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Géopolitique & Luxe. Election de Javier Milei en Argentine, quelles conséquences pour le luxe?

Eva Morletto

By Eva Morletto23 novembre 2023

Adepte de l’école autrichienne, le «libertarien» Javier Milei sera bientôt le nouveau président de l’Argentine.

Pour la troisième économie de l'Amérique latine, la situation n’est pas des plus faciles: l’inflation monte en flèche, l’indice des prix atteint 140% et devrait même atteindre +185% en décembre. Au cours des crises répétées et une inflation chronique, le peso a perdu beaucoup de sa valeur. Aujourd’hui, 350 pesos sont nécessaires pour obtenir un dollar. L'Argentine fait partie des pays émergents les plus endettés (le FMI a prêté 45 milliards de dollars au pays) et plus de 40% de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté, recourant massivement aux aides publiques pour survivre. C’est précisément sur ces aides que Javier Milei veut frapper le plus fort, limitant drastiquement les dépenses publiques et le nombre des ministères.

Pour stabiliser l’économie, Milei veut recourir à la dollarisation, c’est à dire au remplacement en quelques années du peso par le dollar américain. Si la promesse de Milei est celle d’arrêter la baisse du pouvoir d’achat des Argentins - ce qui pourrait être bénéfique pour la vente de produits de luxe dont les Argentins sont très friands, puisque le pays se situe à la troisième place en Amérique latine, après le Mexique et le Brésil -, de nombreux économistes se montrent très sceptiques face aux projets du nouveau président. Les réserves de dollars sont actuellement négatives. En septembre, 200 économistes ont publié une lettre dénonçant cette stratégie dangereuse qui fragiliserait l’Argentine davantage et l’exposerait encore plus aux aléas des chocs externes.

Même si Milei s’engage à couper «les dépenses à la tronçonneuse» comme il aime à dire dans ses meeting, cette stratégie pourrait se révéler très dangereuse à long terme. En vue, une hausse de la pauvreté, des inégalités sociales et une élévation du taux de chômage (actuellement de 7,6%), ce qui éloignera les investisseurs étrangers refroidis par l’instabilité qui se profile.

Par contre, la promesse d’une baisse des impôts et une libéralisation totale de l’économie pourraient attirer des sociétés étrangères en quête d’un régime fiscal doux. Il est donc difficile d’établir quelle sera la stratégie du monde du luxe face à ce bouleversement politique. L’Argentine continuera-t-elle à taxer directement ses exportations (un des rares pays à le faire)? Sachant que cette taxation servait surtout à financer certaines aides publiques à l’époque de la présidence Kirchner, quelle conséquence les coupes budgétaires annoncées au niveau des aides sociales auront-elles ? Milei renoncera-t-il à ces recettes?

Autre moteur de l’instabilité qui pourrait jouer sur l’appétit des investisseurs étrangers: la suppression annoncée par Milei de la Banque nationale. Le président a effectivement annoncé cette mesure pour contrer l’inflation et arrêter les recours fréquents à la planche à billets.

Le monde du luxe observe

Il y a dix ans, les marques de luxe fuyaient le pays, épuisées par les contraintes commerciales dictées par l’administration sur les importations et toutes les mesures ayant comme objectif la préservation de l’excédent commercial. Ralph Lauren, Yves Saint Laurent ou encore Armani avaient renoncé à leur activité dans le pays. Il était obligatoire d’exporter des produits nationaux pour un montant équivalent aux produits importés, ce qui entravait la fluidité des échanges et mettait en difficulté l’équilibre financier des entreprises étrangères, à l’exception de certaines comme Ermenegildo Zegna, qui avait trouvé la solution en exportant de la laine locale de Patagonie pour un montant similaire à celui de ses produits importés. L’assouplissement successif des mesures avait permis le retour de plusieurs marques haut de gamme.

A court terme, si le marché se dérègle complètement, les firmes de luxe pourraient affluer. Un argument qui pourrait jouer en faveur de cette thèse, pour l’instant marginal, mais qui pourrait avoir du poids dans l’avenir: l'Argentine se classe au 15e rang mondial en termes d'adoption des crypto-monnaies. Elle devance la France qui se trouve en 23e position. Le nouveau président s’est montré plutôt favorable à cet outil financier et - si l’on considère que plusieurs maisons de luxe commencent à accepter les crypto-monnaies -, ceci pourrait permettre aux firmes de maintenir leur présence en Argentine en ayant recours à ce moyen de paiement pour la clientèle, au lieu de la monnaie locale. Si pour l’instant il s’agit d’une réalité embryonnaire, l’importance des cryptos dans l’économie sud-américaine (le Salvador a adopté les crypto-monnaies comme devise officielle) pourrait peser sur les choix des acteurs économiques dans le futur.

Toutefois, le programme libertarien extrême envisagé par le nouveau président risque de déclencher, pour l’heure, une nouvelle phase d’instabilité à moyen terme, ce que les marques abhorrent et dont toute la population du pays risque de faire les frais.

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