loin. «Ce sont les bracelets en diamants de Marie-Antoinette! Ils datent de 1775. Je les ai vus portés en choker, mais Marie-Antoinette les portaient aussi accrochés à sa taille, ils ont une allure folle! Ce sont les stars de la prochaine vente Geneva Magnificent Jewels. Ils sont signés Boehmer, le fameux bijoutier.» L’estimation de ces bracelets est fixée entre 2 et 4 millions de francs. Les diamants et la provenance sont inestimables, mais avant tout, il est difficile de mettre un prix sur «la valeur de Marie-Antoinette». Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Rares sont les bijoux qui ont une si prestigieuse provenance et une parfaite traçabilité (la première inscription de ces bracelets sur un inventaire date de 1793). «De plus, les bracelets sont encore dans leur état d’origine, ils n’ont pas était retravaillés depuis 250 ans – cela est rarissime» avouera Françoise Adam.
Créer une relation intime avec le client
Il était essentiel, après ces longs mois de télétravail, de reprendre le management des équipes, de remotiver nos jeunes talents, même si les spécialistes montres et bijoux ont toujours eu besoin d’être au contact des objets, de travailler à des synergies
Françoise Adam, directrice de Christie's Genève
Quelles sont aujourd’hui les autres priorités de la nouvelle directrice du bureau genevois ? «Il était essentiel, après ces longs mois de télétravail, de reprendre le management des équipes, de remotiver nos jeunes talents, de revenir au bureau, même si les spécialistes montres et bijoux ont toujours eu besoin durant ces derniers mois d’être au contact des objets, de travailler à des synergies.» Un certain retour aux sources pour cette Lausannoise, diplômée de l’Université de Saint-Gall et spécialisée en finance. Alors que sa carrière la destinait au milieu bancaire, après deux années passées sur le trading floor à la SBS à émettre des obligations pour les entités étrangères en francs suisses, elle quitte le milieu de la finance pour la distribution de la presse, chez Naville: «J’ai adoré. La presse était prolixe dans les années 2000. Je représentais 500 titres, il fallait être rapide, s’adapter.» Puis elle choisit de partir à Londres suivre un cours d’histoire de l’art chez Christie’s à titre personnel, «pour compléter, dit-elle, le côté très aride des chiffres et de mes études à Saint-Gall.»
La vente Yves-Saint-Laurent au Grand Palais a été un momentum dans ma carrière, un projet fou
Françoise Adam
Elle débute alors une carrière chez Christie’s, à Genève, au département business et développement, aux côtés de la future directrice de la filiale genevoise, Éveline de Proyart, qu’elle considère comme son mentor. C’est là qu’elle apprend à côtoyer les grands clients de la place. «J’ai adoré cet univers à la fois exigeant et très stimulant. J’aime le contact personnel, entrer dans l’univers du client, gagner sa confiance, le représenter, créer une relation intime et de longue durée» Puis, elle intègre le bureau de Paris, de 2006 à 2010, où elle est appelée à diriger le département Client developement and advisory et à coacher les représentants en province. Le parcours parisien s’achèvera «en apothéose, raconte-t-elle, avec la vente consacrée à Yves-Saint-Laurent au Grand Palais, en 2009. Ce furent des mois d’intense préparation, d’expérience inestimable à monter l’exposition, dans un lieu qui n’avait jamais accueilli de ventes aux enchères. Le pari était de reconstituer l’appartement privé d’Yves-Saint-Laurent et d’y exposer les œuvres mises en ventes, pour que les clients soient parfaitement immergés dans son univers. C’était un projet fou, un momentum dans une carrière, qui a marqué toute l’équipe.»
C’est cet attrait pour les rapports humains, et l’exceptionnel bassin de la clientèle internationale basée en Suisse romande qui l’incite à réintégrer la maison Christie’s, après dix ans passés à gérer la collection Safra au sein du family office. «Le timing était parfait. J’avais besoin, à 50 ans, d’un nouvel enjeu dans ma carrière. Lorsqu’Éveline m’a approchée pour lui succéder, étant elle-même nommée à la présidence de Christie’s Suisse, j’ai estimé que c’était une fantastique opportunité de revenir dans la maison.»
Ne pas épuiser le marché
La mission de Françoise sera désormais d’accroître le réseau de clients, d’accompagner les équipes des départements, de développer la division business et développement et de faire briller Genève sur la place internationale. Et d’accroître les synergies avec le bureau de Zurich, en organisant des conférences communes sur des thèmes artistiques, comme celui, organisé récemment sur Giacometti, et de faire se croiser les intérêts des deux côtés de la Sarine. «J’aime construire de nouvelles synergies, unir les collectionneurs autour de leur passion, mais aussi de les confronter à d’autres univers artistiques. Ma vision est de reconnecter les équipes, de les stimuler. Ma priorité est de déménager les bureaux, d’intégrer une structure moderne, pour faire tomber les cloisons physiques, mais aussi mentales, entre les départements. De nos jours, le collectionneur est beaucoup plus polyvalent, nous devons l’être aussi. C’est cette mixité qui va enrichir leur univers et le nôtre.»
Les publics, les types d’objets que l’on recherche ont changé, je pense aux NFT. Il est passionnant de réfléchir à mixer les univers, et de proposer des objets tangibles et intangibles
Françoise Adam
Cette ouverture, Françoise Adam doit la mener de front avec celle, vertigineuse, du digital et des ventes online, une globalisation qui vient profondément bousculer le monde des enchères. Car, elle l’avoue, tout a changé en dix ans. «Les publics, les types d’objets que l’on recherche ont changé, je pense aux NFT. Il est passionnant de réfléchir à mixer les univers, et de proposer des objets tangibles et intangibles. Le client privé doit être surpris. D’ailleurs, il évolue rapidement. Au premier semestre 2021, 30% des clients étaient de nouveaux client, dont 31% de la génération Millenials. Nous sommes au début d’un changement phénoménal. Sur ce point, les mentalités des clients ont largement évolué. Si la vente online pouvait être considérée par le vendeur comme peu valorisante pour son objet, elle offre aujourd’hui une exposition plus large et plus longue dans le temps, car elle s’étend sur une dizaine de jours et peut proposer des objets estimés à plusieurs centaines de milliers de francs. Sur la dernière vente online de juillet, 98% d’objets ont été vendus. Les premiers six mois 2021 de Christie’s international ont totalisé 3.5 milliards de dollars, dont 225,7 millions de dollars grâce aux ventes online.»
Depuis la pandémie, Christie’s Genève est passé de deux sessions de ventes live en mai et juin à une dizaine de ventes par an, si l’on cumule celles online et physiques. «L’excitation autour de la vente des bracelets en diamants de Marie-Antoinette et d’autres lots avec provenance royale est déjà palpable ajoute Françoise et nous avons hâte d’ouvrir l’exposition au public ce jeudi 4 novembre, au Four Seasons Hôtel des Bergues. »
De toute évidence, le monde des enchères se porte bien. Même très bien. Un écueil pourrait pourtant guetter la profession: l'assèchement ou l'épuisement du marcher, si les ventes continuent de se multiplier auprès de tous les acteurs du milieu.
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